1. Le Soleil des eaux

Le scénario du Soleil des eaux est rédigé en 1946, durant les mois d’août, septembre, octobre, comme le précise un des manuscrits conservés 380 . Sa rédaction est contemporaine de la lecture, à la Radiodiffusion française, le 15 août 1946, de « La Liberté passe en trombe », allocution mêlée d’une « candeur » qui la « date », selon les termes de son auteur. Mais elle est aussi contemporaine d’un certain nombre de textes du Poème pulvérisé, écrits en 1946 d’après les indications de l’Arrière-histoire. De ces trois genres de discours, le scénario de film, l’intervention publique, le recueil de poèmes, les deux premiers partagent, dans la forme que Char leur donne à cette époque, un certain nombre de traits distinctifs. Le Soleil des eaux se caractérise par un optimisme qui le place dans le prolongement de l’espoir né du maquis. Avec sa confiance dans la possibilité de communiquer, suggérée par le médium utilisé, le cinéma, puis le théâtre, sa confiance, également, dans les possibilités de transformation résultant de cet échange, ce versant de l’œuvre de Char est la tentation d’une transparence de la communication. Tout un réseau de valeurs, la clarté, le visible, le soleil, « le bon soleil, le soleil non pervers », « défendu face à ceux qui voulaient en faire l’auxiliaire de leur tyrannie diffuse » (« La Liberté passe en trombe »), connotent positivement cette partie de l’œuvre. Le Soleil des eaux est une œuvre du retour à la lumière après la nuit de la Résistance, de la fluidité des images après « l’hymne raboteux ». La possibilité de raconter, sur laquelle se fonde le film pour sa part la plus essentielle, appartient également à cette situation nouvelle : le temps reprend « une signification amie » (Prologue du Soleil des eaux) ; il n’est plus comme dans Feuillets d’Hypnos harcelé par le dérèglement des horloges « dont les aiguilles s’entre-dévorent […] sur le cadran de l’homme » (feuillet 26). De même que la communication gagne en évidence, de même le récit s’appuie sur une simplicité, rendue accessible par le retour des « saisons » (quatrième Billet à Francis Curel), par une temporalité réglée. Une telle possibilité de l’évidence et de la simplicité place cette œuvre dans l’après-guerre ; mais elle ne l’oppose pas aux recueils de la guerre dont elle a au contraire assimilé les mots d’ordre. « Pour obtenir un résultat valable de quelque action que ce soit, il est nécessaire de la dépouiller de ses inquiètes apparences, des sortilèges et des légendes que l’imagination lui accorde déjà avant de l’avoir menée, de concert avec l’esprit et les circonstances, à bonne fin » : ce passage de la « Note sur le maquis », écrite en 1944, pourrait servir de fil directeur à la lecture d’une grande partie des textes de Feuillets d’Hypnos. Le Soleil des eaux reprend et met en œuvre, dans sa représentation de l’action, ces acquis du recueil du maquis. Le film en est le prolongement heureux et idéalisé. Par le dédoublement des plans d’énonciation propre au genre, il met en œuvre, et en même temps désigne à distance, ce que peut l’écriture, et indirectement la poésie, pour l’action des hommes.

Le choix du cinéma implique, dans le cas du Soleil des eaux, l’exploitation des potentialités narratives du genre. Au cœur de cette œuvre, une histoire, une « fable » au sens dramaturgique, est racontée par les images et les dialogues. Char insiste sur cet aspect, soucieux, dans le scénario, de mettre en évidence dès l’ouverture « tous les éléments en sommeil de notre drame » 381 . L’enjeu de ce film est bien de montrer le déroulement d’une histoire, de « raconter » une « aventure significative et perdue ». Or le sujet choisi, la matière de cette histoire, consiste dans la nécessité d’agir et, par l’action, d’être dans l’histoire. Une corrélation semble s’établir entre la possibilité de raconter, le choix d’un genre dont la « mise en intrigue » est un élément traditionnellement constitutif, et l’argument choisi.

Notes
380.

BLJD, Fonds René Char 914, AE-III-42.

381.

Ibid.