1.2. Mémoires de la guerre : l’Arrière-histoire

Premier recueil écrit après la guerre, Le Poème pulvérisé est un recueil hanté par le souvenir de celle-ci. Derrière la diversité de tons et de thèmes, malgré la nouveauté de l’écriture poétique et le tournant qu’elle représente, Le Poème pulvérisé garde la trace de ce passé proche. Mais il ne lui attribue que rarement le statut de référent explicite : c’est L’Arrière-histoire du Poème pulvérisé qui joue ce rôle et suggère la présence de la guerre dans le recueil. La place de celle-ci n’y est donc pas immédiatement évidente. Indépendamment de son accompagnement, le poème ne contiendrait pas toujours les éléments permettant de lui attribuer un tel horizon référentiel. Dans le seul Poème pulvérisé les formes de relation au temps apparaissent dans toute leur diversité : le passé de la guerre n’est lui même qu’un élément en apparence marginal parmi les récits et les questionnements bouleversant l’inscription du temps dans le recueil. C’est dire combien l’Arrière-histoire détermine une lecture.

Si l’on peut dire que Le Poème pulvérisé est un recueil hanté par le souvenir de la guerre, c’est parce que la manière dont celle-ci s’inscrit dans l’œuvre est essentiellement indirecte. Pour certains poèmes, l’Arrière-histoire fait de la guerre un référent explicite inattendu. Pour d’autres, elle permet d’identifier des réseaux d’images qui disent la guerre sans la nommer. Les deux poèmes les plus significatifs de l’infléchissement contextuel apporté par l’Arrière-histoire sont « Le Muguet » et « L’Extravagant ». L’ « arrière-histoire » du premier parle d’elle-même :

‘Au souvenir de la grande épreuve de Céreste (1941-1944). Il me paraît encore aujourd’hui invraisemblable que je sois en vie. Dans une régularité impie, sans cesse être frôlé, traversé, touché, dénoncé, interpellé par pire que la Mort, sans gain pour ce pire, c’est saturniennement déroutant ! Comment ne pas conserver derrière son oreille, pour assurer la continuité du muguet, le brin de thym écarlate de la superstition !’

Or rien, apparemment, dans le poème lui-même ne laissait attendre ce lien circonstanciel :

‘J’ai sauvegardé la fortune du couple. Je l’ai suivi dans son obscure loyauté. La vieillesse du torrent m’avait lu sa page de gratitude. Un jeune orage s’annonçait. La lumière de la terre me frôlait. Et pendant que se retraçait sur la vitre l’enfance du justicier (la clémence était morte), à bout de patience je sanglotais.’

Le texte de L’Arrière-histoire donne au poème un référent. On ne peut dire s’il le lui attribue après coup, ou s’il le rétablit, mais cet ajout a, dans tous les cas, pour effet de désigner le poème comme le résultat d’un effacement des relations explicites au contexte historique. Or on pourra observer, en analysant, dans la section suivante, les représentations de la guerre dans le recueil, que la relation référentielle, parallèlement à son oblitération dans le poème, est indirectement prise en charge par une série de métaphores et d’échos sonores. L’étude de Feuillets d’Hypnos a montré que le tissu métaphorique pouvait devenir le nom de ce qu’il est impossible de nommer. Face à « l’innommable situation dans laquelle nous sommes plongés », face à « l’inconcevable », que mentionne le premier Billet à Francis Curel, Char oppose la désignation oblique d’un discours qui tente de montrer, sans faire écran, qui suggère, sans le faire disparaître, ce qu’une désignation directe anéantirait.

L’autre texte de L’Arrière-histoire établissant de manière apparemment inattendue un lien avec le contexte de la guerre est celui qui accompagne « L’Extravagant » :

‘Le sujet de ce poème est une affreuse circonstance que je ne veux pas décrire, une marche au supplice. Hypnos rompit le rêve et découvrit le cauchemar. 
(En période de barbarie, l’exercice de la justice sommaire par l’action n’aboutit qu’à un démantèlement presque fatal de nous-mêmes, nous fait déboucher sur de plaintives et crépitantes interrogations. Mais cela ne se produit, heureusement, que plus tard, quand notre conscience s’est ressaisie, quand l’épreuve a été dépassée, quand ce qui devait être sauvé a effectivement été sauvé.)’

Plus encore que pour « Le Muguet », on voit ici à quel point l’absence, dans le poème lui-même, de toute désignation explicite du contexte historique, est liée à l’innommable d’une situation : « Le sujet de ce poème est une affreuse circonstance que je ne veux pas décrire ». De nouveau, c’est par un certain nombre d’images, et par leurs échos dans d’autres poèmes, qu’un lien indirect avec la période de la guerre se trouve établi.

Ailleurs, c’est dans le texte de l’Arrière-histoire lui-même que la référence à la guerre est indirecte, se faisant par le biais du lexique et des images. Le poème « Seuil » par exemple n’est suivi d’aucune mention de cette période en particulier :

‘Soustraits au naufrage !
Pourquoi s’interdire d’espérer ? Et que l’effort, le courage et l’amour viendront à bout du destin chaque jour plus menaçant pour les rescapés en si petit nombre, il ne faut pas en douter.
Quelle tête porte donc notre époque, qu’il n’y ait plus de mot suffisamment persuasif pour traduire le sourire de l’accueil ?’

Mais plusieurs éléments, dans le texte et dans le contexte du recueil, font lire dans l’image du naufrage une désignation de la guerre. Le dernier alinéa, en attribuant à l’énoncé un horizon référentiel temporel, celui de l’« époque » contemporaine de son énonciation, donne à la métaphore du naufrage une signification par rapport à un présent collectif. Ensuite, le réseau métaphorique du déluge, tel qu’il se déploie dans les recueils de cette période, est une manière de nommer la guerre comme catastrophe. Les « rescapés en si petit nombre », le « naufrage » auquel ils sont « soustraits », sont un écho aux métaphores de l’inondation, dont Jean-Claude Mathieu a montré l’importance pour désigner l’innommable de la situation historique. 513 Dans l’« Argument » l’« arrière-histoire » va jusqu’à associer les deux éléments en un seul syntagme lorsqu’elle évoque « la trombe d’innommable qui devait nous engloutir et dont nous émergeons ». Dans ce dernier texte, le réseau métaphorique du déluge permet de situer l’énoncé par rapport à la guerre également. Enfin, on trouve dans les « lignes supplétives » de « Biens égaux » une même désignation métaphorique du référent : « […] L’approche de la catastrophe me brûlait. Le mal et ses aides m’exaspéraient, m’indignaient. » Le poème est, ici aussi, situé par rapport à l’événement de la guerre, antérieurement à lui, cette fois, dans une relation de prémonition.

L’inscription de la guerre dans le recueil se fait donc ici par le biais d’un discours exclusivement métaphorique. Celui-ci en donne une image spécifique, irréductible à toute autre désignation. « Déluge », « naufrage », « trombe d’innommable » : dit en ces termes, l’événement déborde infiniment le statut qu’il peut avoir dans le discours de l’historien.

Un seul poème dans le recueil fait explicitement référence à la période de la guerre : « Donnerbach Mühle » inscrit en épigraphe la date de l’hiver 1939. Les strophes elles-mêmes, par leur tour descriptif, le référent hivernal et forestier qu’elles mettent en place, le lexique militaire (le « canon »), évoquent l’univers du front, où se trouvait Char en tant qu’« artilleur dans le Bas-Rhin » (Arrière-histoire). Encore peut-on s’interroger sur l’appartenance de ce poème à la période désignée par Char comme étant celle de la « grande épreuve ». Ce que recouvre, dans l’œuvre de Char, l’époque de la guerre ne commence pas en 1939, mais bien plutôt en 1941, comme l’auteur prend soin de le préciser dans l’« arrière-histoire » du « Muguet » : « Au souvenir de la grande épreuve de Céreste (1941-1944) ». On rapprochera cette date de celle du premier Billet à Francis Curel : le recueil Recherche de la base et du sommet s’ouvre aussi sur la date de 1941. Dans ce texte, Char annonce l’entrée en résistance : « Ainsi seras-tu préparé à la brutalité, notre brutalité qui va commencer à s’afficher hardiment. » La crise désignée dans Le Poème pulvérisé par les métaphores de l’inondation, de la crue, par l’idée d’un innommable, ne recouvre pas la période historique de la seconde guerre mondiale, mais la période pendant laquelle le sujet s’est engagé lui-même dans la lutte contre ce qui n’était pas seulement un ennemi de guerre, mais l’existence du mal dans l’histoire.

Enfin, le poème immédiatement suivant, « Hymne à voix basse », écrit en « faveur de la Grèce Résistante » selon le texte de l’ « arrière-histoire », dont la date n’est pas donnée dans le poème lui-même, mais dont la référence à la guerre civile grecque est assez claire, n’appartient pas non plus au temps de l’épreuve à proprement parler, même s’il en reflète le prolongement dans un pays proche. Ainsi, les deux poèmes se référant le plus explicitement au conflit mondial ne se rapportent pas directement à la période qui, dans l’œuvre de Char, représente « l’épreuve » de la guerre. Ils l’encadrent, se situant avant et après elle, mais n’en font pas partie. Il semble, dès lors, que le degré d’implicite du discours référentiel dépende de sa plus ou moins grande proximité avec ce qui, au cours de la guerre, a été vécu comme crise. Crise, c’est-à-dire, on le verra, interruption du cours des choses (« déluge »), expérience de la mort (« qui devait nous engloutir »), ébranlement de la conscience (« démantèlement presque fatal de nous-mêmes »).

La présence de la guerre dans le recueil prend ainsi des formes tout à fait spécifiques. On n’y retrouve pas le discours d’analyse politique et sociale qui apparaît dans certains des Feuillets d’Hypnos. Il ne s’agit pas davantage de récits comme pourrait les écrire un historien, même ramenés à la seule expression d’une « intrigue », au sens que Ricoeur donne à ce mot. Cette forme de compréhension de l’événement historique se trouve bien plutôt dans Le Soleil des eaux. Le discours du Poème pulvérisé n’est pas non plus celui des textes d’intervention journalistique repris dans Recherche de la base et du sommet. La guerre, dans Le Poème pulvérisé, n’est pas un événement historique, à partir duquel continuer l’action dans l’histoire. Et c’est L’Arrière-histoire qui joue le rôle d’un révélateur de sa présence à l’horizon des poèmes, mais aussi de sa nature singulière aux yeux du sujet.

Pourtant, si l’on se place du point de vue de ses conditions d’écriture, L’Arrière-histoire appartient à l’ensemble des discours d’après-guerre par lesquels Char rassemble autour de lui une communauté, dans le prolongement de celle du maquis. Sous cet angle, Le Poème pulvérisé pourrait apparaître comme un recueil qui poursuit, au moins en partie, la forme d’espérance propre à ce temps-là. S’appuyant sur un groupe certes parfois « disparate », mais « capable de devenir entre les mains d’hommes intelligents et clairvoyants un extraordinaire verger comme la France n’en avait connu que quatre ou cinq fois au cours de son existence et sur son sol » (« Note sur le maquis »), cette espérance possède une dimension politique ; elle implique un rapport à l’avenir fondé sur un projet commun ; elle tire du passé proche les moyens de penser l’action collective ; en ce sens, elle suppose possible le changement dans l’histoire.

Quelques textes de l’époque, rappelons-le, illustrent bien cette conjonction de l’espoir politique et d’un groupe, destinataire direct ou non, par rapport auquel l’œuvre prend sens au moment de sa création. Le Soleil des eaux en est un : il est écrit pour des « amis » qui, selon les documents d’accompagnement de la pièce, « continuent entre la Sorgue et le Rhône la tradition orale des troubadours et des conteurs disséminés jadis sur le pourtour de la Méditerranée », mais qui, surtout, « avaient demandé d’écrire pour eux quelque chose […] dans la trame de quoi ils pussent aisément se glisser et toucher des souvenirs assez proches ». Ces « amis » parmi lesquels il faut aussi identifier les pêcheurs de L’Isle-sur-la-Sorgue, mis en scène dans la pièce, forment le premier horizon de réception de l’œuvre. Ils donnent sens au projet explicité, comme on l’a vu, dans les dossiers manuscrits : tendre un miroir au public, l’inviter à l’action, en vertu d’une intrigue montrant la nécessité d’agir dans l’histoire. D’autres œuvres inscrivent, soit dans leurs conditions réelles de production, soit dans leur scène d’énonciation, une telle communauté. Fête des arbres et du chasseurs annonçait ainsi en note dans l’édition originale (1950) : « La rime ou l’assonance des vers a été adoptée à la demande des chanteurs populaires catalans pour qui ce poème a été composé. […] » 514 . Moins politique, car il s’agit de montrer cette fois, à propos du chasseur, « la fatalité naturelle qui pèse sur son acte et qui ne peut être surmontée ni résolue », cette situation n’en est pas moins porteuse, dans la forme théâtrale qui est la sienne à l’origine, d’une volonté d’agir sur les spectateurs, par le dévoilement d’une « signification profonde », dans un scénario aux allures de fable.

Mais ce sont surtout les textes d’intervention publique, repris ou non dans Recherche de la base et du sommet, qui pourraient présenter la plus grande parenté avec les conditions d’énonciation de L’Arrière-histoire du Poème pulvérisé. Après-guerre, Char multiplie les lettres, les discours et les actions en faveur des anciens camarades de maquis et, plus généralement, en faveur des Résistants et des déportés politiques. L’allocution radiodiffusée du 15 août 1946, « La Liberté passe en trombe », réclame qu’on « rende justice » aux soldats des Forces Françaises de l’Intérieur et à ceux des Forces Françaises Combattantes. S’adressant à eux mais aussi à ceux « que les circonstances ont empêchés d’être à [leurs] côtés », Char insiste sur la volonté de construire et l’immense espoir de ces camarades auxquels la société semble ne « tend[re] que des fantômes… ». Cette allocution, toute tournée vers l’avenir, au moment de sa diffusion en 1946, appuie sa légitimité, non seulement sur la « singularité » de la condition qui fut celle des maquisards, mais surtout sur la potentielle puissance politique de cette communauté : « […] ce haut rideau s’est abattu, voici deux ans, touché par la foudre de la Libération. C’est alors que les soldats interdits se sont comptés : il est apparu, sans démesure, que leur nombre était celui d’une nation rassemblée ! » Ce discours se situe dans la continuité de l’espoir politique formé au maquis ; il suppose une confiance en l’avenir fondée sur la possibilité d’une action collective. Une telle demande de reconnaissance politique traverse également l’Appel à la solidarité (en faveur des déportés politiques) rédigé par Char en 1945 515  :

‘Des Français de tout âge et de toute condition, n’ayant quelquefois pas d’opinion politique bien affirmée, certains avec une conscience tendue vers un avenir déjà formulé, d’autres simplement à la recherche d’un soleil quotidien plus harmonieux, ont été arrachés par l’ennemi à leur patrie et à leurs affections et jetés dans des camps immondes où les moins endurants sont morts comme les bêtes ne meurent pas.
Ceux qui ont pu résister et demeurer vivants nous reviennent aujourd’hui avec une santé diminuée sinon à jamais perdue.
Que chaque Français se tourne vers ces revenants et leur prouve immédiatement sa solidarité. […]’

Cet appel, signé par plusieurs Comités nés de la Libération, témoigne de l’intense activité publique de Char dans l’immédiat après-guerre, au cours de ces deux années, dont « La Liberté passe en trombe » rappelle combien elles furent marquées par un espoir sans équivalent, en même temps que soucieuses des « tâches de demain ».

Or l’Arrière-histoire se rattache à cet ensemble par la situation d’énonciation qu’elle affiche, partiellement dans la préface de l’éditeur Jean Hugues, et de manière un peu plus détaillée sur un exemplaire manuscrit. En mars 1953, au moment de la publication de l’Arrière-histoire du Poème pulvérisé, Jean Hugues signale les circonstances dans lesquelles elle fut écrite :

Le Poème pulvérisé parut aux éditions « Fontaine » en 1947.’ ‘Pour une œuvre d’entr’aide, René Char, quelques mois plus tard, écrivit sur un exemplaire, en regard de chaque poème sa rapide relation. (Les termes sont de lui-même).’ ‘J’ai eu récemment la chance de retrouver cet exemplaire. […]’

Publiés en 1953, les textes de l’Arrière-histoire auraient donc été écrits bien avant, quelques mois seulement après la parution, en 1947, du Poème pulvérisé. La Bibliothèque littéraire Jacques Doucet conserve dans le fonds légué par Yvonne Zervos un exemplaire qui répond à la description donnée par Jean Hugues. On y lit notamment ces lignes, sur la page de garde, en dessous du titre : « Pour une œuvre de bienfaisance / tel est son objet et sa destination./ mai 1948 ». Et en bas de la page : « Ce Poème contraint de se laisser interroger, en cet exemplaire, est vendu au profit d’une œuvre d’entr’aide./ mai 1948 » 516 . On remarquera la même orthographe du mot « entr’aide » dans la préface et dans le manuscrit. Même si l’on ignore qui fut le destinataire et l’acheteur de cet exemplaire truffé, valorisé par les ajouts manuscrits, la destination caritative de ce travail l’insère dans un contexte singulier, celui des interventions de Char en faveur de l’aide aux réfugiés, aux déportés et aux anciens Résistants. Il donne un horizon politique au recueil, après coup, et peut-être temporairement seulement, le temps de cette vente pour les réfugiés.

Cette réception du recueil, dépendant des circonstances, témoigne de ce sens jamais fixé parce que toujours en devenir, « toujours frissonnant », dont la préface de 1953 avertit le lecteur : « Les lignes supplétives que l’on va lire ne visaient qu’à réintroduire après coup dans l’édifice toujours frissonnant du poème un peu du monde gauche qui avait servi à sa confection. » Il est intéressant que le rapport au contexte soit ici à la fois légitimé et relativisé. Il entre bien « un peu d[e] monde » dans la « confection » du poème. Mais l’éclairage qu’il apporte reste incommensurable avec ce que la même préface appelle « la vraie lumière », celle que voit « l’habitant du lieu ». Attribuant à ce lieu de la poésie une lumière plus intense que l’éclairage latéral du contexte, l’auteur récuse du même coup l’opposition, peut-être formulée par un lecteur comme celui pour qui fut écrit l’Arrière-histoire, entre la clarté des explications et l’obscurité du poème.

Selon que l’on tient compte, ou non, de l’Arrière-histoire, et pour cette dernière, de son contexte d’écriture, la perception du Poème pulvérisé peut donc varier sensiblement. On a vu que la guerre prenait, par l’Arrière-histoire, une place plus explicite, faisant du recueil un texte situé après un événement perçu comme une crise et une rupture. Or, mis en regard des interventions publiques de l’après-guerre, Le Poème pulvérisé et son Arrière-histoire donnent à voir une continuité avec l’espoir né au maquis, avec l’action collective, avec la préparation de l’avenir. Cette dimension du recueil n’est pas dominante, mais elle n’en est pas moins lisible par endroits, dans les textes eux-mêmes, le temps de leur éclairage par l’écriture de l’Arrière-histoire. Les « lignes supplétives » du poème « Seuil » se prêtent bien à une telle contextualisation :

‘Soustraits au naufrage !’ ‘Pourquoi s’interdire d’espérer ? Et que l’effort, le courage et l’amour viendront à bout du destin chaque jour plus menaçant pour les rescapés en si petit nombre, il ne faut pas en douter.’ ‘Quelle tête porte donc notre époque, qu’il n’y ait plus de mot suffisamment persuasif pour traduire le sourire de l’accueil ?’

Ce texte appelle à l’espoir et en même temps fait le geste de rassembler, bien que réduite à un petit nombre, une communauté autour de lui. L’espoir est ici collectif : c’est ce qui permet de tisser un lien entre ce texte et la période issue de la Libération. La rupture avec les contemporains n’est pas complètement consommée, même si l’époque est une fois de plus décriée. La conscience d’une communauté formée par les individus qui ont, ensemble, échappé au pire, l’appel à son élargissement par « l’accueil » (« je vous attends, ô mes amis qui allez venir »), montrent la dimension collective de l’espoir affiché. Il reste que ce texte se situe de toute évidence à un moment charnière : la communauté est réduite à un groupe de « rescapés », les « mots » semblent aussi « compromis » (« La liberté passe en trombe ») que pendant la guerre.

Une tension identique parcourt le poème « Hymne à voix basse », seul poème explicitement politique du recueil. Par sa forme d’allocution, il appartient à cet ensemble de textes qui, dans l’œuvre de Char, à l’instar de la « Dédicace » de Placard pour un chemin des écoliers, visent une efficacité dans l’espace public. Significativement, l’Arrière-histoire insiste sur son affichage :

‘À l’occasion d’une exposition organisée à Paris en 1946 par Yvonne Zervos en faveur de la Grèce Résistante, j’ai écrit cet Hymne. Paul Éluard de son côté écrivit Athena. Nos poèmes figurèrent manuscrits sur d’énormes feuilles piquées au mur. Il fallut les transcrire avec le manche du porte-plume !’

Restitué à son premier horizon d’écriture et de réception, « Hymne à voix basse » apparaît comme un poème exemplairement engagé. Il s’inscrit dans le présent de ses contemporains, il dénonce une situation, il appelle à son changement, et présuppose une confiance dans l’efficacité des mots. Écrit peu de temps après la fin de la guerre, puisque l’exposition d’Yvonne Zervos date de décembre 1945, ce poème appartient à une période de l’œuvre où, on l’a vu, la crise de confiance dans les possibilités d’agir dans l’histoire n’a pas encore éclaté. L’écriture d’ « Hymne à voix basse » en témoigne partiellement. Toute la première partie du poème, qui fait l’éloge de la Grèce, la célèbre dans un « hymne », insiste sur sa pérennité. Les métaphores et le lexique vont dans ce sens : son « sol » est « massif », « fait du diamant de la lumière et de la neige » ; c’est une « terre imputrescible sous les pieds de son peuple victorieux de la mort ». L’éloge ne cède pas pour autant à la facilité d’un discours sur l’éternité de la Grèce : il n’évacue pas la mort et la puissance qui est la sienne dans la dynamique du devenir. Son peuple, s’il est « victorieux de la mort », est aussi « mortel par évidence de pureté ». Les « pouvoirs » déployés à l’origine « semblèrent » seulement « perpétuels ». La prosodie de cet « Hymne » inscrit dans le signifiant la proximité de la mort et du chant pour la vie. La cellule phonique [im] traverse le poème avec une remarquable insistance depuis son titre jusqu’aux trois derniers mots.

‘Hymne à voix basse’ ‘L’Hellade, c’est le rivage déployé d’une mer géniale d’où s’élancèrent à l’aurore le souffle de la connaissance et le magnétisme de l’intelligence, gonflant d’égale fertilité des pouvoirs qui semblèrent perpétuels ; c’est plus loin une mappemonde d’étranges montagnes : une chaîne de volcans sourit à la magie des héros, à la tendresse serpentine des déesses, guide le vol nuptial de l’homme libre de se savoir et de périr oiseau ; c’est la réponse à tout, même à l’usure de la naissance, même aux détours du labyrinthe. Mais ce sol massif fait du diamant de la lumière et de la neige, cette terre imputrescible sous les pieds de son peuple victorieux de la m ort mais m ortel par évidence de pureté, une raison étrangère tente de châtier sa perfection, croit couvrir le balbutiement de ses épis.
Ô Grèce, miroir et corps trois fois martyrs, t’imaginer c’est te rétablir. Tes guérisseurs sont dans ton peuple et ta santé est dans ton droit. Ton sang incalculable, je l’appelle, le seul vivant pour qui la liberté a cessé d’être maladive, qui me brise la bouche, lui du silence et moi du cri.’

Les lignes prosodiques en [i] et en [m], par moments successives (« …de l’intelligence, gonflant d’égale fertilité des pouvoirs qui… »/ « …mappemonde d’étranges montagnes… »), mais le plus souvent conjointes, font place, au centre du poème, à une variante en [mo], d’autant plus remarquable que la labiale [m] est trois fois à l’attaque du mot, symétriquement encadrée par les deux voyelles [o] et les deux liquides [l] : « la m ort mais m ortel ». Entre « l’Hymne », au début, et son inversion sonore et métaphorique, à la fin, dans le « cri » du « moi », le poème a traversé la « m ort ». Mais il a aussi donné à l’imagination le pouvoir de guérir : « t’imaginer c’est te rétablir ». Dans cette mesure, il témoigne d’une confiance dans la parole poétique et la puissance de ses images. Cependant, il est remarquable que cet hymne se fasse « à voix basse », d’une part, et s’achève, d’autre part, à l’opposé de l’harmonie connotée par le genre, sur une dislocation de la syntaxe. La dernière phrase en effet laisse difficilement percevoir la hiérarchie de ses constituants, notamment pour le dernier syntagme, « lui du silence et moi du cri » : à quel antécédent se rattachent les deux prépositions « du » ? Peut-être faut-il comprendre, à cause de la reprise pronominale, mais aussi en raison de l’écho sonore : « je l’appelle » « lui du silence », d’un côté, et « qui me brise la bouche » « moi du cri », de l’autre. Toujours est-il qu’on ne saurait mieux figurer le « cri » qui « brise » la parole. Aussi, cet « Hymne », qui ne se dit qu’à « voix basse », comme sont entourés d’une voix chuchotante et d’une « marge confidente » nombre de textes à peine postérieurs, signale à la fois, par sa dimension illocutoire, un espoir politique, et par les fractures qui introduisent des disjonctions métaphoriques, prosodiques et syntaxiques dans la plénitude de la voix, la fragilité de cette forme d’espoir dans l’action collective.

Enfin, un dernier poème, « L’Âge de roseau », dessine une ultime relation de continuité entre le temps du maquis et Le Poème pulvérisé, mais négativement, à travers l’expérience de l’échec. « L’Âge de roseau » démontre a contrario, par l’intensité du regret, la puissance de l’espoir qui a pu animer le sujet :

‘L’Âge de roseau’ ‘Monde las de mes mystères, dans la chambre d’un visage, ma nuit est-elle prévue ?
Cette terre pour navire, dominée par le cancer, démembrée par la torture, cette offense va céder.
Monde enfant des genoux d’homme, chapelet de cicatrices, aigrelette buissonnée, avec tant d’êtres probables, je n’ai pas été capable de faire ce monde impossible. Que puis-je réclamer ?’

On reconnaît dans ce poème certains des réseaux métaphoriques par lesquels les recueils de la guerre et de l’après-guerre désignent le mal, celui qui s’est révélé avec le nazisme et qui se poursuit après la fin du conflit. Le « cancer » relève de cette isotopie de la maladie particulièrement présente dans Feuillets d’Hypnos, mais aussi dans les œuvres d’après-guerre. Char aurait eu vers 1947 le projet d’un film dont le scénario porte ainsi pour titre « Le Cancer au pays natal » 517 , où il s’agissait, apparemment, de dénoncer la collaboration : « Les intermédiaires de l’ennemi, ces traîtres français qui lui servirent de brouillard artificiel, devront être montrés dans toute leur culpabilité. » 518 L’image du « navire » elle aussi parcourt Feuillets d’Hypnos, et désigne l’incertitude et la fragilité d’une destinée menacée de naufrage : « La France a des réactions d’épave dérangée dans sa sieste. Pourvu que les caréniers et les charpentiers qui s’affairent dans le camp allié ne soient pas de nouveaux naufrageurs ! » (feuillet 24). Le deuxième alinéa de « L’Âge de roseau » se place ainsi, par ses images, dans la continuité de l’époque de la guerre, mais cette continuité n’est pas celle, plus ou moins optimiste, que donnaient à lire les autres textes du Poème pulvérisé. Elle est, à l’inverse, continuité de souffrance, de « torture » et l’avenir suggéré est de catastrophe : « cette offense va céder ».C’est à l’aune de ce mal incessant que le dernier alinéa du poème mesure l’échec du changement espéré par le sujet : « […] avec tant d’êtres probables, je n’ai pas été capable de faire ce monde impossible. » On voit bien ici se dessiner, mais négativement, par sa déception, une autre continuité avec la période de Feuillets d’Hypnos, celle de l’espoir immense placé par le sujet dans l’action collective et dans le changement qu’elle doit permettre. L’« impossible », à prendre dans une acception positive, fait écho à deux feuillets qui l’associent à l’action de la poésie :

‘132
Il semble que l’imagination qui hante à des degrés divers l’esprit de toute créature soit pressée de se séparer d’elle quand celle-ci ne lui propose que « l’impossible » et « l’inaccessible » pour extrême mission. Il faut admettre que la poésie n’est pas partout souveraine.’ ‘229
La couleur noire renferme l’impossible vivant. Son champ mental est le siège de tous les inattendus, de tous les paroxysmes. Son prestige escorte les poètes et prépare les hommes d’action.’

Une constellation reliant l’imagination, l’action et la poésie, sorte d’emblème du recueil Feuillets d’Hypnos, se trouve ainsi, par l’adjectif « impossible », à l’arrière-plan du troisième alinéa de « L’Âge de roseau ». Le recueil du temps de guerre y est, enfin, implicitement présent par la désignation d’une communauté, « aigrelette buissonnée » formée de « tant d’êtres probables ». Le ton de la question conclusive, « Que puis-je réclamer ? », vient mettre fin à ce que cette continuité pouvait contenir d’élan vers l’avenir dans les autres poèmes du recueil. Poème charnière lui aussi, « L’Âge de roseau » est emblématique de ce moment où la déception d’après-guerre s’exprime dans le prolongement des images et des mots propres à l’espoir du temps de guerre. Par contraste, le court poème en forme de dialogue, placé comme « arrière-histoire », suggère une résistance à la déception, qui s’appuie certes sur la force de contre-terreur que représente depuis longtemps l’enfance dans l’œuvre de Char, mais aussi sur une forme, l’échange dialogué, et une valeur, « l’insouci », caractéristiques, on le verra avec Les Matinaux, d’un renouvellement de l’écriture dans l’après-guerre.

Enfin, Le Poème pulvérisé accompagné de son Arrière-histoire se place également dans la continuité de la guerre par sa dimension de mémorial. Cette dernière n’est, là encore, que secondaire dans le recueil, la mémoire personnelle prenant le pas, on va le voir, sur la mémoire collective. Toutefois, la présence, à l’horizon de certains poèmes, d’une possibilité de rassemblement, donne à cette dimension une visibilité particulière. Elle met en avant, par un effet d’écho, la force du lien collectif que suppose la commémoration, tout en soulignant en même temps, par contraste, le retournement qui s’opère. Car il ne s’agit plus de s’appuyer sur une expérience passée pour préparer l’avenir : la commémoration veut sauver le passé en le réactualisant, en le mettant sous l’éclairage du seul présent. Sa « raison d’être fondamentale est », comme le dit Pierre Nora du « lieu de mémoire », « d’arrêter le temps, de bloquer le travail de l’oubli, de fixer un état des choses, d’immortaliser la mort, de matérialiser l’immatériel […] » 519 . Dans cette perspective, s’il y a continuité avec le temps de la guerre dans Le Poème pulvérisé, c’est moins par le prolongement de l’espoir collectif qui le caractérisait, que par la volonté de ne pas oublier ce temps. Mais du même coup la guerre devient un événement passé. Le besoin de mémoire est le signe d’une prise de conscience de la rupture, du devenir révolu de l’événement.

Le texte le plus évocateur de cette dimension commémorative est l’Arrière-histoire du poème « Le Muguet ». On se souvient de son ouverture : « Au souvenir de la grande épreuve de Céreste (1941-1944) ». La solennité du ton, l’emploi d’une formule consacrée et la mention des dates placent le poème sous le signe de l’inscription appelant le passant – lecteur à faire mémoire de l’événement. La situation énonciative présupposée par cette formule est la même que dans quelques autres textes par lesquels Char célèbre la mémoire de résistants fusillés. Le 28 avril 1945 paraît dans Les Lettres françaises 520 , avant d’être repris en ouverture de Ma faim noire déjà, un texte consacré à Roger Bernard. La parole est là deux fois publique, dans le journal, puis dans la préface. Quelques variantes soulignent l’empan national donné au discours. La dernière phrase n’était pas « Tel est le poète que nous avons perdu » mais, plus solennellement : « Tel est le poète que la France a perdu. » Le souci d’inscrire l’hommage dans une réalité identifiable par les lecteurs du journal se signale par l’ajout du nom du département, « Basses-Alpes ». Une connivence est sans doute recherchée avec les destinataires communistes, issus eux aussi de la Résistance, dans la mention du « vainqueur provisoire » : « <Au retour il recherche l’âpre compagnie de ceux qui luttent contre le vainqueur provisoire. Enfin> il rejoint le maquis dans la vallée du Calavon […] ». L’autre texte rendant publiquement hommage à un résistant disparu est celui que Char consacre à Dominique Corti. Dans ces deux éloges funèbres, l’enjeu est de mémoire collective. Toutefois, s’il y a bien désir de commémoration, c’est sans le faste et la pompe vilipendés par Char dans le troisième Billet à Francis Curel : « Ne songeons pas aux couards d’hier, auxquels se joindront les nôtres ambitieux, qui s’accoutrent pour le tournée des commémorations et des anniversaires. Rentrons. Les clairons insupportables sonnent la diane revenue ». Char se démarque ici de tout un pan de la poésie de la Résistance qui, avec Aragon, occupe le devant de la scène à la Libération. S’il entend inscrire sa parole dans l’espace public et faire appel à la mémoire collective, il n’en prend pas moins ses distances avec les célébrations officielles. La suite du troisième Billet propose justement, après cette critique, une évocation de la mémoire de Roger Chaudon, ancien résistant « massacré par la Gestapo aidée de la Milice de Darnand, avec vingt de nos camarades, à Signes. » La commémoration est ici sans complaisance, elle n’appelle pas à la réconciliation politique. Au contraire, les « gens d’Alger », ainsi que de Gaulle, « espèce de Saint-Michel sans son prochain », sont à peine distingués des « cancres de Vichy » : « cancres en côtoyant d’autres, ceux-là criminels ». Si la parole est publique puisque les Billets sont publiés, on remarquera que ceux-ci n’ont pas la forme d’une déclaration officielle, mais donnent toute son importance à l’échange dialogué : s’adressant à son ami Francis Curel, l’énonciateur inscrit le souvenir de Roger Chaudon dans une mémoire partagée de sujet à sujet.

On voit donc les limites de cet appel à la mémoire collective autour du tombeau des résistants amis. S’il s’agit bien de rassembler, ce n’est pas pour souder une communauté politique, même si l’on peut discerner dans le premier texte consacré à Roger Bernard une visée nationale. L’éloge funèbre peut bien donner une valeur exemplaire à ces êtres, comme le fait le texte consacré à Dominique Corti, il manque toutefois l’élan qui permettrait de prendre appui sur, et contre, le passé, pour se tourner vers l’avenir. Or le passé ne passe pas : « tout est à recommencer », s’exclame le sujet à la fin du même texte.

Peut-être est-ce en raison de cette difficulté à tirer du passé ainsi perçu une ouverture vers l’avenir que Le Poème pulvérisé et son Arrière-histoire ne s’attardent pas longuement sur les possibilités de rassemblement autour d’une mémoire. La commémoration rassemble, mais ne lance pas dans l’avenir. Le mémorial est une impasse, s’il ne peut être « converti en bon mouvement ». Il fige le passé, devient obsédant, et transforme la mémoire en « bouge » : « La pyramide des martyrs obsède la terre », avertissait « Le Bouge de l’historien ».

Dans ces conditions il n’est pas surprenant d’observer dans Le Poème pulvérisé l’élaboration d’une autre relation à l’avenir. La possibilité d’une histoire collective, poursuivant l’action passée, dans la perspective d’un avenir politique, devient progressivement lettre morte. Le recueil poétique entérine le premier cet abandon. En revanche, lui est confiée la nécessité, qui s’impose toujours, de « distinguer la vraie de la fausse ouverture par laquelle on va filer vers le futur » (« Note sur le maquis »). Un travail de mémoire, travail d’« exorcisme », selon les termes de l’auteur, va permettre de libérer l’avenir du poids d’un passé dont le recueil fait son deuil. Ainsi peut-on souligner, par exemple, la différence entre le texte consacré à Roger Bernard dans Les Lettres françaises et le poème « Affres, détonation, silence ». Il ne s’agit plus, avec ce dernier, d’un récit adressé à la collectivité, retraçant la biographie d’un résistant exemplaire. On n’est plus dans l’ordre du mémorial, et pas davantage avec la lettre qui accompagne le poème dans l’Arrière-histoire. Un autre enjeu est assigné à l’écriture poétique, qui a, on va le voir, sa manière propre de se rapporter au passé et donne à la mémoire personnelle la plus grande place. Après sa phrase d’attaque solennelle, l’arrière-histoire du « Muguet » ne place-t-elle pas le « je » au premier plan : « Il me paraît encore aujourd’hui invraisemblable que je sois en vie » ?

La place donnée à la guerre par l’Arrière-histoire est donc loin d’être univoque. Quelques éléments inscrivent Le Poème pulvérisé dans une relation de continuité avec ce qui, dans la guerre, a été fondateur d’un après. Ils en montrent simultanément les limites, faisant du recueil un moment critique, moment où se fissure la possibilité de l’espoir collectif, du rassemblement autour d’une mémoire ou d’une allocution. Reste à savoir pourquoi la guerre n’est présente, la plupart du temps, que sous une forme indirecte. Il se pourrait qu’on touche ici à l’un des enjeux majeurs du recueil : si la guerre est plus qu’une période de l’histoire, si elle a la dimension d’une catastrophe, alors non seulement elle ne peut être nommée directement, mais elle doit laisser place à l’élaboration d’un nouveau rapport au passé, au présent et à l’avenir. Cette élaboration prend la forme d’une traversée de la mort, d’une épreuve suivie d’une renaissance, collective et individuelle, impliquant une reconfiguration des formes du temps dans l’écriture poétique.

Notes
513.

Voir notamment l’article, déjà cité : « L’innommable de l’histoire : l’hypnose et l’inondation, métaphores du nazisme chez Char », Métaphores. Revue du centre d’étude de la métaphore, pp. 137-145.

514.

Texte reproduit dans la section des « Notes » de l’édition des Œuvres complètes, op. cit., pp. 1371-1372.

515.

in René Char. Dans l’atelier du poète, op. cit., p. 416.

516.

BLJD, Fonds René Char 738, AE-IV-18.

517.

Cité par Laurent Greilsamer, op. cit., p. 256.

518.

Ibid.

519.

in Pierre Nora, « Entre Mémoire et Histoire. La problématique des lieux », Les lieux de mémoire, t. I, La République, P. Nora dir., Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque illustrée des histoires », 1984 [coll. « Quarto », 1997].

520.

Dans Les Lettres françaises et non pas dans L’Éternelle revue comme indiqué par erreur dans les notes de l’édition des Œuvres complètes, p. 1392, (coll. « La Pléiade », Gallimard, [1983] 1995). La bibliographie de la même édition, p. 1422, rétablit l’origine exacte du texte.