1.1.1 Sur fond de libéralisation du marché

Le paysage et l'environnement des télécommunications se sont aussi très nettement modifiés ces dernières années en Afrique. Même si la réforme n'est pas encore achevée, des changements considérables ont été enregistrés. Depuis 1995 de nombreux pays ont revu leurs législations pour nous dit-on, « restructurer » le secteur des télécommunications.

De nombreux pays ont privatisé les offres des télécommunications 83  : Sonatel (Sénégal 1997), Sotelma (Mali 1998), OPT (Gabon mai 1999) pour ne citer que ceux-là. Quant aux opérateurs historiques, ils ont dans la plupart des pays été contraints à ouvrir leurs capitaux aux investisseurs étrangers notamment dans le mobile avec l'attribution de plusieurs licences.

Il faut le dire, l’un des postulats de la mondialisation et du néolibéralisme est le désengagement de l’État des secteurs productifs : « l’État ne peut jouer le rôle d’opérateur économique, ce rôle est dévolu aux investisseurs privés » considère le FMI. Ainsi, sans privatisation point de salut, et l’on est alors considéré comme « mauvais élève » des institutions de Brettons Wood.

Dans le cas du Gabon, ces privatisations concernent tous les secteurs d’activités économiques : les industries d’extraction de matières premières, les établissements commerciaux, les services, le transport, l’énergie. Á telle enseigne que l’État gabonais est aujourd’hui en train de se dépouiller de certains outils de souveraineté 84 à l’image de la SEEG 85 « bradée » aux investisseurs privés notamment, et essentiellement aux capitaux français par le biais de la « Générale des Eaux ».

Ainsi en 2001, on comptait 86 33 organes de réglementation indépendants sur le continent. Ces organes permettent selon les experts, d'assurer une plus grande transparence et impartialité ouvrant la voie à la privatisation et à l’introduction de la concurrence. Au début des années 1990, le secteur des télécommunications, généralement lié à celui des postes, relevait de l’État.

Les réseaux étaient donc concentrés entre les mains d'un opérateur public, directement dépendant de son ministère de tutelle : le ministère des Postes et Télécommunications.

Or, ce mode de gestion, se rappelle un responsable 87 des télécommunications en Afrique,  « ne facilitait pas la prise d'initiatives », puisque reconnaît-il,  « aucun investissement n'était possible sans décision politique ». Si les opérateurs publics étaient généralement rentables, une partie de leurs revenus alimentait les budgets publics.

Faute de s’investir dans une politique qui repose sur l’extension et l’amélioration des réseaux pourtant à forte qualité réduite, ces Offices (dans la plupart des pays africains) étaient souvent caractérisés par des emplois pléthoriques (Modandi, 2001) à des postes de responsabilité chèrement rémunérés pour un service pas toujours à la mesure des attentes du public.

Quant au fonctionnement du réseau à proprement parler, les lignes téléphoniques du réseau filaire de l’ex-Office des Postes et Télécommunications étaient régulièrement en dérangement. Et lorsqu’il était en état de fonctionnement, le réseau téléphonique gabonais souffrait de son encombrement ! Fait paradoxal pour un service qui ne satisfait pas déjà toute la demande.

En amont, c’est-à-dire pour obtenir une ligne, il était important de s’armer de patience. À défaut de se lancer dans une pratique peu orthodoxe qui consistait à "mouiller la barbe" à un agent de l’Office des Postes et Télécommunications. Quant au mode de désignation des responsables de ces Offices, lui non plus n’était pas des plus orthodoxes.

En effet, la nomination à la tête de ces Offices, ainsi qu’aux postes les plus importants de ces entreprises, relevait, notamment pour le cas du Gabon qui nous intéresse plus particulièrement, de la seule compétence du président de la République.

Largement subventionnées, les sociétés publiques en situation de monopole ont donc longtemps vécu sur leurs acquis. C’est dans ce contexte que, sous l’injonction du FMI, de la Banque mondiale et de l’UIT, la plupart des états africains se sont engagés « bon gré mal gré 88 », dans la libéralisation du secteur des télécommunications. Il a fallu attendre les réformes économiques et l'ajustement structurel imposés à l'Afrique par les bailleurs de fonds pour voir évoluer (sous le signe de la concurrence), le secteur de télécommunications.

Notes
83.

A l’appel à candidature (pour l’ouverture de 35% du capital couplée à un contrat de gestion) lancé par les dirigeants de Gabon Télécom en juillet 2003, cinq opérateurs ont répondu : le norvégien Telenor, l’allemand Dtcon, Maroc Telecom (Vivendi Universal 35%), le chinois ZTE, ainsi que le sénégalais Sonatel (filiale de France Télécom). Source Service Economique de l’Ambassade de France au Gabon, nombre 2003.

84.

L’une des raisons qui conduit l’État français à ne pas accepter de privatiser certaines sociétés : EDF-GDF, la SNCF, Air-France, etc. c’est parce qu’il les considère (en quelque sorte) comme les fleurons de sa souveraineté.

85.

Société d’Energie et d’Eau du Gabon, première entreprise publique gabonaise au capital de 23 millions d’euros soit 15 milliards de Fcfa, privatisée en 1997 en la faveur de 51% pour le Groupe Vivendi Environnement devenu Veolia water

86.

Marchés Tropicaux, n° 2918.

87.

Guy Zibi, responsable de la Zone Afrique auprès du Cabinet Pyramid Research.

88.

Voir sur ce point, Annie Chéneau-Loquay 2001 (Afrique Contemporaine, p. 36), l’État africain face aux nouveaux réseaux de télécommunications : les cas du Mali et du Sénégal.