Chapitre 2 :
Brève présentation du Gabon

‘« Écrire sur son pays, c’est se dévoiler soi-même, et livrer à la curiosité des autres tout à la fois ses faiblesses, ses insuffisances, ses infirmités, avec ce qu’elles peuvent signifier : des certitudes hardies, des appréciations injustes, des errements ; avec aussi ce qu’elles peuvent traduire : des passions et des rêves, des lubies ou des utopies, des illusions perdues ou des espérances saugrenues. C’est dit-il dévoiler une relation intime, sa propre nudité 173  ».’

Le Gabon étant notre principal pays d’étude, sa présentation s’avère nécessaire car c’est à partir de cela que le lecteur disposera des clés pour saisir la perspective de notre démarche ; notamment lorsqu’il s’agira de mener une réflexion sur l’état du sous-développement technologique du Gabon.

C’est aussi donner au lecteur les éléments de compréhension lui permettant d’accéder à nos analyses lorsqu’il s’agira d’évoquer le thème de la volonté politique. Sachant qu’un état des lieux des infrastructures de télécommunication du Gabon est indispensable pour en étudier les contours (connectivité, qualité des réseaux, etc.) Aussi, conscient du fait que la qualité de l’infrastructure peut être un indice de l’état du développement d’un pays. Ce diagnostic nous conduira inévitablement à évoquer la question du développement, qui elle, interpelle l’aspect économique (gestion de l’État) qui relève de la compétence des décideurs politiques. Ceci étant, la présentation du Gabon dans ses aspects les plus saillants s’impose. Car c’est à la suite de cette présentation que l’étude de la téléphonie mobile sur son versant sociologique, qui, rappelons-le constitue l’objet central de cette thèse pourra enfin commencer. Quel est donc le vrai visage du Gabon 174  ?

Carte n° 2 : Carte administrative du Gabon
Carte n° 2 : Carte administrative du Gabon http://www.ndongs.com/gabon_fr/cartes/cartes.html.

Lorsqu’on braque les projecteurs sur le Gabon, on en vient à comprendre que la stabilité dont jouit ce pays provient en gros de deux facteurs essentiels : d’abord les atouts économiques : pétrole, manganèse, uranium, forêt (hors pairs) dont dispose 176 ce pays, qui font de lui l’un des pays les plus riches d’Afrique centrale 177 .

Ensuite, et c’est le second facteur, le fait que ce pays ait de la chance, (en tout cas jusqu’ici), de n’avoir pas sombré dans les conflits armés tel qu’il en est le cas chez nombre de ses voisins (Congo, République Démocratique du Congo, Rép. Centre Africaine) ; le second facteur pouvant dériver du premier.

En effet, la réputation de pays riche que traîne le Gabon malgré son produit intérieur brut qui est de très loin le plus fort, n’est en fait qu’une richesse de façade. C’est incontestable, l’économie gabonaise s’est longtemps reposée sur un socle minéralier et forestier prospères. Le sous-sol gabonais regorgeait en effet, d’une panoplie de ressources minières (pétrole, manganèse, uranium, etc.) comme aucun autre pays sur le continent.

Si nous remettons en cause la prospérité du Gabon, c’est parce que classé par la Banque Mondiale «seul pays à Revenus Intermédiaires de Tranche Supérieure de l'Afrique sub-saharienne 178 » cette position ne se reflète pas sur les données qui attestent de la prospérité d'un pays par exemple l’indice du développement humain. Encore moins sur la qualité et le niveau de vie de la majorité des Gabonais. Nous-y reviendrons.

À ces nombreuses ressources naturelles pourrait s’ajouter le facteur démographique qui est "favorable" (environ 1,2 million). Si on s’en tient au fait que, comme le disait un expert des Nations Unies 179 , « le seul domaine dans lequel la part de l’Afrique dans le monde augmente est sa population ». D’ailleurs le dernier rapport du Fonds des Nations Unies pour la population (Fnuap), rendu public en décembre 2002, confirme cette tendance : le continent abrite aujourd’hui quelque 832 millions d’habitants.

Et cette population est selon le même rapport en augmentation de près de 20 millions de personnes qui équivaut au taux d’accroissement le plus élevé de la planète : 2,3 %, contre 1,3 % pour l’Asie et 1,4 % pour l’Amérique Latine. Cette maîtrise démographique du Gabon, pour ne pas parler de sous-peuplement, constituerait à tout le moins un atout pour ce pays. Car, nous sommes d’avis sans être malthusiens 180 , qu’une forte démographie constitue un handicap à la croissance et au développement humain. Ce que confirment d’ailleurs les Nations Unies qui reconnaissent que, ce « boom » démographique (2,3 % d’augmentation) qui s'observe en Afrique est un frein à la croissance économique.

Les études du Fnuap 181 citées ci-haut confortent d’ailleurs aussi cette thèse d’une corrélation entre croissance démographique et niveau de vie en concluant que les pays africains où la natalité a chuté (Tunisie : 2,1 enfants par femme en 2002, contre 2,55 en 2000, Égypte, île Maurice, etc.) ont connu une nette amélioration de leur niveau de vie.

Comble de tous les paradoxes, la faible démographie du Gabon (1,2 million d’habitants) pour un territoire qui fait près de la moitié de la France (268 000 km2), n’a aucune incidence positive sur la situation économique du pays. Au contraire, nous le verrons par la suite, le Gabon est plutôt victime de son sous-peuplement. Ce serait donc une exception en Afrique !

Ces facteurs socioéconomiques, pour ne pas dire, ces atouts (hydrocarbures, ressources minières mais aussi forestières, combinés à une faible population) placent le Gabon à un rang tel qu’il n’aurait vraisemblablement rien à envier à ses Républiques sœurs d’Afrique, généralement moins nanties : (le PIB du Cameroun $ 1680, en RDC, $1358), et surpeuplées (population du Cameroun : 16 millions d’habitants, de la RDC : 45 543 779 habitants), mais il n’en est rien. L’exception ne confirme donc pas la règle.

Le paradoxe du Gabon réside sur le fait que, relativement riche, il n’en demeure pas moins que sa population soit globalement pauvre puisqu’elle ne dispose pas de conditions de vie nécessaires pour son développement humain. Selon la Banque mondiale, le Gabon occupait la 109ème place sur 225 pays classés en fonction de leur revenu par habitant en dollars, évalué en termes de parité de pourvoir d’achat (PPA) de chaque pays 182 .

Toutefois, le classement établi par le PNUD en termes d’IDH (indicateur du développement humain) situe le Gabon au 117èmerang sur 173 pays 183 . En marge des statistiques officielles qui masquent souvent la réalité, ce qui caractérise foncièrement le Gabon ce sont les disparités entre les villes, les profondes inégalités sociales à l’origine d’un mal être social.

Illustrant "le dynamisme" de l’économie gabonaise, l’OCDE 184 estimait pour l’année 2000 que le niveau de revenu par habitant au Gabon dépassait les 4000 dollars 185 . C’est dire, si l’on se place à l’échelle africaine, combien ce pays a eu plus de chance d’émerger que d’autres.

Mais à y regarder de près : taux de chômage élevé (plus 30% de la population), taux de mortalité infantile 85 pour 1000 186 , infrastructures routières (sur 7518 km de routes, seul 614 km de routes sont goudronnés 187 ) etc. on finit par se rendre à l’évidence que le Gabon n’a pas su profiter du caractère « exceptionnel » de sa situation économico - démographique.

Qu’en est-il du développement de la téléphonie mobile qui s’observe ? Est-il envisageable de penser que cet engouement pour le mobile puisse être vecteur du développement économique du pays ? Pour tenter de répondre à cette question qui nous conduira à faire une sorte d’analyse comparative entre quelques pays d’Afrique Noire d’expression française : Cameroun, Congo, Sénégal, Togo, etc. poursuivons notre présentation du pays qui nous servira de modèle référent. Ce n’est qu’après cela, que nous pourrons évaluer la capacité de la téléphonie à solliciter le développement.

Notes
173.

Henri Badolo, cité par Henri Paul Ziza, Thèse de Doctorat, Bordeaux 3, 2002.

174.

Source: Food and Agriculture Organization 2001http://www.ndongs.com/gabon

175.

http://www.ndongs.com/gabon_fr/cartes/cartes.html.

176.

Convient-il encore de parler au présent lorsqu’on évoque les richesses du Gabon ? Le Gabon prospère est au passé, le lecteur en conviendra !

177.

Le Président Léon M’ba (premier Président du Gabon) ne disait-il pas que le Gabon est un pays béni des dieux ? Les opérateurs économiques occidentaux, il y a une vingtaine d’années, avaient baptisé le Gabon « l’émirat noir » en raison de la place prépondérante prise par le pétrole parmi les matières premières. Outre le pétrole, il y a la forêt, première ressource du pays dont l’exploitation remonte au début du siècle dernier ; mais aussi les mines.

178.

Voir http://www.missioneco.org/gabon/documents_new.asp? (Mission Economique De l'Ambassade de France au Gabon).

179.

In, problèmes économiques n° 2751, du mercredi 6 mars 2002, p. 1.

180.

Thomas Robert Malthus (1766-1834), “Essay on population and its effects on society”, 1798. La théorie de Malthus consiste (en gros) à faire des « rapports entre l’accroissement de la population et celui de la nourriture ». Pour cet économiste, plus la population augmente, plus les parts de nourriture à distribuer sont petites. Thomas Malthus opte pour la limitation des naissances pour pallier les carences et insuffisances alimentaires et éviter la faim.

181.

Pour d’amples informations à ce sujet voir : http://www.populationdata.net/pauvrete_demographie_afrique.html.

182.

World Bank, The World Development Indicators 2001.

183.

Voir sur ce point, PNUD, Indicateurs du développement humain 2002, p. 151.

184.

Perspectives économiques en Afrique OCDE 2001/2002, p.145.

185.

Il est de 3500 dollars aujourd'hui (2004) Ecofinance, n° 44, juin 2004, p. 95.

186.

DGSEE (Ministère de la planification). Fonds des Nations Unies pour la population et ORC Macro. 2001. Enquête Démographique et de Santé du Gabon (EDSG) 2000, Calverton, Maryland : DGSEE, FNUAP, ORC Macro.

187.

Voir : http://www.guidemondialvoyage.com/data/gab/gab100.asp