Chapitre 2. L’histoire, entre je et nous

Avec la « Dédicace » de Placard pour un chemin des écoliers, datée de mars 1937, l’histoire fait irruption dans l’œuvre de Char. Pour la première fois, la dénonciation d’un événement contemporain, la guerre d’Espagne, se double de l’inscription de cet événement dans une temporalité historique. L’horizon d’immédiateté politique de l’écriture prend la dimension d’une durée comprise comme processus à l’échelle des hommes et de leurs actions. Que s’est-il passé pour que le désir de destruction dont l’histoire faisait l’objet se transforme en une affirmation, même implicite, du temps de l’histoire ? La gravité des événements modifie le rapport du sujet à son époque. Une responsabilité s’affirme, et avec elle une conception du temps qui pose la durée de l’existence et l’échelle des générations comme repères : le temps de l’histoire se glisse au point d’articulation entre le temps d’un je et celui d’un nous. L’irruption de l’histoire apparaît comme le corollaire d’une responsabilité assumée.

On peut alors dire que l’histoire surgit dans l’œuvre sous la pression des circonstances, mais en un double sens : un événement y est reconnu avec une force de rupture qui impose sa présence dans l’écriture, et en même temps cet événement appelle son insertion dans le temps de l’histoire. Dans les recueils eux-mêmes, toutefois, l’histoire n’est pas immédiatement présente. C’est sous la pression d’une nouvelle situation, d’autres circonstances, l’entrée en guerre en septembre 1939, que le temps du je s’affirme complètement comme un temps du nous. Dans ce cheminement, seuls seront examinés ici les textes et recueils significatifs de l’engagement du sujet dans l’histoire, depuis la « Dédicace » de Placard pour un chemin des écoliers jusqu’à cet autre moment de rupture que représente l’écriture de Feuillets d’Hypnos.