Introduction

Au lendemain de la guerre, avec la publication de Seuls demeurent en 1945, de Feuillets d’Hypnos en 1946, puis de Fureur et mystère en 1948, la poésie de René Char bénéficie d’un large accueil, en partie fondé sur la participation de l’auteur aux combats de la Résistance. Depuis cette période, la plupart des réceptions de son œuvre insistent sur l’engagement du poète dans l’histoire et sur l’inscription de cet engagement dans l’écriture. La relation des poèmes à l’histoire a cependant moins d’évidence qu’il n’y paraît. Deux manières contradictoires de présenter la place de la guerre dans l’œuvre signalent la difficulté de la question. La guerre apparaît tantôt comme une parenthèse plus ou moins vite refermée, tantôt comme le massif dominant d’une œuvre condamnée à se répéter ensuite. Comment comprendre cette double réception ? Il se pourrait que la place de la guerre soit elle-même contradictoire : l’événement est présent dans l’œuvre d’une double manière, déterminante et circonscrite à la fois. Circonscrite au sens où de l’avant à l’après-guerre se dessine une relation exceptionnelle entre le poème et l’histoire, appelée à se modifier considérablement dans les recueils ultérieurs. Mais déterminante également, dans la mesure où la présence de l’histoire n’est pas seulement circonstancielle (liée à l’écriture des feuillets au maquis) : la guerre est désignée par l’ensemble de l’œuvre comme un axe, un point de rupture, un élément constitutif.

Si on a pu attribuer la plus grande importance à la Résistance, c’est dans la mesure où Char a placé cette période au centre de son œuvre. Mais si on a pu tout aussi bien parler d’une rupture après-guerre, d’une parenthèse refermée, c’est que l’œuvre suggère cela aussi. La guerre est une référence interne et, simultanément, l’origine d’un vif rejet de l’idée même d’histoire. Quelle relation décisive s’est donc nouée entre le poème et l’histoire pour que la guerre soit ainsi simultanément présente comme origine et comme fin ?

La situation paradoxale de la guerre est décelable en premier lieu dans la difficulté à déterminer un tournant après-guerre. La recherche d’une périodisation se heurte à une succession de ruptures différentes. Or il apparaît que cette difficulté est liée à l’impossibilité de mettre fin à la crise ouverte par la guerre. Le mal ne cesse pas. D’où la perte de confiance dans le changement par l’action dans l’histoire et l’impossibilité de passer à l’après-guerre. Le sujet lui-même modifie sa position, abandonne les espoirs nés au maquis. Une progressive remise en cause de l’idée d’histoire se fait jour après-guerre dans les textes critiques et journalistiques. Mais on ne peut pour autant parler d’un retrait : les recueils sont toujours soigneusement situés par rapport à leur époque, qu’ils continuent de dénoncer. Le maintien d’une responsabilité du poète et du poème face à son temps en dépit d’une condamnation de l’histoire comme cadre de l’action fait pressentir l’élaboration par le sujet d’une position singulière dans l’après-guerre. C’est à une dissociation du politique et de l’historique que conduit la crise d’après-guerre. Une fois repoussée l’idée d’agir dans un devenir collectif conçu comme temps de l’histoire, les poèmes ne cesseront pas pour autant de prendre position, explicitement ou non, par rapport aux contemporains. Cette situation de tensions, de paradoxes, signale l’importance du bouleversement provoqué par l’expérience de la guerre.

Cette expérience conduit à faire de l’histoire un problème : au cours de la guerre puis de l’après-guerre une question de l’histoire s’élabore progressivement dans l’œuvre. Si l’histoire ne va plus de soi, quelle en était donc la signification et l’importance avant cette remise en cause ? Que recouvre la notion quand elle est mentionnée dans les textes critiques et journalistiques, parfois dans les poèmes ? Et en quel sens peut-on l’identifier dans les recueils de la guerre et dans les recueils antérieurs ? Il s’agira donc de chercher le moment où apparaît une temporalité de type historique et pour quelles raisons, de remonter en amont et d’examiner les recueils chronologiquement, afin de prendre la mesure de la crise d’après-guerre. Car la puissance du rejet, la déception qui s’y mêle, la modification que cela entraîne dans le positionnement du sujet et le rôle du poème, invitent bel et bien à parler d’une « crise de l’histoire ». Crise provoquée par l’événement historique et ce qui lui fait suite, mais crise également de la confiance dans l’histoire, de ce qu’elle rend possible pour les hommes. L’après-guerre est une rupture, un moment critique, délimitant un partage entre un avant et un après. On remarquera que, paradoxalement, la crise de l’histoire se situe moins pour Char pendant la guerre qu’après. Le terme d’histoire prend alors un sens plus complexe que celui des événements décisifs, contemporains de l’écriture. C’est au sens fort qu’il y a une crise de l’histoire dans l’œuvre, une crise de la notion d’histoire, de ce qu’elle signifie.

L’enjeu n’est donc pas d’étudier l’attitude du poète « face » à la crise de la guerre ou face aux débats politiques de l’après-guerre. Il ne s’agit pas non plus de confronter les poèmes aux événements politiques qui leur sont contemporains. Deux axes majeurs de réflexion organisent chaque chapitre : quelle temporalité est présupposée ou représentée par chaque recueil ; est-ce une temporalité historique ? Quelle situation l’écriture définit-elle pour elle-même par rapport à cette temporalité ? Ce qui revient à se demander quelle est la place du poème dans son époque et quelles conceptions de cette dernière en sont le corollaire. On rencontre alors nécessairement la question de l’engagement, celui du poème et celui du poète. Les deux sont en effet la plupart du temps dissociés dans l’œuvre : la représentation d’un engagement du sujet n’implique pas forcément celui de l’écriture. Enfin, l’analyse de la crise de l’histoire au tournant des années cinquante invite à revenir sur le retrait du sujet et sur la rupture de l’après-guerre. La persistance, jusque dans les derniers recueils de l’œuvre, d’une critique de l’époque et d’une prise de position du sujet par rapport à ses contemporains, suscite la réflexion : le rejet de l’histoire conduit à une redéfinition des relations du poème et du poète à leur temps mais peut-être pas à leur désengagement. Cette période constituera le terme de cette étude. Après Les Matinaux et À une sérénité crispée, la crise de l’après-guerre s’achève ; la tentation de l’histoire a complètement cédé la place à l’élaboration d’une autre forme de temporalité ; le sujet a redéfini son rôle et celui du poème. Une nouvelle période de l’œuvre, placée sous le signe de Lettera amorosa, commence dans la première moitié des années cinquante. Il resterait alors à mettre au jour les traces de la guerre dans les recueils ultérieurs, afin de montrer le rôle central qu’elle est appelée à occuper, et à s’interroger sur le maintien d’une dimension politique du poème jusque dans les dernières années.

L’importance de l’histoire dans l’œuvre de Char a été plus d’une fois soulignée par la critique, mais à l’exception de quelques articles, aucune étude de synthèse ne lui a été consacrée. Dans la préface à la réédition de son livre Avez-vous lu Char ? paru en 1947, Georges Mounin évoque, en 1968, la nécessité qu’il y aurait à « mettre en ordre une longue lecture de tout ce que Char nous a dit de notre histoire » 1 , et il ajoute ces phrases significatives : « car je pense que Char est aussi l’homme qui a le plus pathétiquement réagi à notre histoire depuis 1945. Toute cette histoire est dans ses poèmes, violente, spontanée […] ». Le critique appelle de ses vœux une « étude qui pourrait s’intituler ‘Char et la politique’ ou mieux ‘La politique de Char’ », étude « nécessaire, si l’on veut saisir toute la poésie de Char : car ce poète aura été aussi le plus grand de nos poètes politiques. » 2 Char « poète politique » : tel est le fil directeur que nous avons suivi, et si notre travail s’arrête, pour ne pas prendre une ampleur démesurée, au début des années 1950, il implique, en revanche, l’hypothèse d’une relation persistante du poète avec son temps, jusque dans les derniers recueils.

Sans doute est-il inutile de rappeler quelles analyses définitives ont été apportées par le livre fondateur de Jean-Claude Mathieu, La Poésie de René Char ou le sel de la splendeur, publié en 1984. Comme l’annonce l’avant-propos de l’auteur, la présence grandissante de l’histoire dans l’œuvre de Char, agissant sur l’écriture des poèmes, ne pouvait que retentir dans l’étude des recueils : « S’élevant, le poème est traversé par l’histoire, montée du nazisme, Front Populaire, Résistance, qui y imprime des marques sensibles. S’il lui arrive d’être hymne pour un combat, celui du Front Populaire (« Tous compagnons de lit »), ou de la Grèce résistante (« Hymne à voix basse »), il est surtout riposte, vive réaction pour affirmer l’espace d’une ‘contre-terreur’. […] Mais le poème, avec sa condensation ultra-rapide d’images, n’est pas analytique ; de l’histoire il porte, à son insu ou consciemment, le poids de violence et de terreur. […] Le poème est pris par l’histoire, et la reprend, lui réplique, au point précis où l’excès inouï du temps se dérobe à l’analyse, se transfuse en fantasmes d’époque, dicibles seulement par la poésie, résonnant avec une acuité qui a nom ‘pressentiment’ dans l’inconscient de ce qui devient texte […] » 3 . S’interrompant à la publication de Feuillets d’Hypnos, en 1946, l’ouvrage, qui pose des jalons essentiels pour la compréhension de l’œuvre entière, ne peut toutefois entrer dans le détail de l’après-guerre. Cette période complexe, s’étendant de 1944 au début des années 1950, est le cœur de notre travail et c’est pour en comprendre les ruptures que nous remonterons, dans les premiers chapitres, aux recueils du Marteau sans maître et de Placard pour un chemin des écoliers.

Parmi les autres livres consacrés à René Char, celui d’Éric Marty 4 aborde à plusieurs reprises, au cours de ses chapitres, la période de la guerre et la place de l’histoire. La mention d’un « désastre » de la Création, l’étude de la proximité des pensées gnostiques et alchimiques avec la poésie de Char viennent éclairer la conception de l’histoire dans les poèmes. Le parti pris non chronologique de l’ouvrage ne permet pas, cependant, de discerner l’évolution de cette conception ni de distinguer entre les périodes de l’œuvre. L’interaction de l’événement historique et de l’écriture poétique s’en trouve du même coup beaucoup moins visible.

Enfin, dans le mouvement de structuration réciproque de la vie et de l’œuvre, dont on ne peut faire abstraction dans le cas de cette « écriture pour vivre » que représente la poésie aux yeux de Char, mentionnons l’apport des livres de témoignages 5 . Sur la période de la guerre et le maquis de Céreste, l’amitié de Georges-Louis Roux a livré récemment un récit très précis 6 . L’ouvrage de Jean Pénard 7 , également, donne de nombreuses informations recueillies à partir d’entretiens ayant eu lieu entre 1973 et 1985. Ces livres permettent une contextualisation de l’écriture des poèmes, un éclairage latéral venant à l’appui de l’analyse textuelle, toutes les fois où l’identification de l’univers référentiel élaboré par le poème permet de faire jouer entre eux les niveaux de lecture. Feuillets d’Hypnos, par exemple, se lit ainsi à la fois comme un recueil d’analyses politiques et sociales et comme une métaphorisation de ce qui se dérobe à l’analyse.

Quelques articles ont ces dernières années montré un renouveau de l’intérêt des critiques pour les rapports de l’œuvre de Char à l’histoire. En 1996 se tenait à Montpellier un colloque intitulé « Trois poètes face à la crise de l’histoire. André Breton – Saint-John Perse – René Char » 8 . Sur les cinq contributions concernant René Char, les deux premières, celles de Christine Dupouy et de Patrick Née, jettent des ponts entre les engagements de l’homme et les étapes de l’œuvre. Elles retracent le détail minutieux des participations politiques de Char, la restitution de leur origine circonstancielle aux textes de Recherche de la base et du sommet. Patrick Née est conduit pour sa part à établir une corrélation entre la raréfaction des interventions politiques dans les années cinquante et un recentrage, analysé en termes heideggeriens, des préoccupations de Char sur le « Temps du poème ». Mais la charge politique propre aux poèmes, leur désignation de l’histoire et leur manière de se situer par rapport à elle ne sont pas l’objet de l’article. C’est leur prise en compte qui nous permettra de nuancer et d’interroger ces partages entre l’œuvre poétique et les textes critiques d’un côté, entre les poèmes d’avant le tournant des années cinquante et le reste de l’œuvre, de l’autre. L’évolution de la séparation, dans l’après-guerre, entre les textes recueillis dans Recherche de la base et du sommet et les poèmes, vers une intégration de plus en plus nette du discours de dénonciation aux poèmes eux-mêmes, permet en effet de ne pas déduire d’une raréfaction des textes de type journalistique, à un désintérêt du poète pour ses contemporains : il apparaît au contraire que sa relation à ces derniers se maintient en changeant de plan énonciatif, comme en témoigne la charge politique des recueils des dernières décennies.

Parmi les autres contributions du recueil, à côté de celle de Daniel Delzard qui rapporte en témoignage un certain nombre de propos que lui a confiés René Char, celle de Paule Plouvier souligne la proximité de la pensée nietzschéenne dans le rejet charien de l’histoire, tandis que celle de Didier Alexandre analyse, en s’appuyant sur les poèmes eux-mêmes, les « asymétries » entre l’homme d’action et le poète, à partir d’une mise au jour de l’intertexte rimbaldien. La reconnaissance par le poète du « mal historique », la valeur inaugurale de Feuillets d’Hypnos de ce point de vue, la scission du sujet entre la poésie et l’action, sont les lignes directrices de l’article.

L’importance de l’histoire et de son rejet après-guerre sont donc un acquis de la critique. Mais ce rejet invite à s’interroger sur la place que l’histoire a occupée au préalable, à prendre la mesure de la rencontre entre la poésie et l’histoire dans la période qui précède. Le rejet de l’histoire, d’autre part, s’il entraîne de toute évidence un repositionnement du sujet, n’implique pas l’abandon de toute relation critique et politique du poème à son temps. L’œuvre de Char présente cette originalité de définir une responsabilité du poème et du poète indépendamment de la possibilité d’agir dans l’histoire. Quelle peut donc être la relation de l’écriture à son époque quand l’idée même d’histoire a disparu ?

Cet intérêt pour la présence de l’histoire chez Char semble s’inscrire au revers de la vague heideggerienne qui a dominé un temps la lecture de l’œuvre. Comme le rappelle Bengt Novén dans son ouvrage qui fait le point, en 2002, sur les « modes de lecture appliqués à l’œuvre de Char », « le point de vue selon lequel la poésie de Char comporte des ressemblances avec la philosophie semble prédominant pour bien des critiques » 9 . L’auteur rappelle les grandes orientations de cette perspective qui « invite à étudier l’œuvre de Char du point de vue de ses rapports aux structures de ‘l’Être’, de l’existence, du ‘monde’, ou encore de la ‘présence’ » 10 . Comme représentant de cette tendance, on peut citer pour le domaine francophone, un article de Patrick Née, paru en 1991, « Le temps comme retour dans Fureur et mystère » 11 , ainsi que la thèse 12 sur laquelle s’appuient les orientations de cet article. Après ce moment heideggerien, dont l’écueil est celui de l’essentialisation du poème, de la citation décontextualisée et de l’oubli du travail spécifique de l’écriture, il semble important de revenir à l’historicité de la poésie de Char. 13

L’examen de la place de la guerre dans l’œuvre, de ses conséquences sur l’écriture et de la situation du poème par rapport à l’histoire s’avère d’autant plus nécessaire que ces questions servent parfois de prétexte à des tentatives de démystification de l’auteur. Certes salutaire, cette remise en cause d’une idéologie de la poésie et du poète n’en risque pas moins de recouvrir la lecture de l’œuvre. La réception de Char par les milieux poétiques et littéraires, parfois rejoints par la critique universitaire, est en effet traversée par deux images de Char servant de repoussoir. On lui reproche d’abord son autorité de poète, en l’associant parfois à l’autorité de résistant que lui a donnée son action au maquis. Cette critique est chronologiquement la première et se retrouve chez les poètes de la génération qui suit celle de Char. Philippe Jaccottet dans une chronique écrite en 1967 et reprise dans L’Entretien des Muses explique ses réserves devant certains des poèmes de Char, en raison d’une beauté presque « trop » grande (« un trop à peine pondérable ») : « Qu’un mot rare ou singulier, qu’une métaphore hardie, surprenante, soit l’aile qui emporte le poème, sans doute ; mais y a-t-il excès de singularités, même si nulle d’entre elles n’est gratuite ou insignifiante […], c’est la respiration du poème qui me paraît menacée : la concentration tend à s’altérer en crispation » 14 . André du Bouchet, plus récemment, et sur un ton plus catégorique, se dit irrité, dans un entretien donné en 1999-2000 15 , de « la position d’autorité » que peut adopter un poète dans la société. Il mentionne alors le nom de Char, dont il a découvert et aimé les œuvres, rappelle-t-il, avant que Seuls demeurent et Feuillets d’Hypnos ne confèrent à leur auteur « une célébrité soudaine ». Le récit de l’entretien, rapportant indirectement les propos de du Bouchet, se poursuit ainsi : « Dans cette œuvre qui a connu des hauts et des bas, le gêne précisément, en germe dès 1945, une posture catégorique appuyée sans doute sur l’exercice, certes admirable, d’une autorité pendant la Résistance » 16 .

L’autre portrait critique de René Char le représente en poète prophète, à la parole trop aisément oraculaire. Souvent associé à Saint-John Perse, Char se voit reprocher de croire à la poésie. Retraçant l’évolution de l’après-guerre, Jean-Marie Gleize, par exemple, excepte Saint-John Perse et René Char de « l’ère ‘problématique’ » dans laquelle est entrée la poésie : « René Char (ou ‘le poète’ puisqu’ici il définit un rôle) croit en l’avenir, en l’inscription prophétique de l’avenir dans la poésie oraculaire, hermétiquement oraculaire ; en la poésie qui dit la vérité, de la vérité […]. Et cette foi (héritée des romantiques) en la poésie chemin vers la connaissance (ou la Connaissance), c’est bien elle que l’on retrouve d’un bout à l’autre du discours prononcé à Stockholm par Saint-John Perse lorsqu’il y reçut le prix Nobel en 1960 » 17 . Jean-Pierre Martin va dans le même sens lorsque, associant lui aussi René Char à Saint-John Perse, il en fait les représentants, avec Pierre Jean Jouve, d’un « idéalisme pour lequel l’essence indéfinissable de la poésie ne peut être évoquée que dans le consentement à une certaine sacralisation, dans la sublimation et la transcendance d’une Valeur poétique » 18 . Dans un registre plus polémique, citons enfin Christian Prigent et sa virulente dénonciation de la « canonisation » de René Char dans un chapitre intitulé « Apothéose de René Char » 19 .

Représentant d’un idéalisme d’arrière-garde, romantique, soupçonné de rester fidèle à l’idéologie surréaliste en dépit d’un changement de style, Char ne participerait en rien à la modernité poétique de la seconde moitié du vingtième siècle. Il donnerait du poète une image exaltée, en décalage avec une époque soucieuse d’humilité, travaillée par le doute et vivant en état de crise. René Char passe pour « un poète affirmatif (dogmatique) », selon les termes utilisés par Jean-Marie Gleize au sujet de Victor Hugo 20 . Mais ne faudrait-il pas ajouter que Char, lui aussi, est, comme le dit Jean-Marie Gleize de Hugo, « tout au contraire, principalement un poète du doute ou, si l’on y tient, de l’affirmation de l’incertitude » 21  ?

Ces diverses réceptions de René Char sont encore très actives. À preuve, le colloque intitulé « René Char 10 ans après », qui se proposait, en 1998, de faire le bilan des lectures de l’auteur « en écoutant comment il est reçu par les poètes et critiques de la nouvelle génération » 22 . S’y fait jour le besoin, éprouvé encore à cette date, par une partie des intervenants, « d’entendre au plus près une personnalité », « d’examiner les relations amicales que Char établit avec les créateurs, ses contemporains ou amis » afin, le cas échéant, de « jeter une ombre sur le mythe charien » 23 .

Nul doute que ce mythe n’exige sa déconstruction passionnée. Celle-ci montre combien vit encore le souvenir des relations, amicales ou non, nouées pendant la vie de l’auteur. Mais parallèlement à ce qui deviendra peut-être l’objet d’une étude de sociologie littéraire, il semble tout aussi salutaire de s’attacher à ce que font les poèmes, d’en interroger les pratiques autant que les représentations, d’affiner la compréhension de leur rôle social et historique autant que l’analyse de leur énonciation et de ses modes. C’est ce que Michel Collot, dans sa contribution au colloque « René Char 10 ans après », rappelle en ces termes : « […] Il est aujourd’hui de bon ton dans certains milieux littéraires d’affecter quelque dédain à l’encontre de René Char. Cette réaction salutaire contre une figure mythique du poète, à la construction de laquelle Char lui-même, ses épigones et les médias ont collaboré, risque fort d’empêcher, autant que l’hagiographie ou le biographisme, la relecture des textes eux-mêmes, qui me semble la tâche prioritaire » 24 .

Une relecture des textes eux-mêmes : voilà ce que nous avons essayé de faire, en suivant au plus près le détail d’une écriture, dont la densité, la difficulté, exigent une patience minutieuse. Il faut insister, à ce propos, sur la véritable propédeutique que le livre de Jean-Claude Mathieu a représentée. Tenant compte de la « transformation continuée » de l’œuvre, de la profondeur des poèmes dans leurs différentes strates, ce livre propose une étude diachronique « qui vise la structuration réciproque des formes du poème et du sujet » 25 . Disposant les apports biographiques comme autant de soutènements du commentaire, l’auteur s’attache non au « langage poétique, conçu comme écarts sur fond de langue » mais au « ‘discours de la poésie’, [au] discours se faisant texte, réalisé dans chaque aphorisme » 26 . L’aller-retour entre l’analyse des « réalisations particulières » d’une écriture, des « formes-sens » (Henri Meschonnic), et le dégagement « des traits plus généraux » de cette écriture, se double d’une attention singulière à ses forces de rupture ainsi qu’à son « pouvoir de déplacement, de délivrance, à l’intérieur du langage » 27 par les aimantations phoniques du matériau verbal. Le style même des analyses, dont ne rendent pas compte les déclarations méthodologiques, nous semble particulièrement important. Toujours soucieux de ne pas appauvrir les poèmes par un excès de clarifications, le commentaire ne les pose jamais en objets d’explication ; et s’il en déplie les composantes, c’est avec la conviction que la somme des parties n’épuise pas la force du tout. D’où cette lumière singulière que donne un éclairage latéral, n’écrasant jamais le poème mais reconduisant à sa lecture, après en avoir fait résonner les éléments spécifiques dans le texte d’un commentaire descriptif autant qu’interprétatif.

De ce travail, nous avons retenu pour notre compte deux lignes directrices, simultanément mises en œuvre. La première consiste à entrer dans les recueils par le détail de leur matériau verbal, sans jamais renoncer pour autant à tirer le fil d’une interprétation ; la seconde conçoit le poème comme discours et réévalue la place du contexte dans l’écriture. Dans le premier cas, il s’agit d’une attention à la forme du texte et au système de l’œuvre. Entrer dans l’œuvre de Char par un de ses aspects formels est d’une efficacité qui nous semble particulièrement bien illustrée par l’article de Michel Collot « La présence de l’imparfait », dans lequel « on voit comment l’utilisation expressive des valeurs aspectuelles de l’imparfait retentit sur de multiples plans de la signification poétique : sur la construction du temps, mais aussi sur celle de l’espace et du sujet » 28 . Quant à la notion de « système de l’œuvre », au sens de structuration dynamique sur lequel insiste Henri Meschonnic, elle entraîne une attention à la « valeur », laquelle, selon la définition du théoricien, « joue le rôle d’un élément du système de l’œuvre, dans la mesure où l’œuvre se constitue par des différences » 29 . La prise en compte de l’œuvre comme « totalité », en transformation bien sûr, et jamais refermée sur elle-même, mais avec ses effets propres de cohérence, est dans le cas de Char remarquablement féconde. Peut-être est-ce en raison du soin tout particulier apporté par le poète à construire et organiser son œuvre. Toujours est-il qu’une continuité, n’excluant ni les évolutions ni les ruptures, fait entendre dans chaque élément, lexical, sémantique, syntaxique, rythmique, énonciatif, ou autre, non seulement l’écho de ce qui précède, mais aussi, souvent, l’écho de ce qui est chronologiquement à venir dans l’œuvre. De même, sur un autre plan, une continuité entre la vie et l’écriture fait que les textes critiques et la correspondance entrent en singulière résonance avec l’écriture des poèmes.

La seconde ligne directrice de l’analyse s’appuie sur la notion de discours. Les travaux fondateurs d’Émile Benveniste ont permis de prendre en considération la subjectivité dans le langage, l’énonciation comme acte d’un sujet par rapport auquel se définit une « situation d’énonciation », pivot d’une relation du langage au monde. Notre étude de la relation des poèmes de Char à l’histoire s’est ainsi appuyée sur l’analyse des situations d’énonciation montrées dans l’énonciation, sur le repérage d’un univers référentiel par rapport auquel cette dernière se situe, sur la visée d’un destinataire et la relation que les poèmes, presque toujours adressés, établissent avec lui. Comme l’écrit Henri Meschonnic au sujet de Châtiments de Victor Hugo, le recueil « impose un rapport entre la poésie et l’histoire, non dans un dit seulement mais dans le dire » 30 . L’histoire est ainsi abordée non pas seulement un thème mais comme « la structuration d’un langage » 31 .

Dans le prolongement partiel des travaux de Benveniste, les développements récents de l’analyse du discours ont permis d’affiner l’analyse de l’énonciation, entre autres pour le domaine littéraire. Dans Le Contexte de l’œuvre littéraire (1993) puis dans Le Discours de l’œuvre littéraire (2004), Dominique Maingueneau propose la notion de « scénographie » qui permet de préciser la notion de contexte du point de vue de l’énoncé littéraire. La scénographie est la « situation d’énonciation de l’œuvre » ; « elle définit les statuts d’énonciateur et de coénonciateur, mais aussi l’espace (topographie) et le temps (chronographie) à partir desquels se développe l’énonciation » 32 . La pertinence de cette notion pour notre propos réside dans l’articulation qu’elle autorise entre le texte littéraire et la société : « Les types de scénographies mis en place indiquent obliquement comment les œuvres définissent leur relation à la société et comment dans cette société on peut légitimer l’exercice de la parole littéraire » 33 . La scénographie permet d’étudier le contexte de l’œuvre tel que celle-ci le représente, « de l’intérieur », « à travers la situation que la parole prétend définir, le cadre qu’elle ‘montre’ (au sens pragmatique) dans le mouvement même où elle se déploie » 34 . Une fois analysée la situation « montrée » par les poèmes, nous nous demanderons, dans notre étude, quelle relation du poème à la société elle présuppose et quelle vision de l’époque, du devenir temporel de celle-ci, en est le corollaire. Il ne s’agit donc pas d’une compréhension du contexte en termes de sociologie de la littérature ou de sociocritique. Ces approches, aux présupposés méthodologique spécifiques, mériteraient à elles seules une étude entière.

L’analyse du discours tient compte toutefois de la difficulté à opposer de façon réductrice le sujet du texte et le sujet biographique. Dominique Maingueneau parle d’une « complexification de l’instance auctoriale » 35 , et de la nécessité qu’il y a à « rompre avec les oppositions réductrices entre moi créateur profond (Proust), ou entre sujet du texte et sujet biographique (textualisme) », afin d’« assumer les brouillages de niveaux, les rétroactions, les ajustements instables, les identités qui ne peuvent se clore » 36 . Pour notre part, nous prendrons soin de toujours distinguer entre le sujet du poème et la personne de Char. Mais ne présupposant pas l’exclusion de la vie dans l’écrit, nous ferons sa place à la biographie, à l’écriture de la vie, matériau des poèmes, qui la symbolisent en retour. Le sujet lyrique est bien, comme l’a montré Dominique Combe 37 , un sujet en tension, à la fois tourné vers « la référentialité autobiographique » et vers « la fiction » 38 .

Ces quelques références théoriques et méthodologiques servent d’appui à notre approche des poèmes de Char. Mais nous avons essayé de tenir notre travail éloigné de l’application d’une méthode, cherchant plutôt à forger celle-ci dans un aller-retour entre le commentaire et une attitude réflexive s’interrogeant sur les présupposés à l’œuvre dans la pratique. De même, pour éviter que la théorie n’écrase la lecture au lieu de l’informer, on ne trouvera pas de récapitulatifs antérieurs aux analyses, tout juste des références venant soutenir telle ou telle réflexion. Nous avons voulu reconduire à la lecture des poèmes, à l’horizon desquels le commentaire se situe continûment, à une distance dont nous souhaitons qu’elle soit juste.

Cherchant à déterminer le moment où la poésie de Char rencontre la question de l’histoire, le premier chapitre commence par examiner la présence de l’époque dans les poèmes et les textes de la première période de l’œuvre, depuis la publication d’Arsenal, en 1929, jusqu’à celle du Marteau sans maître, en 1934. Les textes antérieurs, non retenus par le poète, ne sont pas pris en compte : le recueil choisi par l’auteur pour son entrée en poésie est le signal d’une rupture inaugurale avec les formes d’écriture précédentes, mais aussi et surtout, avec le lecteur et la société tout entière. L’œuvre elle-même, plaçant Arsenal à son ouverture, fournit le premier repère d’une étude des prises de position de l’écriture à l’égard de son temps. À partir de là, il s’agit de savoir si la relation polémique à l’époque se limite à une dénonciation des événements et de la société contemporaine ou bien si l’enjeu politique du poème est inséré dans une perspective temporelle plus large, suggérant, à l’image de l’avertissement écrit après coup, en 1945, pour la deuxième édition du Marteau sans maître, le déploiement d’un horizon historique.

Le deuxième chapitre prend pour point de départ le tournant que constitue la « Dédicace » de Placard pour un chemin des écoliers. Pour la première fois dans l’œuvre, une temporalité historique, comprise à l’échelle des générations et de l’action des hommes, est présupposée par l’écriture. La dénonciation politique caractéristique de la période surréaliste se double d’une inscription de l’événement dénoncé (la guerre d’Espagne) dans le temps de l’histoire. Que s’est-il passé pour que soit ainsi suspendu le désir de destruction qui, dans les premiers recueils, visait toute représentation historique ? L’apparition de l’histoire dans ce texte semble être le corollaire de la gravité des circonstances et d’une responsabilité assumée par le sujet. C’est ce que confirme la seconde irruption du temps de l’histoire dans l’œuvre. Sous la pression d’un autre événement désigné dans l’écriture par sa force de rupture, le début de la guerre en 1939, le sujet accomplit progressivement ce que la « Dédicace » annonçait : le temps d’un « je » accepte et prend en charge le temps d’un « nous ». Dans les poèmes de Seuls demeurent, en effet, le sujet affirme et figure son engagement dans l’histoire, non sans prendre soin de réserver à la poésie un espace d’autonomie : l’engagement du sujet ne se confond pas avec celui de l’écriture.

Le troisième chapitre est consacré à Feuillets d’Hypnos. Nouveau tournant dans l’œuvre, ce recueil se remarque d’abord à la singularité de son écriture. Les poèmes en prose de Seuls demeurent et les aphorismes de Partage formel cèdent la place aux notes des feuillets. La proximité de la poésie avec les circonstances atteint ici un point culminant. D’une part, en effet, la violence de l’événement met en cause jusqu’à la nécessité de l’écriture ; celle-ci, d’autre part, est presque toujours tendue par le combat du sujet engagé dans l’action de résistance. Bien que liée à des facteurs biographiques, cette proximité n’est pas seulement contingente. Elle s’appuie sur une exigence : face au dérèglement du temps, à la perte de continuité et de totalité que désignent les notes de Feuillets d’Hypnos, il s’agit de poser par l’écriture la possibilité d’agir en vue d’un après. Les feuillets sont « affecté[s] » par une crise de l’histoire, mais celle-ci appelle en contrepartie l’affirmation, apparemment paradoxale, d’une temporalité historique.

Dans le quatrième chapitre, l’étude des textes critiques et journalistiques d’après-guerre, recueillis ou non dans Recherche de la base et du sommet, cherche à préciser le discours de Char sur son époque pendant cette période. Les prises de position sont nombreuses : Char, incontestablement, participe à la vie politique et intellectuelle de l’après-guerre. Mais son engagement s’y révèle tout à fait singulier : il s’accompagne progressivement d’un rejet radical de l’histoire. Cette dernière n’est plus soutenue, comme dans Feuillets d’Hypnos, par l’affirmation d’un « présent historique ». La persistance du mal, après la défaite nazie, vient remettre en cause la confiance dans la possibilité de l’action collective. C’est à ce moment-là qu’on peut parler pour l’auteur d’une crise de l’histoire. Le chapitre cherche à la circonscrire et à déterminer les nouvelles relations au temps qu’elle implique. Mais il montre aussi combien persiste, par delà la dénonciation de l’histoire, l’affirmation d’une responsabilité du sujet envers l’époque. On est alors invité à s’interroger sur le sens et la réalité du retrait que le poète revendique parallèlement.

Le théâtre de Char, écrit dans l’après-guerre, témoigne directement de l’importance de l’histoire dans cette période de l’œuvre. Le cinquième chapitre examine trois pièces de théâtre, qui ont en commun d’avoir été initialement conçues comme scénarios pour le cinéma : Le Soleil des eaux, Sur les hauteurs et Claire. Le choix de ces moyens d’expression semble lié à un contexte d’amitiés et de fraternités, à des espaces collectifs, ceux du maquis ou de la communauté des habitants de l’Isle-sur-la-Sorgue. La guerre en est proche, et avec elle l’horizon d’une possibilité d’action dans l’histoire. Dans le prolongement de cette confiance, Char s’appuie d’abord, dans Le Soleil des eaux notamment, sur la spécificité générique de ces œuvres, qui permet l’instauration d’une communauté de spectateurs et l’exploitation narrative de la durée. L’évolution des trois scénarios, qui datent respectivement de 1946, 1947, et 1948, montre toutefois un changement progressif dans les conceptions du temps collectif et dans l’importance qui lui est accordée. Sur les hauteurs se déploie dans un univers dégagé des exigences politiques. Le libre plaisir de son évocation n’est relié au temps de l’histoire que par sa valeur de « contre-terreur ». Claire s’appuie sur un passé commun aux spectateurs, celui de l’Occupation, mais au cours de ses réécritures en « tableaux » successifs, le scénario met en question, tout en conservant sa fonction de dénonciation politique, la possibilité d’une histoire collective.

Le sixième chapitre aborde la crise de l’après-guerre du point de vue des recueils poétiques. Deux étapes importantes sont examinées : l’écriture du Poème pulvérisé et la publication de Fureur et mystère. Écrit en 1947, Le Poème pulvérisé est le premier recueil de poèmes composés après la guerre. À la différence des textes journalistiques qui, face au constat de la persistance du mal, témoignent d’un progressif abandon de l’espoir d’agir dans l’histoire, les poèmes, eux, mettent d’emblée au passé l’événement de la guerre et le présentent comme une catastrophe qui excède toute représentation historique. Placés au seuil d’une nouvelle ère, ils désignent cette catastrophe comme une césure à l’échelle de la Création. L’écriture poétique vient alors faire contrepoids à cette crise par l’image de la pulvérisation. Celle-ci, qui n’est pas synonyme de forme fragmentaire, implique un rapport au temps fondé sur la reconnaissance de la finitude et sa transmutation en force du devenir. Mais, en 1948, par la publication de Fureur et mystère, la force de rupture du Poème pulvérisé est intégrée à une unité avec laquelle elle entre en tension. Le rassemblement des poèmes écrits de 1938 à 1948, de l’avant à l’après-guerre, infléchit en effet le sens des recueils, dessine un parcours et commence à faire de la guerre un axe de l’œuvre.

Quelle écriture attendre après Fureur et mystère ? Le livre annonce la fin de l’association entre le temps d’un « je » et celui d’un « nous », entre le sujet et ses contemporains. Le septième et dernier chapitre examine, dans Les Matinaux, la question du désengagement de l’écriture poétique. Cette dernière n’aurait-elle d’autre alternative que le regret et la répétition d’une période désignée par l’œuvre comme centrale et exemplaire, d’un côté, l’abandon de toute préoccupation politique au profit d’autres chemins ouverts par l’appel de « l’inconnu », de l’autre ? Pour une large part, Les Matinaux est un recueil de « l’insouci », d’une légèreté revendiquée. Mais pour une part tout aussi importante, le recueil poursuit la dénonciation de l’époque et le travail d’élucidation de la situation qui caractérise Feuillets d’Hypnos. Seulement, la perspective d’un après a disparu et le ton lui-même a perdu sa gravité. Une nouvelle position se définit ici pour la poésie : après l’abandon de l’action dans l’histoire, la vigilance et la révolte demeurent sa tâche, mais seule sa puissance simultanée de dégagement en rend possible l’accomplissement. La fin de l’étude analyse les termes de ce paradoxe : comment lutter contre le mal et maintenir une responsabilité envers l’époque, quand l’histoire n’est plus ce dont on peut attendre le changement dans la vie des hommes et que la poésie doit échapper à l’emprise de son temps ?

Notes
1.

Georges Mounin, La Communication poétique précédé de Avez-vous lu Char ?, Paris, Gallimard, coll. « Les Essais », 1969, p. 30.

2.

Ibid., p. 31.

3.

Jean-Claude Mathieu, La Poésie de René Char ou le sel de la splendeur, Paris, Librairie José Corti, [1984] 1988, vol. I, « Traversée du surréalisme », p. 13.

4.

Éric Marty, René Char, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Les Contemporains », 1990. Nous nous limitons, dans ce parcours de la critique charienne, aux ouvrages par rapport auxquels se situe la problématique que nous avons définie pour notre travail. Pour une présentation plus exhaustive des travaux consacrés à Char et de la diversité de leurs approches, nous renvoyons à l’article de Patrick Née, « Dix années de critique sur Char », Revue des sciences humaines, n°233, janvier-mars 1994, pp. 115-153, ainsi qu’au livre récent de Bengt Novén, René Char. Interprétations, interrogations, Åbo (Finland), Åbo Akademi University Press, 2002.

5.

C’est ce que rappelle Jean-Claude Mathieu qui, tout en en maintenant les acquis essentiels du structuralisme, en désigne les limites : « La structuration d’un langage annule, ou dialectise, l’opposition de la genèse et de la structure, de la vie et de l’écrit . La vie est partie prenante ou plutôt partie prise, dans le mouvement de l’écriture » (op. cit., vol. I, p. 11). Ce qui n’élimine pas, évidemment, la différence entre le sujet de l’écriture et le sujet biographique, mais invite à penser leur relation. Aussi le témoignage biographique ne peut-il remplacer l’analyse de l’œuvre : les informations circonstancielles confiées par Char à Paul Veyne, par exemple, et consignées dans son ouvrage, René Char en ses poèmes, Gallimard, coll. « Tel », 1990, sont loin d’épuiser la compréhension des recueils.

6.

Georges-Louis Roux, La Nuit d’Alexandre. René Char, l’ami et le résistant, Paris, Éditions Grasset et Fasquelle, 2003.

7.

Jean Pénard, Rencontres avec René Char, Paris, Librairie José Corti, 1991.

8.

P. Plouvier, R. Ventresque, J.-C. Blachère, Trois poètes face à la crise de l’histoire. André Breton – Saint-John Perse – René Char, Actes du colloque du 22-23 mars 1996, Université Paul Valéry-Montpellier III, Paris, L’Harmattan, 1997.

9.

Bengt Novén, op. cit., p. 12.

10.

Ibid.

11.

Patrick Née, « Le Temps comme retour dans Fureur et mystère », in Autour de René Char. « Fureur et mystère ». « Les Matinaux », Actes de la journée René Char du 10 mars 1990, Didier Alexandre éd., Paris, PENS, 1991, pp. 93-108.

12.

Patrick Née, Le Sens de la continuité dans l’œuvre de René Char, thèse de doctorat nouveau régime, sous la direction de Marie-Claire Dumas, Paris, Université Paris VII, 1986.

13.

Par historicité, nous entendons ici les deux sens mentionnés par Henri Meschonnic, un sens général de situation des discours dans un lieu et une époque, et un sens propre à la théorie de l’auteur comme « contradiction tenue entre la résultante des lignées qui mènent, et la nécessité vitale à ce moment précis de ne pas être défini par elles. » (Critique du rythme, Verdier, 1982, p. 27). Voir à ce propos l’ouvrage de Lucie Bourassa, Henri Meschonnic. Pour une poétique du rythme, Paris, Bertrand-Lacoste, coll. « Référence », 1997, pp. 45-48.

14.

Philippe Jaccottet, L’Entretien des Muses, Paris, Gallimard, 1968, p. 179.

15.

Daniel Guillaume, « Déplacement des glaciers. Récit d’entretiens avec André du Bouchet », in Poétiques et poésies contemporaines, Daniel Guillaume dir., Cognac, Le temps qu’il fait, 2002, pp. 121-135.

16.

Ibid., p. 131. Les passages en italiques correspondent vraisemblablement, dans ce récit d’entretiens, aux formulations d’André du Bouchet lui-même.

17.

Jean-Marie Gleize, A noir. Poésie et littéralité, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Fiction & Cie », 1992, p. 101.

18.

Jean-Pierre Martin, « Critiques de la raison poétique » in Poésie de langue française 1945-1960, Marie-Claire Bancquart dir., Paris, PUF, 1995, p. 247.

19.

Christian Prigent, Ceux qui meRdrent, Paris, P.O.L., 1990, p. 64.

20.

Jean-Marie Gleize, La Poésie. Textes critiques XIV e -XX e siècle, Paris, Larousse, 1995, p. 281.

21.

Ibid.

22.

René Char 10 ans après, Actes du colloque du 21 mars 1998, Université Paul Valéry-Montpellier III, Paul Plouvier dir., Paris, L’Harmattan, 2000, p. 6.

23.

Ibid., p. 11.

24.

Michel Collot, « La présence de l’imparfait », in René Char 10 ans après, op. cit., p. 16, repris dans Paysage et poésie du romantisme à nos jours, Paris, Librairie José Corti, 2005, p. 258.

25.

Jean-Claude Mathieu, op. cit., vol. I, p. 11.

26.

Ibid., p. 15.

27.

Ibid., p. 17.

28.

Michel Collot, « La présence de l’imparfait », art. cit., p. 29.

29.

Henri Meschonnic, Pour la poétique I, Paris, Gallimard, coll. « Le Chemin », 1970, p. 175.

30.

Henri Meschonnic, Pour la poétique IV. Écrire Hugo, Paris, Gallimard, coll. « Le Chemin », 1977, p. 209.

31.

Ibid., p. 210.

32.

Dominique Maingueneau, Le Contexte de l’œuvre littéraire. Énonciation, écrivain, société, Paris, Dunod, 1993, p. 123.

33.

Ibid., p. 134.

34.

Dominique Maingueneau, Le Discours de l’œuvre littéraire. Paratopie et scène d’énonciation, Paris, Armand Colin, 2004, p. 191.

35.

Ibid., p. 109.

36.

Ibid., p. 94.

37.

Dominique Combe, « La référence dédoublée », in Figures du sujet lyrique, sous la direction de Dominique Rabaté., Paris, PUF, 1996, pp. 39-63.

38.

Ibid., p.62.