Chapitre 6. Le poème pulvérisé et la publication de Fureur et mystère

En 1947, Char écrit son premier recueil d’après-guerre, Le Poème pulvérisé. Il l’insère en 1948 dans Fureur et mystère qui rassemble des poèmes écrits depuis 1938. L’immédiat après-guerre est associé, par ce geste, à la période de la guerre elle-même. La situation du Poème pulvérisé en est du même coup rendue plus complexe. Écrit après Feuillets d’Hypnos, il est placé avec lui dans une forme de continuité par la publication de Fureur et mystère. Pourtant, indépendamment de celle-ci, Le Poème pulvérisé se présente comme un recueil d’après le « naufrage » et le « déluge ». Il semble qu’une rupture ait eu lieu, séparant la « résurrection insensée » dont témoignent ces poèmes et la catastrophe qui les a précédés.

Comme le montrent de leur côté les textes recueillis dans Recherche de la base et du sommet, la périodisation de l’après-guerre fait apparaître plusieurs ruptures se superposant les unes aux autres. Le rassemblement des recueils en un seul livre, Fureur et mystère, crée une tension entre l’enchaînement qu’il suggère et la spécificité de chaque recueil. Le Poème pulvérisé, pour sa part, se rapporte à l’époque d’une manière radicalement nouvelle. Hanté par le souvenir de la guerre, il la désigne comme catastrophe à l’échelle de la Création et adopte sur le présent de ses contemporains un point de vue qui excède le temps de l’histoire. C’est donc sous un nouvel aspect qu’il faut ici parler de crise de l’histoire : cette dernière ne tient pas tant à la disparition de la confiance dans l’action commune qu’à la représentation, après coup, de la guerre comme désastre. Le poème prend alors une fonction particulière de relance du mouvement en avant après la traversée de l’épreuve. L’image de la pulvérisation, par sa force de spatialisation de la finitude, désigne l’inédit de la relation au temps qui se construit dans cette recherche d’une issue au désastre.