3. Crise de l’histoire

La crise d’après-guerre réside dans le constat de la non disparition du mal : « Ce qui suscita notre révolte, notre horreur, se trouve à nouveau là, réparti, intact et subordonné, prêt à l’attaque, à la mort » (« Heureuse la magie… »). Du coup, l’idée même d’histoire, la confiance en l’événement historique en tant que phénomène qui ne se répète pas, fondements nécessaires à la lutte pendant la période du maquis, s’effondrent au lendemain de la guerre et infléchissent profondément le rapport du sujet à l’avenir. Le retour régulier, inévitable du mal, « marque d’une fatalité maligne » (« Note sur le maquis »), pourrait engendrer un fatalisme. Le problème dès lors sera de définir une éthique de l’action dans un contexte de lucidité qui ne laisse aucun doute sur l’absence complète de changement profond.

En inscrivant les dates 1941-1948 à l’ouverture de la première édition de Recherche de la base et du sommet, Char accomplit ce geste paradoxal d’inscrire dans le temps de l’histoire un ensemble de textes qui dessinent un parcours, de l’engagement dans la lutte au constat de la persistance du mal, lequel vient remettre en cause l’idée de changement dans l’histoire. Par là l’auteur dissocie en réalité le temps calendaire du temps historique, habituellement liés : le temps du calendrier possède une valeur collective dans la mesure où il « intègre la communauté et ses coutumes à l’ordre cosmique », selon les termes de Paul Ricoeur 300 . C’est, en outre, par la datation que « nous pouvons nous situer nous-mêmes dans la vastitude de l’histoire, une place nous étant assignée parmi la succession infinie des hommes qui ont vécu et des choses qui sont arrivées » 301 . Or le temps du calendrier, annoncé sur la première page de Recherche de la base et du sommet, change de signification lorsqu’on le confronte au contenu du recueil. Char inscrit ses textes dans une partie déterminée du temps historique tout en montrant que celle-ci ne forme pas une période historique signifiante comme telle. Par là il introduit un rapport original, en partie subversif, entre son œuvre et le contexte historique. Notons qu’il ne se détache pas de ce dernier ; au contraire, il le maintient présent pour mieux le remettre en cause.

En effet, l’absence de changement, ou la réapparition de ce qui persiste sans être continûment visible, est contraire à l’idée d’histoire implicitement présente, avec des nuances variées, de la « Dédicace » de Placard pour un chemin des écoliers à l’horizon de la lutte au maquis. La triple exclamation « Honte ! Honte ! Honte ! » de mars 1937, l’appel aux « Châtiments ! Châtiments ! » du poème « 1939 Par la bouche de l’engoulevent » de Seuls demeurent, l’inscription, en dédicace d’un exemplaire de Feuillets d’Hypnos, de cette formule significative : « dans la justice de l’histoire » 302 , tous ces éléments, parfois contrebalancés par une mise en garde contre le « bouge de l’historien », par une « interdiction de croire », garantie de lucidité, désignent, dans l’œuvre de Char avant et pendant la guerre, une conception générale de l’histoire comme résultat de l’action des hommes. Cette idée se rapproche de l’une des trois principales nouveautés de perception du présent historique apportées par la philosophie des Lumières, comme le rappelle Paul Ricoeur : « la croyance que les hommes sont de plus en plus capables de faire leur histoire », la capacité conférée à l’humanité d’être « l’agent de sa propre histoire » 303 . Or le retour du mal, l’absence de changement profond dans la condition humaine, remet en cause cette confiance dans l’action des hommes, tout autant qu’elle bouleverse d’autres fondements du concept d’histoire, celui d’un sens, d’une direction associée à une signification, dans l’enchaînement des faits, ou encore la simple pensée, non téléologique, d’un développement. Significative à cet égard, la variante observable sur le manuscrit de « Dominique Corticchiato », dans le deuxième paragraphe, au sujet des camps en Allemagne : « Là-bas triomphe une horreur qui atteint d’emblée son âge d’or par la chute calculée en poussières vivantes du corps de l’homme vivant et de sa conscience vivante. L’infaillible nouvelle nature d’une race de monstres a pris sa place < dans l’Histoire → parmi les mortels >. » 304 Fait suite la mention de la résistance des « jeunes êtres » qui « part[ent] à l’assaut de l’impossible ». Si c’est « dans l’Histoire » que le monstrueux prend place, alors il est encore concevable de lutter contre lui et de le surmonter. En remplaçant « dans l’Histoire » par « parmi les mortels », la perspective n’est plus la même : le pessimisme l’a emporté au moment de la réécriture, comme le montre aussi la suppression des références au futur dans la phrase qui suit immédiatement : « […] la chose court le monde, reconnaissant et annexant les siens [, piquant ses futurs disciples, étalant ses résultats]. » 305 Ces transformations éliminent la dynamique qui faisait exister cette « nouvelle race de monstres » dans le mouvement du temps ; elles associent le mal à une forme d’immuabilité. On mesure ici le changement par rapport au premier Billet à Francis Curel, daté de 1941, qui manifestait une confiance dans la mutabilité des situations en énonçant le vœu d’attendre « aussi longtemps qu’il ne se sera pas produit quelque chose qui retournera entièrement l’innommable situation dans laquelle nous sommes plongés ». Ce « quelque chose » ne s’est finalement pas produit, la situation n’a pas été « entièrement retournée ».

La persistance du mal détruit aussi le travail de mise en relation du passé avec la nouveauté du présent, ce dernier ne semblant plus pouvoir être expliqué par la recherche de causes chronologiquement antérieures. Sauf à recourir à la notion de Providence et à l’idée d’un plan de Dieu inaperçu des humains, ce qui est étranger aux conceptions de Char, la persistance du mal est la négation des quelques principes fondamentaux que partagent aussi bien les pensées de l’histoire dans l’Antiquité que celles de l’époque moderne. Changement et nouveauté sont, par exemple, les deux premières conditions de la notion d’histoire, quand elle apparaît avec Hérodote et Thucydide ; à quoi il faut ajouter la volonté de comprendre l’événement par la recherche de ses causes, et la nécessité d’établir une relation dynamique entre le passé et le présent par le travail de la mémoire. C’est l’ampleur de la nouveauté de la Guerre du Péloponnèse qui pousse Thucydide à en faire le récit et à l’expliquer. Si, selon Char, rien ne change réellement, de la guerre à l’après-guerre, ce premier principe de l’histoire, la reconnaissance d’un événement qui crée une rupture dans la vie des hommes et des sociétés, disparaît. De même, les pensées de l’histoire qui naissent au XVIIIe siècle s’appuient sur l’idée d’une signification de la place de chaque époque au sein de la totalité du déroulement historique, considéré en fonction d’un principe téléologique immanent. La persistance du mal après-guerre, la résurgence d’une force de destruction jamais complètement éliminée, fait disparaître l’idée d’une direction de l’histoire et la possibilité de sa signification. Déplorant « la marque d’une fatalité maligne », « la même dont on entrevoit périodiquement l’intervention au cours des tranches excessives de l’Histoire » (« Note sur le maquis »), Char non seulement remet en cause l’idée, portée à son plus haut degré par la philosophie hégélienne, d’une finalité qui donnerait une cohérence et un sens à l’histoire, mais il vise aussi la notion de progrès, qu’elle soit de l’ordre d’un devoir-être nécessaire à la philosophie morale, comme chez Kant, ou qu’elle soit considérée comme effective dans le cours des choses 306 .

À l’opposé de ces conceptions de l’histoire, on trouve désormais dans l’œuvre de Char des « hommes qui remuent et divergent », un « effritement », sans direction, ni construction : « Base et sommet, pour peu que les hommes remuent et divergent, rapidement s’effritent. » Telle est la proposition qui ouvre la section du livre consacrée aux textes sur la guerre et le maquis. Loin de les présenter comme des témoignages sur une période de l’histoire, elle en fait par avance l’illustration d’une absence d’unité, d’une absence de cohérence, décourageant la recherche, « dans ce cours absurde des choses humaines » (Kant) 307 , d’un ordre et d’un sens. Ce geste prend le contrepied du point de vue par lequel l’enchaînement des événements peut être constitué en histoire. Il n’y a plus entre la « base » et le « sommet » ce mouvement dialectique qui agit comme moteur de l’histoire, selon les conceptions marxistes en particulier, peut-être – on y reviendra – discrètement visées ici par Char. Tout au plus trouve-t-on dans tel texte écrit au début de la période couverte par l’ensemble de Recherche de la base et du sommet une représentation successive du temps historique : « Dans la rapide succession des espoirs et des déceptions, des soudains en-avant suivis de déprimantes tromperies qui ont jalonné ces quarante dernières années, […] » (« Note sur le maquis »). Successif, ce mouvement du temps reste cependant sans direction. Caractérisé par sa périodicité, celle de l’intervention d’une « fatalité maligne », il est composé non d’époques mais de « tranches ». Le choix de ce terme dans cette « Note sur le maquis » implique un autre point de vue sur l’histoire. Alors qu’une époque ou une période se définit par sa cohérence d’une part, par sa localisation au sein d’une totalité présupposée par rapport à laquelle elle prend sens d’autre part, que cette totalité soit ordonnée, comme dans les théories téléologiques des Lumières, ou qu’elle soit conçue, comme dans des réflexions plus récentes, selon une relation de va-et-vient entre le particulier et l’universel, le terme de « tranches » en revanche, présuppose un prélèvement arbitraire sur un ensemble non orienté par un commencement et une fin.

Cette perception de l’histoire est radicalisée dans le texte introductif du recueil, « Base et sommet… » : les images associées à l’histoire y connotent un mouvement délibérément non linéaire et non orienté. « Ses passes magnétiques, ses dilatations, ses folâtreries » donnent de l’histoire l’image d’une femme capricieuse, imprévisible, aux pouvoirs occultes. Proche des thèmes surréalistes par la féminisation, l’érotisation, et la référence au magnétisme, ce texte situe l’histoire dans une perspective radicalement opposée à celles des philosophies de l’histoire et à leur effort de rationalisation. Or cette figuration de l’histoire, qui associe le caché, le souterrain, à la séduction trompeuse, revient avec constance dans les textes de l’époque. Un passage de l’entretien de 1952 avec Pierre Berger pour La Gazette des Lettres, repris dans « Impressions anciennes », parle des « poisons souterrains » du nazisme, et une des légendes des illustrations de « Faute de sommeil, l’écorce… », texte daté de 1957, dans « La Nuit talismanique », déclare : « Sortir de l’Histoire se peut. En dynamitant ses souterrains. En ne lui laissant qu’un sentier pour aller. » 308 La figuration de l’histoire recourt certes à des catégories spatiales, mais strictement opposées à celles de linéarité et de successivité. Le souterrain bouleverse les conceptions courantes du temps, qui font appel à la figure de la ligne : « Nous ne pouvons pas ne pas nous représenter, sinon le temps entier, du moins des parties déterminées du temps – un jour, une semaine, un mois, une année, un siècle –, parties que nous avons besoin de délimiter par deux extrémités qui sont des instants-coupures, afin de pouvoir les comparer, les mesurer en multiples d’unités, etc. La ligne est la figure requise pour cette détermination des parties du temps. » 309 Les figurations explicites du temps de l’histoire chez Char se fondent elles aussi sur un imaginaire spatial, mais c’est, chez lui, pour mieux subvertir les configurations léguées par les idéologies du progrès qui assimilent le temps de l’histoire au mouvement physique.

Mais il y a plus : on ne relève pas seulement, à l’examen des textes de Recherche de la base et du sommet, le bouleversement d’une conception de l’histoire, jusque là implicitement présente. Char va plus loin et affirme un refus de « l’histoire », qu’il nomme comme telle.

La section « Recherche de la base et du sommet » du recueil de 1955 s’ouvre, on s’en souvient, sur cette phrase : « Base et sommet, pour peu que les hommes remuent et divergent, rapidement s’effritent. » Or ce début a, plus qu’il n’y paraît d’abord, une véritable valeur d’opposition. Le commencement du deuxième paragraphe donne une indication sur l’affirmation implicite à laquelle s’oppose cette première phrase : « Pourquoi me soucierais-je de l’histoire […] ». Une forte cohérence logique relie le début de chaque alinéa : « Base et sommet s’effritent »/ « Pourquoi me soucierais-je de l’histoire »/ « Je m’inquiète de ce qui s’accomplit sur cette terre ». Un mouvement se dessine, d’un constat à l’affirmation d’une conduite, sous-tendu par un raisonnement implicite qui fait de la première proposition la raison d’être des deux affirmations suivantes. Ce rejet de l’histoire est confirmé par le texte de « Faute de sommeil, l’écorce… » en 1957. Le rejet de l’histoire devient ainsi plus explicite à partir de 1955, date de la publication de Recherche de la base et du sommet. Ce recueil est à comprendre en partie comme une réponse à la question de l’histoire, signe qu’elle s’est posée avec force à cette époque pour le poète.

La force de ce refus est à la hauteur d’une tentation, elle-même corrélée à une certaine conception de l’avenir que Char rejette vivement. Dans une version manuscrite du texte « Base et sommet… » qui ouvre le recueil, le deuxième paragraphe commence ainsi : « Pourquoi, [sagace ou inepte Cassandre,] me soucierais-je de l’Histoire, vieille dame jadis blanche, maintenant flambante, énorme sous la lentille de notre siècle biseauté ? » 310 Le syntagme « sagace ou inepte Cassandre », barré sur le manuscrit, montre bien la place primordiale de l’avenir que présuppose l’histoire dénoncée par Char, l’avenir qu’on cherche à anticiper, de manière plus ou moins perspicace, et qui guide l’action dans l’histoire. Se soucier de l’histoire, c’est, d’après ce texte, se référer à une attitude d’esprit qui élabore des modèles d’explication des faits permettant de déduire leur développement. Or, par l’image de la vieille dame folâtre et précieuse, l’auteur souligne la part de tromperie, de factice et aussi d’imprévisible qui caractérise l’histoire. Cette image la désacralise, la relativise en dénonçant l’excès du siècle, et l’erreur de son regard : « maintenant flambante, énorme sous la lentille de notre siècle biseauté ». C’est au contraire un ajustement du regard, l’obtention d’une distance juste avec les choses que s’efforce de définir le sujet à cette période.

Ce rapport à l’avenir, fondé sur la prévisibilité de celui-ci, peut expliquer l’attrait de l’histoire. Le texte « Base et sommet… », personnifie l’histoire dans une description au ton léger, presque badin : « Elle nous gâche l’existence avec ses précieux voiles de deuil, ses passes magnétiques, ses dilatations, ses revers mensongers, ses folâtreries ». Sur le même feuillet manuscrit figurent ces phrases barrées, à la fin du texte : « Ne nous attardons pas auprès de la vieille dame. Ne répondons pas à ses saluts. » 311 C’est une manière de la faire descendre de son piédestal, et de prendre le contre-pied de l’importance qu’elle a pour les contemporains, pour « notre siècle » selon les mots de Char 312 . D’où ces traits donnés à la « vieille dame », sorte de sirène inversée, dont la séduisante tromperie serait de pousser les hommes vers quelque but lointain à l’horizon de son périple, et de les détourner de l’ici et maintenant. Le refus de cette tentation de l’histoire, qui est tentation de se projeter dans un avenir prévisible, se lit aussi dans l’entretien de 1952 avec Pierre Berger, repris avec de légères variantes dans « Impressions anciennes » :

‘Je vous parle en tant qu’être qui vit sur une terre présente, immédiate et non en tant qu’être ayant mille ans de pas devant lui. Je parle pour les hommes de mon temps qu’on fait mourir comme jamais, et non hypothétiquement pour les hommes du lointain. On a coutume pour nous tenter, d’allonger l’ombre claire d’un grand idéal devant nous. Pourtant l’âge d’or promis ne pourrait l’être que dans le présent. La perspective d’un paradis a bouffé l’homme. 313

Dans ces phrases sont renvoyés dos à dos le millénarisme chrétien (« je n’ai pas mille ans ») et les idéologies du progrès de l’humanité, pour en dénoncer la superstition. Cette forme de démystification, qui apparaît avec vivacité dans les textes de Char de ces années-là, est à la mesure des attentes déçues, mais aussi de la force de ces idées dans le contexte d’après-guerre, et de la nécessité pour Char de s’y opposer. Toutefois le recours aux manuscrits aussi bien qu’aux entretiens d’abord non repris dans Recherche de la base et du sommet montre bien le travail de décontextualisation auquel Char s’est livré au moment de composer le recueil. La question de l’histoire est un arrière-plan implicite, peut-être placé dans l’ombre en raison de sa trop forte actualité et de la distance mesurée qu’elle appelle en retour.

Si l’on examine en effet les interventions de Char dans les revues ou les quotidiens de l’après-guerre, le contexte intellectuel et politique par rapport auquel il se situe apparaît plus explicitement que dans les seuls textes retenus, et parfois retravaillés, pour Recherche de la base et du sommet. Plusieurs articles dans des quotidiens communistes, des prises de position ou de simples déclarations dans d’autres journaux et dans des entretiens, montrent que Char n’échappe pas aux formes et aux thèmes du débat tel qu’il est posé de manière prépondérante par les intellectuels communistes ou favorables au parti communiste 314 . Or, entre autres questions fondamentales pour ces derniers, celles de l’histoire et du progrès ne manquent pas de susciter la réaction de Char.

On peut relever un certain nombre de textes dans lesquels Char, de 1946 à 1952, prend position par rapport à l’idéologie du parti communiste ou, dissociant la théorie de la pratique, par rapport à sa politique. Patrick Née, dans son article « René Char dans l’arène idéologique de son temps : les utopies sanglantes du XXe siècle » 315 , suivant de près l’évolution des interventions de Char dans la presse, relève que « passés les tout premiers temps de la Libération – où le poète rend hommage au jeune poète-résistant de son propre maquis, Roger Bernard, dans Les Lettres françaises d’Aragon en 1945, ou bien donne à Action un ‘Territoire d’Ariel’ la même année, et sa réponse à l’enquête ‘Faut-il brûler Kafka ?’ l’année suivante – Char boude la presse communiste qui s’engage dans la Guerre Froide (et dissipe les illusions de ‘front uni’ des résistants de la période précédente) ; tout en faisant la distinction entre la ‘base’ des communistes de bonne foi, et leurs ‘cadres marxistes’, comme l’exprime nettement sa réponse à Carrefour. » Dans un premier temps, Char se montre en effet assez conciliant : « Faut-il brûler Kafka ? », avec son ton mesuré, révèle une nette volonté de ne pas froisser les communistes. Patrick Née note combien, dans cette réponse, Char « croit pleinement au dialogue avec un auditoire communiste encore lié par l’idéal commun de la résistance ». À preuve, selon lui, le début de ce discours commençant par « une mise au point qui certes prend ses distances par rapport au marxisme orthodoxe de La Littérature comme superstructure – mais qui, de fait, se situe sur son terrain : ‘Les impératifs sociaux et politiques […] influencent, certes, les formes et les thèmes de l’œuvre littéraire sans toutefois qu’on soit en droit d’affirmer qu’ils la déterminent entièrement’ », rappelle Patrick Née en citant le texte de Char. Cette volonté de conciliation de la part du poète n’empêche pas cependant des prises de position sans ambiguïté. Pour le propos qui nous intéresse, notons que Char prend soin de préciser, notamment, le sens qu’il accorde au mot « progrès » : « c’est-à-dire le signe + ». Cette précision est tout à fait significative du contrepied qu’il entend prendre face à une conception de l’histoire qui, comme chez les communistes à qui il s’adresse, voit dans la succession des époques une série d’étapes ordonnées par une finalité 316 . Le « signe + » écarte une conception du progrès comme progression–amélioration, et se rapproche en revanche d’une métaphore quasiment physique, par laquelle Char représente la progression du devenir comme animée par la tension héraclitéenne entre une polarité négative et une polarité positive : le progrès comme processus dynamique, marche en avant, où il faut entendre la racine latine « progredi », beaucoup plus qu’une ascension vers un mieux. Par là, Char répond aussi, comme le fait remarquer Patrick Née, au « mythe communiste de base », Prométhée, dont on a vu qu’il animait, chez les philosophes des Lumières, une conception de l’histoire comme produit de l’action des hommes. Sans exclure totalement cette conception en 1946, date de publication de cet article, Char, qui a lui aussi, pendant la guerre, compté sur les forces propres de l’homme dans la mise en œuvre de leur destin, en souligne toutefois les limites : « Nietzsche, en particulier, qui magnifiquement sauve du nivellement l’homme à tête de tour (jusqu’à son apparition Prométhée n’était pas exempt de grotesque). » 317 Comme le fait remarquer Patrick Née dans son commentaire de cette phrase : « Autrement dit, au mythe communiste de base (Prométhée), Nietzsche a su ajouter Sade : au désir satisfait d’avoir volé le feu vient s’adjoindre le feu infini du désir. » 318

À partir de 1946, les rapports avec les communistes se détériorent, mais loin de conduire à un rejet global, cette évolution amène Char à effectuer une série de distinctions, non seulement entre la « base » et les « cadres », mais aussi entre l’idée communiste et les formes de sa réalisation dans l’histoire.

Dans ce changement, des facteurs circonstanciels ont pu intervenir. Les relations de Char avec les communistes se dégradent d’abord à cause de « l’affaire de Céreste ». Une campagne de calomnies contre les anciens résistants de la SAP, lancée par le quotidien communiste Rouge-Midi en décembre 1945, accuse le réseau de détournement de marchandises 319 . En janvier, après avoir, avec difficulté, rétabli la vérité, Char rédige un tract destiné à la population sous le titre : « On ne nourrit pas un village avec des ordures » 320 . Au sujet de cette affaire, Char écrit à Louis Leboucher (Georges Mounin) le 13 janvier 1946 :

‘Par la faute des uns et la veulerie des autres, le communisme a perdu la partie dans un département important, et quelle partie ! Car la vérité a éclaté et il faut entendre ses cuivres… Le provocateur cependant est encore là. C’est le correspondant de Rouge-Midi pour les Basses-Alpes. Un nommé Dubois que j’ai expulsé de la SAP voici un an pour détournement de fonds ! (39000 francs du service social.) Où est la morale révolutionnaire là-dedans ? […]  321

Et il ajoute cette dernière phrase, révélatrice de l’évolution de la position de Char à l’égard du parti communiste : « À la veille de cette saleté, je me sentais un cœur commun avec le PC. Aujourd’hui je regagne ma solitude et ne la quitterai pas de longtemps – je vous le jure. » Un mois plus tard, le 28 février 1946, l’assassinat du fidèle compagnon de maquis, Gabriel Besson, relance la crise. Le même journaliste communiste Georges Dubois est soupçonné par les amis de Besson et par Char. Quelques semaines plus tard, une nouvelle campagne de rumeurs, des menaces de mort et des dénonciations mensongères conduisent Char à demander une enquête au sein du parti communiste, sur Dubois. Il en appelle à Aragon, à Claude Morgan, rédacteur en chef des Lettres françaises. Malgré l’inertie des responsables communistes nationaux, Char cherche à éviter un affrontement public, selon Laurent Greilsamer qui cite cette phrase de Char : « Ne voulant pas passer dans le camp adverse, ma position ne tardera pas à devenir intenable si le Parti n’y met rapidement bon ordre. » 322 À la fin du printemps 1946, Dubois est exclu du PC.

L’actualité (les procès, la guerre froide), le climat contemporain, que révèlent les titres des enquêtes, font également évoluer la position de Char vis-à-vis des communistes. On le voit alors distinguer plusieurs plans, celui de la politique nationale (positions du PC) et de la politique internationale (relations avec l’URSS), celui de l’idéologie avancée pour justifier ces politiques, et un registre plus général, mettant en perspective l’idée communiste à grande échelle. Plusieurs entretiens, enquêtes, correspondances, de 1948 à 1954, permettent de discerner la position de Char et ses nuances.

En novembre 1948, le quotidien Carrefour lance une enquête dans laquelle il envisage une occupation de la France par l’Armée rouge : « En cas d’occupation, les Russes ont déjà une minorité du pays avec eux. Ils installent un gouvernement communiste. La minorité au pouvoir représente-t-elle la légalité ? Le fonctionnaire devrait-il rester à son poste ? […] Que faudrait-il faire ? Que feriez-vous ? » 323 La réponse de Char est sans ambiguïté : « Si la Russie commettait cette faute, il est certain que je la supporterais mal, solidaire en cela avec des millions de Français non communistes et communistes aussi, au cœur et à la raison desquels les faits parleraient plus éloquemment que les idées. » Dissocier les faits et les idées est une première pierre de touche de la position de Char, vivement conscient de la distance qui peut séparer une conception politique, si juste soit-elle, des conditions de sa réalisation. Autrement dit, pour reprendre les termes de l’analyse de Patrick Née, « la fin ne justifie pas les moyens » 324 . Char reprendra plusieurs fois cette distinction entre ce qu’il appelle la « base » ou la « racine » et le « sommet » du communisme. Notons, dans un premier temps, qu’il dissocie l’attitude des communistes, russes ou français, des idées communistes elles-mêmes. Et il se montre très ferme sur tout ce qui « pousse à la simplification, donc à la barbarie : une occupation militaire étrangère, appuyée sur une police politique, l’impose et s’en nourrit. » Il ne s’agit pas de faire une « exception pour les Russes et leurs cadres marxistes ». Mais il s’en prend tout autant, dans le même article à « l’improbité du capitalisme moderne, la bassesse politicienne, la lâcheté des privilégiés, le manque total d’humanisme des forts. » 325 Comme le note Patrick Née, « Char refuse l’argument du tiers exclu qui voudrait enfermer l’opinion dans un duel USA/URSS, capitalisme/communisme. » 326 Critique de l’attitude des dirigeants communistes, refus de devoir choisir un camp dans l’opposition entre le capitalisme et le communisme, lucidité sur la potentialité de barbarie et d’avilissement recelée par toute formation politique simplificatrice, sont des constantes des interventions de Char à cette époque. La réponse à l’enquête lancée par Jean Duché, « De quoi avez-vous peur ? », en février 1949 dans Le Figaro littéraire, commence par une diatribe contre les communistes « devenus réactionnaires » : « Personne n’ose dénoncer ce régime de Moscou, où l’on prend un homme et où on lui fait dire oui-oui à n’importe quoi. Tenez, il suffit de lire la condamnation de Tito par Moscou : il est ficelé de partout, et s’il avait raison hier, il a tort aujourd’hui. […] » Et d’ajouter, avec indignation : « Et les intellectuels communistes l’acceptent ! Ils se taisent. » Même virulence dans l’entretien avec Pierre Berger : Char discerne chez les communistes, « chats de gouttière du Kremlin », le même « esprit totalitaire » que celui qui avait sévi au temps du fascisme :

‘Souvenons-nous que ce cancer, sous le nom de fascisme, a commencé par dévorer une nation, puis une autre. Il est maintenant tapi dans l’inconscient des hommes en particulier de ceux qui s’en déclarent ses pires ennemis. Pour nous en tenir aux intellectuels, un exemple à citer, bouffon celui-là : notre orchestre national des chats de gouttière du Kremlin dans son hommage sans réplique à Victor Hugo. 327

Char remet en cause le partage entre les deux camps, Est et Ouest, distinguant la tyrannie à l’œuvre chez les uns comme chez les autres : « Hélas, les tyrans et les utopistes, leurs adversaires, me paraissent à quelque exception près, détenir même tempérament, même absolutisme, même vision erronée des lendemains de l’homme », écrit-il dans Combat en avril 1950 328 . Dans ce texte, Char distingue à côté de la religion, « pieuvre » « de taille réduite qui nous étreint le pied mais dont on se délivre facilement », une autre « plus sérieuse, gigantesque (américano-russe) qui vise à nous étouffer purement et simplement ». Les politiques américaines et russes sont ainsi renvoyées dos à dos, comme, à nouveau, dans cette lettre à Georges Mounin : « Le capitalisme est une pourriture. Le communisme une persécution. Nous voilà bien lotis » 329 .

Ce que Char critique, c’est le processus par lequel les mots et les idées ont été pervertis par la pratique sans scrupule du pouvoir, pratique partagée aussi bien à l’Est qu’à l’Ouest. Ainsi note-t-il dans sa prise de position sur l’affaire Kravchenko : « Mais que veut dire ‘révolutionnaire’ ? Ce mot trituré par les Machiavels – soviétique ou américain – n’a plus de signification et par conséquent, le verdict du procès non plus. » 330 L’hypocrisie et le machiavélisme, l’utilisation de certaines idées pour déguiser un totalitarisme de fait, sont les raisons de la virulence de Char. Entre autres dogmes asservissants, celui du bonheur au nom duquel s’exerce une « intolérance de dément ». Dans son invective contre les intellectuels communistes français, Char complète son propos par ces phrases : « Ce mal, auquel nous sommes tenus de penser, c’est le mépris d’autrui : une espèce d’indifférence colossale à l’égard de l’existence des autres et de leur âme vivante. Une intolérance de dément ! Son cheval de Troie est le mot bonheur ! […] » 331 À côté du mot « bonheur », on trouve parfois sous la plume de Char l’expression d’« Âge d’or » pour désigner la même idéologie fallacieuse par laquelle les dirigeants mènent les peuples :

‘Cette journée sera bien sommaire pour la plupart des hommes, […] car ils voient leur connaissance et leurs aspirations simplifiées. Les faire atteindre à leur plus petit dénominateur commun et les y maintenir exclusivement, voilà l’algèbre des directeurs de l’époque. Et pourtant quelle complexité satanique pour les conduire là ! Il faut toujours leur promettre l’Âge d’Or, et l’Âge d’Or, c’est la prison ! 332

Remarquons l’opposition des sèmes de la complexité et de la simplicité, sur laquelle repose la dénonciation du calcul politique des Machiavels. La métaphore de « l’algèbre » est souvent utilisée par Char pour désigner toute situation d’excès politique, comme dans ce passage de Feuillets d’Hypnos : « Je songe à cette armée de fuyards aux appétits de dictature que reverront peut-être au pouvoir, dans cet oublieux pays, ceux qui survivront à ce temps d’algèbre damnée » (feuillet 20). Non seulement les « appétits de dictature » sont toujours d’actualité au début des années cinquante, mais le « temps d’algèbre damnée » lui-même n’a pas pris fin. Seul changement, mais notable : là où la simplification était pour le combattant chef de maquis une condition nécessaire à la lucidité et à l’action, elle est désormais un outil au service des nouveaux tyrans. Signe que la situation a changé, mais aussi qu’elle s’est purement et simplement retournée, autrement dit, qu’elle est sur le fond toujours la même : la complexité est toujours « satanique », la simplification, instrument politique, est passée dans d’autres mains. L’analyse de Char met à jour les termes posés par le machiavélisme, ceux des moyens et des fins.

On trouverait enfin, avec Huis de la mort salutaire (L’interrogatoire total), un dernier exemple de la dénonciation menée par Char contre l’usage perverti des mots et contre le retournement de situation qui dissimule des bourreaux derrière des justiciers. Ce texte propose la parodie d’un interrogatoire. L’examen d’une version manuscrite conservée à la Réserve de la Bibliothèque Sainte-Geneviève 333 révèle le contexte politique que Char avait initialement donné à ce dialogue. Les protagonistes étaient nommés « [Le Commissaire] » et « [Le ‘coupable’] ». Quelques variantes significatives dénonçaient l’idéologie au nom de laquelle se fait le procès du bourrelier innocent : « Tu <aimais l’argent → étais nuisible> et tu « <trahissais → étais traître> ». L’utilisation du mot « histoire » rappelle lui aussi la condamnation par Char d’une idéologie de l’histoire qui la transforme en instrument de pouvoir :

‘[Le Commissaire]
Coupable ou suspect, tu seras celui
Dont l’Histoire dit : « <La faute est signée → Tel il s’est voulu>
Je serais <bien → assez> folle <de m’en soucier → pour approfondir ?> »’

Ces vers montrent combien s’est retournée l’idée d’une justice de l’histoire à laquelle Char croyait au sortir de la guerre. Le dialogue rappelle ces lignes du quatrième Billet à Francis Curel : « Ils désignent du nom de science de l’Histoire la conscience faussée qui leur fait décimer une forêt heureuse pour installer un bagne subtil ». Enfin, la manière de faire avouer le « coupable » pourrait faire songer au procédé d’autocritique des procès soviétiques dont il n’est pas impossible que Char se soit souvenu ici : « <Tu diras → Répète> : ‘<J’avoue → Merci>, pardon, punissez. » 334 Tout en faisant écho aux textes de presse et à d’autres passages de Recherche de la base et du sommet, ce texte se distingue par sa forme de parodie et de fable politique. Sans doute s’agit-il d’être plus incisif, mais peut-être aussi de montrer la difficulté d’être entendu sur un sujet qui dénonce un procédé d’« interrogatoire total[itaire] 335  ».

Considérées en elles-mêmes, indépendamment de leur utilisation, les idées revendiquées par le communisme ont en partie les faveurs de Char. Dans le texte paru dans Combat, en avril 1950 au sujet du « scandale de Notre-Dame », Char distingue ce qui est « faux et meurtrier à son sommet mais resté valable et juste à sa racine (le communisme par exemple) ». En 1954 encore, dans la lettre à Georges Mounin déjà citée, une formulation proche dissocie la « racine » et le « sommet » : « L’arbre communiste, le plus chargé d’espoir de tous les arbres, je crois me souvenir de vous l’avoir déjà écrit, s’il est juste à sa racine est faux à son sommet […] ». Sans doute ne faut-il pas exclure, dans ce contexte, que le titre de la section qui en 1955 rassemble des textes provenant en partie de cet horizon politique, Recherche de la base et du sommet, soit chargé des connotations que « l’arbre communiste » donne aux mots « base » et « sommet ». Utilisant à deux reprises le mot « sommet » au sujet du communisme, Char joue d’un léger décalage par rapport à la « base » attendue, lorsqu’il emploie le mot « racine ». Il évite ainsi une interprétation unilatérale du mot « base » dont on oublierait l’acception géométrique au profit de la seule interprétation sociologique. Le mot « racine », en outre, fait voir, derrière l’arbre communiste, l’arbre de la liberté et l’espoir qu’il représente, source de légitimité du communisme selon Char. Car ce dernier reconnaît au communisme une « apparence de légitimité devant l’histoire », qu’il attribue en dernier lieu à « l’improbité » et à la « bassesse » du capitalisme 336 . Approbation du bout des lèvres certes, puisque Char parle d’une « apparence » de légitimité et s’attache surtout, derrière le communisme, aux aspirations qu’il a pu incarner. Ces aspirations sont chargées d’espérance, et leur évocation dans le texte pourrait donner à penser que Char accompagne le crédit (« les gains de base ») que les peuples accordent à ces espérances, tout en signalant qu’ils se trompent d’outil, « les Russes et leurs cadres marxistes » étant en réalité « barbares » eux aussi. Mais Char, à la fin de son article, s’empresse de détromper une telle espérance en prédisant l’anéantissement de ces attentes : « Ceux qui survivront au raz de marée gigantesque qui entraînera avec lui toutes les acquisitions du siècle vingtième, ses espérances et ses illusions, ses servitudes et ses monstruosités, ceux-là n’auront pour réchauffer leur cœur que la flamme d’une bougie, je veux dire le regard d’un de leurs semblables. » 337 De même dans son utilisation du mot « révolutionnaire », dans son texte sur « l’affaire Kravchenko », Char montre la valeur et la légitimité qu’il reconnaît à l’idée de révolution : « Que n’a-t-on placé cette affaire sur le terrain strictement ‘révolutionnaire’, au lieu de s’empêtrer dans des incidents et des arguties qui lèvent le cœur ! […] » 338

Ainsi Char dissocie-t-il finalement les espérances et les idéaux qui ont fait naître le communisme de son devenir historique. Il récuse l’idée marxiste d’une nécessité inéluctable de la libération des classes exploitées. Il reprend d’ailleurs de manière tout à fait significative, et sans doute à dessein, le terme même de « dialectique » à propos du développement du communisme : « L’arbre communiste, le plus chargé d’espoir de tous les arbres, je crois me souvenir de vous l’avoir déjà écrit, s’il est juste à sa racine est faux à son sommet, par le mouvement naturel de la dialectique. » 339 Terme utilisé également dans le texte sur « l’affaire Kravchenko », où Char le retourne contre les communistes des Lettres françaises : « Quant aux Lettres françaises, leur position est intenable et leur mélasse irrespirable. Voilà où mène l’usage d’une dialectique affolée au service d’une cause qui n’a pas d’assise morale. » 340 Le « mouvement naturel de la dialectique » selon Char semble devoir être compris comme le passage de l’idéal politique à l’exercice du pouvoir, dialectique qui devient « affolée » si son point de départ n’est pas cet idéal. Avec l’image du « sommet », image non marxiste que Char fait aller de pair avec celle de la « base », il semble désigner une contradiction interne au développement du communisme. Non pas, comme chez Marx, contradiction entre « base » et « superstructure », entre « forces productives » et « rapports de production », mais entre l’aspiration communiste et le « terrorisme » qu’elle ne peut que devenir selon un processus de « contradiction réelle », pour reprendre une expression de Marx. Un passage de la lettre à Georges Mounin de mai 1954 éclaire ce que Char entend par ce « mouvement naturel de la dialectique » qui fait du communisme quelque chose de « juste à sa racine », au début de son développement donc, mais « faux à son sommet », formule dans laquelle s’entend aussi bien le « sommet » du pouvoir que le terme du processus : « Les communistes sont de terribles, d’inversifs ‘idéalistes’. Ils veulent tout l’homme, mais c’est alors un terrorisme, une falsification tragique, l’avenir devient une boule de plomb, alors que l’homme dérisoire et merveilleux ne peut que rouler une boule de neige. » 341 Il semble y avoir pour Char comme une dénaturation du communisme initial, de « base », au moment de son devenir réel. C’est ce que fait entendre un autre passage de cette même lettre où il rappelle le moment de sa propre « révolte profonde contre l’outrecuidance communiste (en fait, en vérité, contre son homologue erronée) et son machiavélisme qui mène l’homme à la plus banale pauvreté, au dénuement sentimental le plus arriéré (Dans Engels, le gommage y était déjà). » 342 On est alors tenté de comprendre le titre Recherche de la base et du sommet comme une réponse aux communistes, à Georges Mounin (notons que la longue lettre de mise au point avec son ami date de l’année où Char rassemble ses textes en vue de la publication du recueil), à Aragon et aux Lettres françaises peut-être aussi, à une idée dominante chez les intellectuels de son époque en tout cas.

Contre les « idéologues », la réponse de Char est nette, comme il apparaît dans ce texte d’entretien avec Jacques Charpier, qui interroge : « Et l’antagonisme simulé par l’idéologue, ce ‘persécuté-persécuteur’, ce spécialiste du tocsin ? » 343  À quoi Char répond : « Rassure-toi, il trinquera doublement, car tout en lui n’est que perversion et névrose, avilissement et cécité. » Char vise l’excès d’assurance, le refus d’un doute nécessaire : « Et tout ce trafic d’arguments destiné à s’arroger les esprits ? », demande Charpier. « De la magie noire ! La vraie force ne s’invente pas. Ceux qui croient fuir ainsi l’angoisse du doute en feront les frais terribles. » Et, s’en prenant encore aux certitudes qui font naître l’intransigeance, Char oppose, d’une manière tout à fait intéressante, le fait de « trancher » à celui de « pulvériser » : « Vois-tu, reprit René Char, le scrupule est indispensable. Le poète pulvérise mais ne tranche pas. Être présent partout le fait choisir sereinement, et son pessimisme, c’est son respect d’autrui. » Ces propos, qui donnent une autre résonance au titre du principal recueil de l’immédiat après-guerre, « Le Poème pulvérisé », montrent la constante méfiance de Char envers toute forme de dogmatisme : « Le plus pernicieux des servages est celui qui s’applique à gouverner », ajoute-t-il dans le même entretien. Le poète, lui, s’efforcera au contraire d’être « sans cesse en péril » : « Ce péril est le fruit de sa liberté, son risque et … sa chance. » Aussi sa position est-elle absolument le contraire de celle des « entichés » de l’histoire, des « utopistes », selon l’expression utilisée plus loin dans le même texte, et par laquelle Char fait certainement référence aux communistes : « L’Histoire n’a pas une santé de crin et ses entichés se comportent vis-à-vis d’elle comme des libertins en proie à des perversités d’un nouveau genre » 344 . Prenant ici la défense de l’histoire contre les idéologues de l’histoire, Char oppose deux sens du mot histoire, l’histoire comme série d’événements, plus ou moins heureux, qui témoignent d’une plus ou moins grande « santé », et l’histoire comme construction, comme objet de projection de désirs.

Ainsi, quand le mot « Histoire » apparaît après-guerre dans les textes de Char, il est connoté de tous ces emplois qu’il reçoit du débat de l’auteur avec les idéologies de l’époque, et de ses prises de position sur un certain nombre de sujets d’actualité politique. Son « rejet de l’Histoire » doit se comprendre dans ce contexte : il ne s’agit pas de se désintéresser du sort des hommes – et on verra que Char, au contraire, s’emploie activement à inventer d’autres formes de responsabilité – mais de remettre en cause un mode d’action politique déterminé par une croyance dans l’idée d’histoire.

Sur ce point, comme sur d’autres, la pensée de Char rejoint celle de Camus. L’Homme révolté paraît en 1951, mais comme le montre l’ensemble des documents rassemblés par Roger Quilliot pour l’édition critique de la « Bibliothèque de la Pléiade », Camus travaille à ce projet dès Le Mythe de Sisyphe paru en 1942. Une correspondance avec Char, dont cette édition donne des extraits, l’existence d’une dactylographie corrigée, communiquée par Char à l’éditeur pour l’établissement du texte, et comportant de nombreuses variantes, signalent la densité des échanges entre les deux hommes au sujet de ce livre. En témoignent aussi ces deux dédicaces de la dactylographie de Char, datées de 1951 :

‘Mon cher René ,
Voici l’objet de tant de peines. Je m’aperçois que ce manuscrit est très raturé. […] Puisse-t-il être digne, dans sa forme, de ce qu’ensemble nous pensons. C’est avec une joie profonde […] que je vous le confie. J’ai retiré beaucoup de notre rencontre d’hier ou plutôt vous m’avez tiré de quelques-uns des doutes où j’étais après ce long travail aveugle. Une pierre blanche de plus sur le beau et droit chemin de notre amitié. Très affectueusement à vous. ’

Et, à la page suivante :

‘Première version.’ ‘À vous, cher René, le premier état de ce livre dont je voulais qu’il soit LE NÔTRE [souligné] et qui, sans vous, n’aurait jamais pu être un livre d’espoir. Fraternellement. 1951. 345

Et lorsque le livre, à sa parution, suscite une vive polémique, Char en prend la défense, tout en plaçant l’ouvrage bien au-dessus des querelles intéressées : au journaliste Guy Dumur s’inquiétant d’un recueil collectif de jeunes écrivains qui, sous le titre La Révolte en question, « injurient ou louent » L’Homme révolté, Char répond dans une « Lettre » parue dans Combat : « Qu’est-ce que L’Homme révolté, grand livre de secours, pathétique et net comme une tête trépanée, a à voir avec ça ? » Les interlocuteurs ont été vraisemblablement « trompés » par le « ton et les mots faussement camarades avec lesquels on les interrogeait » 346 . Entre autres rapprochements possibles entre Char et Camus, notons la critique des idéologies de l’histoire, dans lesquelles l’un et l’autre identifient une nouvelle forme de religion. Dans la dernière partie de L’Homme révolté, « La pensée de midi », Camus met sur le même plan le « christianisme historique » et le « matérialisme contemporain » :

‘Devant ce mal, devant la mort, l’homme au plus profond de lui-même crie justice. Le christianisme historique n’a répondu à cette protestation contre le mal que par l’annonce du royaume, puis de la vie éternelle, qui demande la foi. […] Le matérialisme contemporain croit aussi répondre à toutes les questions. Mais, serviteur de l’histoire, il accroît le domaine du meurtre historique et le laisse en même temps sans justification, sinon dans l’avenir qui demande encore la foi. 347

L’essayiste souligne de son côté, sa parenté avec le poète lorsque, au début de la section dont sont extraites ces lignes, il cite Char et ajoute, faisant vraisemblablement allusion au parcours de ce dernier : « Pour finir, ceux-là font avancer l’histoire qui savent, au moment voulu, se révolter contre elle aussi. Cela suppose une interminable tension et la sérénité crispée dont parle le même poète. » 348 Camus, faisant l’éloge de son ami en 1958, peut ainsi souligner chez lui ce qui est, à ses yeux, un refus du nihilisme, nihilisme qui réside dans l’absolutisation de l’histoire. Il évoque le temps de la guerre :

‘Voilà pourquoi encore, Char, aux prises, comme nous tous, avec l’histoire la plus enchevêtrée, n’a pas craint d’y maintenir et d’y exalter la beauté dont l’histoire justement nous donnait une soif désespérée. Et la beauté surgit de ses admirables Feuillets d’Hypnos […]. En plein combat, voici un poète qui a osé nous crier : ‘Dans nos ténèbres, il n’y a pas une place pour la beauté. Toute la place est pour la beauté.’ Dès cet instant, face au nihilisme de son temps et contre tous les reniements, chaque poème de Char a jalonné une route d’espérance.  349

Le rejet de l’idéologie de l’histoire entraîne, chez Char, un autre rapport à l’avenir et la redéfinition de valeurs. Les distances prises vis-à-vis de l’histoire à cette époque ne sont pas la conséquence d’un désintérêt, d’une lassitude ou d’une simple déception. Le sentiment de responsabilité à l’égard de l’histoire reste fort dans l’existence même de cette question, qui sonne comme une justification : « Pourquoi me soucierais-je de l’Histoire […] ? » Le rejet de l’histoire est donc réfléchi et assumé, et il n’est que de songer à la période du maquis et aux Feuillets d’Hypnos pour comprendre quel renoncement peuvent impliquer ces formules. Une des raisons en est donnée dans le texte liminaire de Recherche de la base et du sommet : « elle nous gâche l’existence », ou encore dans cette mention biffée du manuscrit de ce même texte : « L’Histoire arrête la vie. » 350 Un texte comme le deuxième Billet à Francis Curel suggère assez bien l’idée de « vie arrêtée » par la description que fait le sujet de ce qu’il est devenu, « un monstre de justice et d’intolérance, un simplificateur claquemuré, un personnage arctique », et par cette question en incise, qui dénote une période à part, de suspens : « … Je veux n’oublier jamais que l’on m’a contraint à devenir – pour combien de temps ? – un monstre […] ».

L’après-guerre est pour Char le moment d’une réaffirmation des valeurs de « la vie », de la « terre », qui sont déjà, et le seront plus encore par la suite, les mots-clefs de sa poésie. Ils apparaissent aussi dans les articles et entretiens analysés ci-dessus, en général sous forme d’une alternative à l’intolérance et à la tyrannie diffuse que Char stigmatise chez ses contemporains. Ainsi, dans la réponse à l’enquête lancée par Jean Duché « De quoi avez-vous peur ? », Char s’en prend aux intellectuels communistes qui se taisent sur le procès de Tito et il ajoute : « Leurs chefs connaissent bien cette immense lassitude qu’il y a dans le monde. Pourtant il suffirait de peu pour que les Français retrouvent le contact avec la vie et le sens de l’humain. » 351 L’humain est une valeur qui apparaît également dans la réponse à l’enquête de Carrefour, « Si l’Armée rouge occupe la France » : « Il va falloir retrouver le fil de sa mémoire ; pour vivre, il va falloir redevenir humain. » 352 Cet humanisme, métaphorisé à la fin du texte par « la flamme d’une bougie », motif déterminant dans l’œuvre de Char, désignant ici, pour les hommes, le « regard d’un de leurs semblables », s’exprime aussi dans le refus de tout ce qui n’est pas « à la mesure de l’homme », parce que le séparant de « la terre » (« De quoi avez-vous peur ? »).

L’opération éthique à l’œuvre dans ces textes, exigée par la vie à mener, est tournée d’une certaine manière vers l’avenir. Mais un avenir qui n’est pas celui de l’histoire, un avenir qui est souci de la « moisson » ou « souci des formes à naître » ( « Georges Braque »). Un aphorisme de À une sérénité crispée exprime bien cette tension : « L’obsession de la moisson et l’indifférence à l’Histoire sont les deux extrémités de mon arc ». Le refus de l’histoire n’est pas refus de ses responsabilités face à l’avenir, mais il privilégie un avenir proche. Char refuse de faire un pari sur l’avenir, comme le fait, à ses yeux, le communisme. D’où la valorisation du présent, contre un avenir lointain, idéalisé. Mais ce qui est intéressant, c’est que cette lucidité, sur l’illusion engendrée par l’idéologie du progrès, est loin de faire naître le défaitisme. L’aphorisme de À une sérénité crispée s’achève sur cette phrase : « Toute l’aventure humaine contredit cela, mais pour nous stimuler et non nous accabler ». C’est en effet toute l’originalité de la position politique et de la construction éthique de Char après la guerre que d’élaborer l’idée d’une persévérance sans espérance, ou plus précisément dégagée de toute attente définie. Dans le même sens, un passage de « Impressions anciennes » invite le pessimiste à « se convaincre que le sur-ressort de ce pessimisme est l’espoir sans rupture, espoir que quelque chose d’imprévisible, où nous distinguerons une faveur ou à l’opposé un hermétique maléfice, surgira, et que l’oppression sera momentanément renversée. » L’espoir de l’imprévisible, voilà la formule qui permet de tenir ensemble la certitude lucide de l’existence perpétuelle du mal et la volonté d’agir ou du moins de continuer à vivre « à hauteur d’homme ».

Notes
300.

Paul Ricoeur, « L’initiative », art. cit., p. 296.

301.

Ibid.

302.

Dédicace de Char à Marcelle Pons (archives privées), citée par Laurent Greilsamer, op. cit., p. 233.

303.

« L’initiative », art. cit., p. 304.

304.

BLJD, Fonds René Char 769, AE-IV-27.

305.

Ibid.

306.

Nous nous inspirons, pour ce parcours de la notion d’histoire, du choix de textes proposé par Nicolas Piqué dans son anthologie, L’histoire, Paris, Flammarion, col. « Corpus », 1998.

307.

« Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique » [1784,] in Opuscules sur l’histoire, trad. S. Piobetta, éd. Philippe Raynaud, Flammarion, 1990, p. 70.

308.

« Faute de sommeil, l’écorce… » (1955-1958) in La Nuit talismanique, Genève, Skira, coll. « Les Sentiers de la création », 1972.

309.

Paul Ricoeur, art. cit., p. 292.

310.

BLJD, Fonds René Char 769, AE-IV-27.

311.

Ibid.

312.

En 1951, dans L’Homme révolté, ouvrage lu de près et défendu par Char, Camus dénonce le nihilisme des « pensées purement historiques », et démystifie l’aura que possède à l’époque la révolution marxiste : « En 1950, et provisoirement, le sort du monde ne se joue pas, comme il paraît, dans la lutte entre la production bourgeoise et la production révolutionnaire ; leur fin seront les mêmes. […] », Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1965, p. 652.

313.

Nous soulignons. Le texte de cet entretien est reproduit dans René Char. Dans l’Atelier, op. cit., p. 659.

314.

Jean-François Sirinelli souligne « la force de l’attraction communiste et l’intensité de l’adhésion idéologique » chez les intellectuels de l’après-guerre et des années 1950. L’URSS est redevenue un « pôle de référence » et le Parti communiste français est « auréolé par le tribut du sang payé dans la Résistance », in Intellectuels et passions françaises, Gallimard, coll. « folio/ histoire », 1990, p. 274.

315.

Patrick Née, « René Char dans l’arène idéologique de son temps : les utopies sanglantes du XXe siècle », in Trois poètes face à la crise de l’histoire. André Breton Saint-John Perse René Char, op. cit, pp. 155-184.

316.

Étienne Balibar, dans sa présentation de la philosophie de Marx, souligne combien Marx a été, « au XIXe siècle, entre Saint-Simon et Jules Ferry, un représentant typique de l’idée ou de l’idéologie du progrès ». Et il ajoute, contre les détracteurs de cette idée, que « simplement, pour [Marx], le progrès n’est pas la modernité, ce n’est pas le libéralisme, c’est encore moins le capitalisme. Ou plutôt, « dialectiquement », c’est le capitalisme en tant qu’il rend le socialisme inévitable, et réciproquement, c’est le socialisme en tant qu’il résout les contradictions du capitalisme… », in La Philosophie de Marx, Paris, La Découverte, [1993] 2001, p. 79.

317.

« Faut-il brûler Kafka ? », art. cit., reproduit dans René Char. Dans l’atelier du poète, op. cit., pp. 503-504.

318.

Ibid. p. 165.

319.

Voir Laurent Greilsamer, La Vie de René Char, op. cit., p. 220-221.

320.

Ibid., p. 221. Le texte du tract provient d’archives privées, selon l’indication de la page 492.

321.

Lettre citée par Laurent Greilsamer, op. cit., p. 221, provenant d’archives privées (cf. p. 492).

322.

Cette phrase, citée p. 223, n’est pas directement référencée par Laurent Greilsamer. Elle est vraisemblablement extraite d’une lettre à Louis Leboucher (voir la liste des références données page 492).

323.

Le texte de l’enquête et la réponse de Char sont reproduits dans René Char. Dans l’atelier, op. cit., p. 559.

324.

Art. cit.

325.

« Si l’armée rouge occupait la France… », art. cit.

326.

Art. cit., p. 170.

327.

Entretien reproduit dans René Char. Dans l’atelier, op. cit., p. 659.

328.

« Lettre » publiée dans Combat, en avril 1950, au sujet du « scandale de Notre-Dame », où Char répond à l’appel de Breton en faveur d’un jeune prêtre dominicain monté à la chaire de Notre-Dame le dimanche de Pâques pour lancer « Dieu est mort ». Texte reproduit dans René Char. Dans l’atelier, op. cit., pp. 611-613.

329.

Lettre du 20 mai 1954, BLJD, Fonds René Char 881, Ae-IV-7bis.

330.

Texte publié dans Combat en février 1949, reproduit dans René Char. Dans l’atelier, op. cit., p. 569.

331.

Entretien avec Pierre Berger, art. cit.

332.

Entretien avec Jacques Charpier, « Une matinée avec René Char », Combat, 16 février 1950, p. 4.

333.

Recherche de la base et du sommet, éd. originale avec 5 feuillets manuscrits autographes, Bibliothèque Sainte-Geneviève, Fonds André Rousseaux. Don Pélissier, 2001. DELTA 50245 ROUSSEAUX RES.

334.

Ibid.

335.

Avant d’être biffé sur le manuscrit, le titre de ce texte était : Huis de la mort salutaire (L’interrogatoire total[itaire]). Voir le manuscrit du fonds André Rousseaux de la Bibliothèque Sainte-Genevièvre, loc. cit.

336.

« Si l’Armée rouge occupe la France », art. cit.

337.

Ibid.

338.

Combat, février 1949, art. cit.

339.

Lettre à Georges Mounin du 20 mai 1954, déjà citée.

340.

Combat, février 1949, op. cit.

341.

Lettre à Georges Mounin, op. cit.

342.

Ibid.

343.

« Une matinée avec René Char » par Jacques Charpier, Combat, 16 février 1950, p. 4.

344.

Lettre sur le « scandale de Notre-Dame », parue dans Combat, avril 1950, op. cit.

345.

Albert Camus, Œuvres complètes. Essais, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », Roger Quilliot et Louis Faucon éd., 1965, p. 1635.

346.

« Une lettre de René Char à propos de ‘La Révolte en question’ », article de Guy Dumur à l’intérieur duquel est encadrée la lettre de Char, Combat, 3 mars 1952, p. 3.

347.

Albert Camus, L’Homme révolté, in Œuvres complètes, op. cit, p. 706.

348.

Ibid., p. 705

349.

Albert Camus, préface à l’édition allemande des poèmes de René Char, Dichtungen, S. Fischer Verlag, 1959, in Albert Camus, Œuvres complètes, op. cit., p. 1165.

350.

BLJD, Fonds René Char 769, AE-IV-27.

351.

« De quoi avez-vous peur ? », Le Figaro littéraire, 19 février 1949, p. 3.

352.

Op. cit.