2. HYPOTHESES

Pour tenter d'apporter un début de réponses aux questions que nous nous posons dans notre problématique, voici esquissées ci-dessous, nos hypothèses.

Autre facteur pouvant justifier l’attrait du mobile dans les pays étudiés 52 , l’aspect formation. Pour profiter des services du téléphone mobile, une grande culture n’est pas nécessaire.

Il n’y a pas d'apprentissage véritable. Nous restons dans le domaine de l'oral. L’apprentissage de la manipulation de l’appareil peut se faire (facilement) en la langue maternelle notamment en direction des personnes âgées. Et la communication elle, peut se faire directement en langue maternelle notamment pour des interlocuteurs d’une même langue.

Or, ces facteurs que nous pouvons considérer comme incitatifs ne se retrouvent par exemple pas dans l’Internet qui est une autre technologie étudiée. L’usage de l’Internet exige un minimum de connaissances en informatique. Mis à part le coût de l’ordinateur qui paraît beaucoup plus prohibitif que celui du téléphone mobile.

Autre hypothèse possible susceptible d’expliquer ce fort engouement pour le téléphone mobile, sa plus ou moins souple accessibilité. En effet, disposer d’une ligne téléphonique filaire dans le réseau gabonais relève d’un véritable marathon. Or, c’est carrément l’inverse pour la téléphonie mobile pour laquelle nous pouvons parler de mise en service sans délai. Tout cela nous amène à penser que ce nouvel 53 outil de communication prend le relais 54 (sans les suppléer) des moyens de communications traditionnels.

Contrairement au téléphone fixe, le téléphone mobile n’exige pas de raccordement. Pour bénéficier des services du mobile, l’achat de l’appareil (le téléphone), et le chargement d’une carte SIM, suffisent pour être joignable. De même, point n’est besoin de souscrire un abonnement mensuel pour mettre son téléphone en service. Des formules « mobicarte » ou carte de prépaiement permettent de contourner cette éventualité qui peut s’avérer contraignante pour certains.

En revanche, l’accès au réseau filaire lui, exige non seulement l’octroi d’une ligne (physique), mais avec à l'appui, un abonnement mensuel. Or, bénéficier d’une ligne fixe, nous l’avons dit par ailleurs, n’est pas chose facile. Les délais d’attente en vue de l'obtention d'une ligne variant pour le cas du Gabon, entre 6 mois et un an. Cela dit, l’explosion de la téléphonie mobile serait une solution aux carences constatées dans l’infrastructure de la téléphonie filaire.

Autre facteur incitatif à l’utilisation du mobile, les coûts. En effet, vu l’engouement constaté dans l’usage du téléphone mobile, il semblerait que les coûts d’accès au mobile sont plus souples (si on s'en tient au caractère florissant de son marché), par rapport à celui du réseau filaire. Á cela s’ajoute la possibilité d’envoyer et de recevoir des SMS gratuitement 55 , mais aussi de continuer à être joint même si on n’a pas de crédit dans son téléphone.

La communication ayant pour rôle de transmettre l'information, de rendre disponible l'information (l'accès à l'information par la messagerie par exemple), ainsi que la possibilité d'avoir des transactions (transfert des données, achat, etc.), le charme du téléphone portable s'expliquerait aussi par sa capacité à remplir ces missions. Même s’il n’est pas toujours facile de déterminer avec précision le type d’informations transmises par les téléphones GSM, les informations pouvant varier selon les usages et les interlocuteurs.

Le mobile se définissant (Bruno Salgues 56 1997), comme un ensemble de produits et services de radiocommunications apportant une solution aux besoins de communication des personnes ou objets en déplacement, le téléphone mobile, parfois aussi appelé « téléphone de poche », n’est plus rattaché à un lieu (le domicile ou le bureau) ou même à un habitacle mobile (voiture).

On peut, comme pour le micro-ordinateur portable ou le baladeur, l’apporter avec soi c’est « une prothèse communicante 57  ».

Ces facteurs qui donnent un caractère pratique au téléphone mobile ne sont pas anodins dans l’attachement qu’ont les Africains à cet appareil. Et c’est là qu’intervient le facteur culturel que nous évoquerons plus tard. Assurément, de nombreuses représentations entourent l’usage téléphone mobile en Afrique. Les Africains aimant les apparences, le fait que cette technologie ne soit pas circonscrite à un cadre fixe et figé correspondrait parfaitement à leur envie de se faire remarquer.

  1. Possibilité d’être contacté à tout moment et à n’importe quel endroit desservi par le réseau GSM : disponibilité téléphonique de l’utilisateur du téléphone mobile, possibilité de recevoir deux appels à la fois (option double appel), allumé ou éteint, recours à la messagerie et à l’identification des appelants, etc.
  2. La petitesse (côté pratique) de l’appareil qui facilite son utilisation, ainsi que la mobilité de l’usager. Grâce aux accessoires du téléphone mobile, Kit mains libres par exemple, le commerçant du village peut tenir une conversation téléphonique tout en servant des kilogrammes de riz. Ainsi présenté, le succès du téléphone mobile se justifierait, en tout cas pour l’Afrique, par sa capacité à répondre aux manques observés dans la fourniture des services du téléphone fixe (difficultés d'obtenir une ligne téléphonique) ainsi que par son plus ou moins souple coût : formule sans abonnement, carte de pré paiement, SMS, etc.

Sur le plan social, l’usage du téléphone portable serait à l’origine de la constitution de groupes des « branchés ». Nous le verrons plus en détail (chap. 10, p. 368) dans la troisième partie de notre travail.

En Afrique et au Gabon notamment, du fait de l'usage du téléphone portable, se manifeste davantage de proximité entre les gens. Ce resserrement des liens qui est certain, s'observe chaque jour un peu plus chez les individus utilisateurs de portables. Cette consolidation des liens pourrait s'apparenter à un effet d’identification du genre : nous sommes certes depuis longtemps des amis, mais nous avons en commun un moyen de communication "à part", cela permet de se retrouver.

En outre, le fait de détenir un téléphone portable serait propice à la création de nouvelles relations : à la constitution de nouveaux groupes d'amis. Nous le verrons par la suite, donner son numéro de portable à un proche devient, mieux qu'un simple geste banal, un réflexe. Or, cela contribue à maintenir les liens et à rapprocher les individus les uns des autres : parents, amis, voisins, collègues, etc., qui trouvent par l'usage du téléphone portable un ancrage relationnel supplémentaire. L’analyse qui précède nous conduit aussi à affirmer qu’il y aurait, à priori, des perceptions différentes de l'objet technique qu'est le mobile, selon que l’on est au Nord ou au Sud. C'est en ce moment que sera interpellé le concept de représentations sociales.

Au regard de l’usage ostentatoire (nous le verrons) dont fait l’objet téléphone mobile en Afrique, transparaît, d'une façon ou d’une autre, un certain mimétisme avec l'Occident : « les Blancs ont massivement adopté ce moyen de communication, alors faisons comme eux», quand bien même, on le voit, les usagers africains n'ont jamais été préparés à cette technologie.

C'est donc sur la base de cette hypothèse qu'il convient ici de faire allusion à un effet de mode dans l’usage du téléphone portable en Afrique. Le reconnaître c’est admettre qu’existe au Gabon et en Afrique, une obsession à non seulement disposer d’un mobile, mais aussi à en faire usage : « je détiens un portable, alors je suis à la page» !

L’usage du téléphone mobile aurait un effet valorisant. On pourrait même parler d'une sorte d’ «existentialisme du mobile » : « j’ai un téléphone mobile, donc j’existe ! ». Et inversement, la non-détention d’un téléphone cellulaire aurait un effet excluant voire dévalorisant : « je n’ai pas de téléphone portable, alors je ne vaux rien, je ne fais pas partie de la haute classe. » Nous y reviendrons plus en détail par la suite, notamment dans le chapitre VII.

Mais avant cela, disons que le "regard envieux" de ceux qui ne disposent pas d’un téléphone portable, à l'égard de ceux qui en ont l'usage s’est aussi manifesté en Occident au moment du lancement de cette technologie vers les années 90. Tout le monde éprouvait l'envie de se servir de ce nouveau moyen de communication et donc de le posséder.

Notes
52.

Pays d’Afrique noire francophones, et principalement le Gabon, Sénégal, Cameroun et les deux Congo.

53.

En tout cas pour les Africains.

54.

Patrice Flichy (2002) dit à ce propos « qu’une innovation nouvelle en chasse rarement une autre, elle coexiste avec celles qui l’ont précédée :  les concepteurs d’un nouveau système de communication se positionnent par rapport à des techniques antérieures. »

55.

Libertis, considéré comme l’opérateur numéro 1 de la téléphonie au Gabon offre à sa clientèle la possibilité de communiquer gratuitement par SMS de 23h à 7h du matin.

56.

Les Télécommunications Mobiles GSM - DCS, 2ème Ed., Hermès, mars 1997.

57.

Sur ce point, voir Marc Guillaume « Le téléphone mobile », Réseaux n° 65, 1994, p. 31.