1.1.2 Il était temps de « dégraisser le mammouth » des télécommunications

Alors que les États détenaient partout le monopole des opérateurs historiques de télécommunication, dès la fin 1999, dix-neuf pays africains avaient mis en place un organisme de réglementation et environ 50% avaient libéralisé la téléphonie mobile.

En Afrique subsaharienne, la privatisation et la libéralisation du secteur des télécommunications conjuguées à l'utilisation quoique progressive des technologies légères dont le système «Very Small Terminal» (VSAT) constituent des éléments importants des mutations en cours sur le continent, notamment en matière de téléphonie. De l’appréciation des experts, le VSAT a pour vocation de créer des conditions optimales à l'accès aux technologies de l'information qui en dépendraient non seulement pour leur installation, mais aussi pour leur utilisation.

À partir du milieu des années 1990, l’ouverture du capital des Offices au secteur privé a permis selon les premières études d’apporter des améliorations substantielles aux réseaux. Le processus a presque été le même dans la plupart des pays du continent.

Mais l'une des preuves des progrès en cours en matière technologique en Afrique, c'est l'intérêt que lui portent désormais les grandes sociétés de télécommunications à l'échelle mondiale (cf. tableau infra). Car ce processus de privatisation est surtout marqué par un rôle croissant donné aux bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux pour théoriquement contribuer à réduire la fracture numérique.

Tableau n° 2 : Les privatisations des opérateurs nationaux en Afrique (1996-2000)
année Opérateur africain Repreneur Part du capital Montant transaction
1995 Cabo VerdeTelecom
(Cap Vert)
Portugal Telecom 40% $ 20 millions
1996 Sotelgui
(Guinée)
Telekom Malaysia 60% $ 45 millions
1996 Gahana Telecom G-Com Consortium
Telecom Malaysia
30% $ 38 millions
1997 CI Telecom
Côte d’Ivoire
France Telecom 51% $193 millions
1997 Telkom (Afrique du Sud) SBC et Telecom Malaysia 30% $ 1261millions
1997 Sonatel (Sénégal) France Telecom 33,3% $ 107 millions
2000 Ouganda Telecommunication Ltd Telecel International 100% $ 61 millions
2000 Mauritius Telecom France Telecom 40% $ 261 millions
2000 TTCL (Tanzanie) Detecon-MSI 35% $ 120 millions
2000 Camtel (Cameroun) Telecel International 51% $ 138 millions

Source : Marché Tropicaux n° 2918, p. 2044

Une première phase consistait à scinder en deux entités les postes d’une part, les télécommunications d’autre part. Une nouvelle entité était de facto créée pour la nouvelle venue (la téléphonie mobile), dont une partie du capital (généralement de 30 % à 51 %) était cédée à un investisseur privé majoritairement étranger à l’issue d’une procédure d’appels d’offres. La faiblesse, voire l’inexistence, d’opérateurs privés nationaux ou africains, a fait que ce soient les opérateurs étrangers qui aient investi et pris les participations disponibles.

À la suite de ces privatisations, les anciennes entreprises publiques fonctionnent désormais on le voit, avec des capitaux étrangers. À quoi peuvent donc s’attendrent les États dans lesquels les offices sont privatisés ? Les privatisations répondront-elles réellement au désir de compétitivité auquel aspirent les anciens OPT pour faire face à la demande ainsi qu’au défi de l’heure dans le domaine des télécommunications ? Cela reste à voir !

Quoiqu’il en soit, comme le montre le tableau supra, les rachats des différentes sociétés de télécommunication ne se sont pas faits au hasard. Ils se sont d'abord effectués en fonction des liens politiques existants entre les États. C’est le cas des affinités historiques (passé colonial) qui ont d’ailleurs beaucoup joué dans ces reprises. Le Sénégal et la Côte d’Ivoire par exemple n’ont cru bon que de se faire reprendre par France Télécom. Ce, aussi à cause du fait que (le plus souvent) ces rachats allaient dans le prolongement d’une assistance technique ou d’une coopération déjà présente. Mais ces privatisations suffisent-elles pour rendre ces sociétés plus compétitives ou alors ces repreneurs ne voient-ils que leurs propres intérêts ?

Nous penchons plus pour la seconde hypothèse tant certains pays comme la Malaisie qui ont une certaine avance dans ce domaine par rapport à certains pays africains font partie de ces repreneurs. La privatisation et la libéralisation du secteur des télécommunications ont conduit de grandes sociétés à investir sur le continent africain. Ces investissements s'observent sous diverses formes :

Pour le cas du Gabon, la privatisation de Gabon Télécom avait été amorcée en avril 2002. Celle-ci a connu quelques retards du fait que les investisseurs potentiels étaient plus intéressés par la gestion que par la prise du capital. Pour faire avancer ce dossier, le Conseil des ministres a adopté une stratégie de privatisation en deux étapes : premièrement, un appel d’offre a été lancé avant fin juin de la même année (2002) pour la privatisation de 35 % du capital couplé d'un contrat de gestion; deuxièmement, l'ouverture de la majorité du capital qui aura lieu dans une seconde étape lorsque les conditions de marché se seront améliorées.

La privatisation, puisque que c’est de cela qu’il s’agit, a souvent eu un impact significatif sur l’amélioration du réseau des télécommunications. En matière de prise de contrôle consécutive à des privatisations, les sociétés retenues ont consenti à des engagements précis et considérables. Dans les différents cahiers des charges imposés au partenaire stratégique, le nombre de lignes à mettre en place avait souvent été quantifié. Cela, dans l’optique de l'extension des réseaux, de l'accroissement de la télé densité 89 et de l'utilisation d'équipements communautaires. (Gabon Télécom cf. JAI août 2002.)

Mais, pour important que cela soit à rappeler, c’est « sous l’injonction libérale 90  » que le passage à une gouvernance internationale - qui favorise la mainmise des multinationales sur les infrastructures et sur les services des télécommunications des pays africains - s’est fait. On est donc passé « d’un monopole public à un monopole privé étranger 91 ».

Revenant précisément à la privatisation de l’OPT. Disons que la privatisation de cette entreprise rentre dans le cadre d’un programme de réformes adopté par décret pris en Conseil des ministres et annexé à la loi de Finances.

Ces réformes visent, entre autres, « une restructuration profonde de l’économie gabonaise en vue d’en améliorer la performance et réussir ainsi les conditions pour mieux répondre aux diverses attentes 92 ».

La restructuration des postes et télécommunications au Gabon vise selon les responsables gabonais, à l’ouverture du secteur des télécommunications à la concurrence et au secteur privé pour assurer les financements nécessaires pour son développement et l’amélioration des services aux consommateurs. L’essentiel du programme de restructuration consistant comme ailleurs, à séparer les activités des postes à celles des télécommunications. Cette démarche devient classique, car c'est par ailleurs celle qu'avaient adopté les pays du Nord. Elle a abouti jusque-là, pour le cas du Gabon à la création d’un opérateur postal principal pour le secteur poste (Gabon Poste) et d’un opérateur principal des télécommunications pour le secteur des télécommunications (Gabon Télécom).

Mais il n’y a pas que cela. Cette restructuration a aussi eu pour effet l’élaboration d’un nouveau cadre légal de réglementation des dits secteurs. L’opérateur postal principal et les autres opérateurs postaux (services postaux et financiers) devaient passer sous la tutelle de l’Agence de Régulation des Postes.

Les services de télécommunications (service universel, services de télécommunications radioélectriques, service téléphonique localisé, licences, fonds spécial du service universel, l’interconnexion) quant à eux, voyaient leur organisation dépendre de l’Agence de Régulation des Télécommunications. Ainsi organisé, au Gabon comme ailleurs en Afrique, le secteur des télécommunications deviendra plus attrayant. Et ainsi devra-t-il attirer de nombreux opérateurs étrangers.

Notes
89.

Volume des lignes offertes.

90.

Chéneau-Loquay, op. cit.

91.

Idem.

92.

Emile Doumba, ministre de l’Economie, des Finances, du Budget et de la Privatisation. Président de la Commission Interministérielle de Privatisation. Tiré dans la revue n° 5 du Comité de Privatisation, document du ministère de l’Economie, des Finances, du Budget et de la Privatisation.