Chapitre 4. La crise de l’après-guerre. les textes de recherche de la base et du sommet

Il est remarquable que dans les textes critiques aussi bien que dans son œuvre poétique, Char désigne comme un tout la période de la guerre et de l’immédiat après-guerre. Fureur et mystère rassemble des poèmes écrits de 1938 à 1948 et la première section de Recherche de la base et du sommet dans l’édition de 1955, porte comme dates 1941-1948 ²⁸⁹ , mention qui disparaîtra des éditions ultérieures. Contrairement à toute attente, les dates de 1944 (libération de Paris), ou de 1945 (armistice), dates historiques et certainement primordiales pour le résistant que fut Char, ne sont pas désignées dans l’œuvre comme des ruptures. C’est bien plutôt la date de 1948 qui est présentée comme un tournant. Que signifie une telle périodisation ?

L’examen des textes repris dans Recherche de la base et du sommet fournit un premier élément de réponse, qui sera complété dans les chapitres suivants par l’étude des œuvres théâtrales et des recueils poétiques. L’apparition, quelques années après la fin de la guerre seulement, d’un moment de rupture, d’un tournant, d’ailleurs lui-même complexe quant à sa datation, montre une continuité de la guerre à l’immédiat après-guerre d’abord, puis une progressive dissociation du temps de l’histoire et du temps du sujet. Mais il ne s’agit pas d’une simple séparation entre le temps d’un « je » et celui d’un « nous » qui serait symétrique à leur superposition dans Seuls demeurent. Cette rupture est liée à la persistance de l’horreur qui s’est révélée pendant la guerre, à l’absence de changement profond apporté par la fin du conflit. C’est alors seulement que se manifeste pleinement pour le sujet la crise de l’histoire : la possibilité d’agir et de transformer le devenir des hommes se révèle illusoire. Et s’il est certain que le sujet se désengage, tout en dénonçant l’omniprésence de l’idéologie de l’histoire chez ses contemporains, il reste à comprendre ce que signifie la responsabilité qu’il continue d’affirmer et la forme de relation au temps qu’elle implique.