1.2.1 Les promesses de la Société de l’Information

Le sociologue canadien M. MacLuhan 104 affirmait en 1969 que les télécommunications allaient changer la face du monde et engendrer le progrès dans les pays non industrialisés : télévisions par câble et liaisons satellites étaient les maîtres mots d’une société résolument nouvelle ne ressemblant plus qu’à un « village global ».

La même année, le politologue américain Z. Brzezinski écrivait que le maillage de la planète par des réseaux informatiques était devenu une réalité qui marquerait les relations internationales.

Au nombre des promesses portées par la Société de l’Information, certains 105 évoquent aussi des possibilités nouvelles de lutte contre la pauvreté, l’inégalité et les dégradations de l’environnement.

Mais les technologies de l’information ont surtout changé la nature des échanges à l’échelle mondiale. Elles ont créé de nouvelles avenues pour le progrès socio-économique. Sur le plan social par exemple, ceux des Africains ayant la possibilité de se servir des nouveaux réseaux ne réalisent plus la distance qui existe entre eux, et leurs proches se trouvant à l’étranger.

« D’un clic de souris, du clavier de mon ordinateur, ou sur les touches de mon téléphone portable, j’ai de mes fournisseurs à l’étranger, le prix des produits informatiques. Grâce à cela, j’ai l’impression d’avoir le monde aux bouts de mes doigts», s'exclamait le visage rayonnement de joie André, gérant chez Global System 106 .

Pour réussir dans l’ère de l’Information, les experts l’admettent qu’il faut implanter les TIC dans tous les domaines d’activités. L’autre indicateur de la Société de l’Information, l’info utilisateur, estime qu’utilisées comme biens d’équipement par tous les secteurs, les TIC ont aussi un impact sur l’ensemble de l’économie. Car de nouvelles possibilités émergent au fur et à mesure que les populations acceptent et comprennent l’utilité de ces technologies. En Afrique, le secteur pionnier en matière d’interconnexion est celui de la banque. La quasi totalité des services bancaires en Afrique sont informatisés. D’autres services, dans d’autres secteurs (postes, assurances, administrations centrales, éducation, etc.) suivent petit à petit le mouvement.

Mais cette nouvelle accessibilité ne pourra véritablement être profitable aux pays du Sud qu'à partir du moment où ils la mettront au service de la production de biens et services en entreprise et dans les différentes administrations.

Nous pensons notamment à la mécanisation de la production, à l'informatisation des PME-PMI, des services, à la télémédecine, aux banques de données, et la recherche scientifique. Dans cette perspective, une évaluation des besoins en infrastructures devrait compter parmi les priorités des gouvernants. Pour cela un service central (sorte de base de données informatiques) mériterait d’être mis en place par le ministère de la planification afin de recenser les besoins en équipement : ordinateurs, fax, télex, téléphone et en infrastructures publiques : écoles, dispensaires, hôpitaux, etc.

Car il faut le dire, l’un des maux qui minent le développement du continent africain est l’absence de données chiffrées. Cette défaillance de ce qu’on pourrait qualifier de « politique de comptage » s'est révélée au grand jour lors d’une émission télévisée au cours de laquelle un ministre gabonais de la Santé s'était montré incapable de quantifier le nombre d'hôpitaux placés sous son administration. Pis encore d’en énumérer les besoins. Quand on sait que certains centres médicaux "fonctionnent" des années durant sans médecins, nous réalisons tout de suite la nécessité d’une véritable planification au niveau étatique. Cet exercice de comptage commencerait par un réellement recensement de la population gabonaise.

En effet, le nombre d’habitants du Gabon a souvent fait l’objet de controverses 107 . Or à notre sens tout part de là : confection des listes électorales, taux de scolarisation, nombre de chômeurs, taux de natalité/mortalité, etc. Ce "dénombrement" pourrait être généralisé à l’Éducation nationale pour en savoir le nombre d’écoles, de collèges et de lycées.

À la direction de Gabon poste pour le recensement des bureaux de postes par provinces, Départements, villes et arrondissements.

À Gabon Télécom pour disposer des données chiffrées sur le taux de connectivités du pays (le nombre d’ordinateur par habitant, les foyers connectés à Internet, le nombre de téléphones en circulation, les catégories d’abonnés), etc. La fracture numérique étant estimée par la disparité de ces indicateurs (appropriation des TIC par les ménages, les entreprises et les administrations encore appelés infostates), « l’info utilisation » permet d’étudier l’évolution des TIC dans l’espace (pays donné) et dans le temps.

Si cet exercice qui consiste à comptabiliser les biens et services afin d’en évaluer les besoins pouvait s'avérer difficile hier, il n'en demeure pas moins facilité aujourd’hui grâce aux moyens informatiques. En effet, des logiciels de comptage : Access, Excel, File Maker, Modalisa permettent dorénavant d'effectuer ce genre d'opérations sans trop de difficultés. À cet égard, les NTIC peuvent être utilisées pour étudier et résoudre les problèmes des communautés. Employées efficacement (dans les secteurs de la production, de la recherche et de la formation), les technologies de l’information et de la communication peuvent contribuer à créer une main d’œuvre formée et éduquée qui pourrait devenir le moteur d’une économie vivante et dynamique.

Il convient donc ici de voir l'Internet comme un outil de développement et de désenclavement et non comme un luxe. En participant au réseau d’information globale, c’est un postulat, les pays dits en développement apporteront leur pierre à l’édification de la société de l’information ; parce qu’ils mettront (en termes de contenus), une coloration autre que celle connue jusque-là : c’est le cas de l’art africain, des produits des artisans et agriculteurs locaux, des richesses de la faune et de la flore africaine, du potentiel linguistique africain, etc. De fil en aiguille, les Africains profiteront aussi de la possibilité de communiquer et d’échanger avec les internautes du monde.

Nous voyons donc au fait de se brancher au reste du monde la possibilité de créer de nouvelles opportunités pour les entreprises et les citoyens des pays dits en développement.

Cette démarche éliminerait les barrières (douanières et fiscales 108 ) qui entravent non seulement la circulation de l’information, mais aussi celle des personnes et des biens.

La véritable portée de la fracture numérique ne réside pas dans la répartition inégale des intrants et des produits – scientifiques ou les téléphones mobiles par exemple – mais dans le fait que les uns et les autres risquent de devenir de plus en plus importants pour la croissance économique. Les NTIC (pour les généraliser) donnent lieu à une intensification des flux d’informations et ces derniers, ainsi qu’on le verra plus loin, sont de nature à accélérer la croissance économique.

En somme, des perspectives importantes en guise de promesses de développement tant économique qu'humain qui font cruellement défaut sur le continent noir. En outre, ce qui peut conduire au scepticisme dans ce genre d’expectatives, c’est le manque de précisions sur la manière dont ces nouvelles technologies peuvent [concrètement] contribuer au développement.

Eu égard au caractère indirect du lien NTIC/Développement. Quoi qu’il en soit, on sait qu’investir dans le capital humain 109 est devenu une source de création de richesses plus importante qu’investir dans le foncier ou les biens matériels.

Dans tous les cas, même si le monde ne ressemble pas encore véritablement à la vision de M. Mc Luhan et Z. Brzezinski à cause du fossé technologique, force est de constater que les nouvelles technologies d’information et de communication ne sont pas sans incidences sur le plan international 110 dans la mesure où elles favorisent la transparence des marchés par un meilleur accès à l’information et leur permettent de fonctionner plus efficacement grâce à une réduction du coût des transactions.

Mais l'une des principales inquiétudes est que le développement de technologies de l’information et de la communication s’opère de façon exponentielle mais différenciée au Sud et au Nord. Certes, le Sud est encore une fois en retard, mais ce qui justifie ce retard qui est très sensible est le fait du manque et de la déficience des infrastructures de communication, car, l’environnement africain d’une manière générale, présente des faibles taux de pénétration du téléphone (2,5 %, soit 1/6 de la moyenne mondiale 111 ) consécutive à une faible croissance des réseaux, parfois des systèmes dépassés, avec un réinvestissement des bénéfices qui laissent à désirer, des liaisons téléphoniques interurbains médiocres et des infrastructures de réseaux nationaux très variables 112  ».

Mais là où semble pécher ce rapport de la Commission cité plus haut, c'est qu'il se limite au stade des simples constats. Or les constats sont nombreux et se ressemblent tous : l'Afrique est le maillon faible dans le domaine technologique. Ce qui aurait été novateur c'était de proposer des solutions permettant de remédier à la situation. Quoi qu’il en soit, malgré le retard quant à la capacité à disposer d’une infrastructure solide, il n’en demeure pas moins que la pénétration de la téléphonie mobile en Afrique est d'une réalité indéniable.

Fort de ce constat, la question de savoir si le téléphone mobile peut être considéré comme une technologie à même de contribuer au développement a donc tout lieu d’être. C’est dans ce souci que nous entreprenons de nous penchons sur la question dans la partie qui suit histoire d’en apporter la démonstration.

Notes
104.

McLUHAN, M., Counterblast , McClelland and Stewart, Toronto, 1969 (= Counterblast , traduction française, Editions Hurtubise HMH, Ltée et Maison Mame, Montréal, 1972.)

105.

Cf. Choix, magazine du PNUD, ( juin 2000.)

106.

Global System est situé en centre ville (Libreville) c’est une boutique de vente de produits informatiques, de téléphones mobiles et de leurs accessoires.

107.

Les autorités gabonaises ont souvent été accusées de « jongler » avec les chiffres de la population gabonaise en la majorant (pour bénéficier des largesses du FMI), et en la minorant ou majorant selon leurs intérêts, (à la veille des consultations électorales) pour tripatouiller les votes : cf. L’Etonnante vitalité démographique du Gabon (Philippe ALFROY) 10/05/2005, in http ://www.izf.net/izf/Actualité/RDP/gabon.htm

108.

La taxe sur la valeur ajoutée (TVA), est reconnue comme étant l’un des freins au développement des NTIC en Afrique parce que trop élevée. Le matériel informatique, ainsi que les produits liés aux NTIC ont la particularité d’être surtaxés en Afrique de façon générale. Ce qui rend leur coût trop élevé et leur accès prohibitif.

109.

Une main-d’œuvre qualifiée ayant des connaissances assermentées dans le domaine des NTIC par exemple.

110.

Pour approfondir cette question, voir sur ce point, Roger Delbarre, http://www.er.uqam.ca/noble/gricis/actes/bogues/Delbarre.pdf En réponse à la globalisation vers l’émergence d’un espace public international, Montréal, 24 au 27 avril 2002.

111.

AFRICA'NTI, 2001, "Fixe, Mobile, Internet et câbles sous-marins : l'Afrique se met en quatre.

112.

« Economic Commission for Africa » (ECA), Politiques et stratégies pour accélérer le développement de l’infrastructure de l’information en Afrique, Addis-Abeba, ECA, 1999.

ECA, Le processus de développement de l’infrastructure nationale de l’information et de la communication en Afrique, Addis-Abeba, ECA, 1999.