2.2.3 Une période « des vaches maigres » qui s’éternise

Les données fournies par le tableau que nous venons d'étudier attestent d'un début de crispation de la production pétrolière au Gabon, la courbe infra illustre bien le phénomène.

Tableau n° 13 : Évolution de la production pétrolière au Gabon
Tableau n° 13 : Évolution de la production pétrolière au Gabon

Source : DREE, J.A.I, Hors série N° 6, mai 2004, p. 206.

La production pétrolière qui évoluait déjà en dents de scie de 1996 à 1998, amorce vers la fin de l’année 1997, une flexion significative vers le bas. À la période des «vaches grasses» va donc succéder la période des «vaches maigres». Les données en pourcentage de la contribution de la production pétrolière au PIB fournies par le tableau ci-après illustrent bien cette évolution en dents de scie.

Tableau n° 14 : Taux de croissance réel du PIB au Gabon (1994-2003)
Années Production pétrolière dans le PIB
1994 1,7 %
1995 3,2 %
1996 3 %
1997 10 %
1999 6, 2 %
2000 0, 3 %
2001 1,7 %
2003 1,5 %

Cette récession économique qui se profile à l'horizon des données fournies par le tableau supra, découle de deux facteurs. Premièrement, l’épuisement des réserves pétrolières du Gabon, et deuxièmement, du fait de la chute des cours de ses produits de base que sont le pétrole, le manganèse, l’uranium, le bois et de l’explosion de la dette.

La première leçon à tirer de ce ralentissement économique est la suivante : les entreprises étatiques ne créaient pas de valeur, mais cela ne les empêchait d’embaucher à tout va. Ce qui comptait, c’était la « redistribution ». Tant qu’il y avait de l’argent, le système a fonctionné. Tout compte fait, le Gabon n’a pas su tirer profit des facteurs encourageants qui ont fait les beaux jours de son économie. Ainsi a t-il sombré dans une crise économique sans précédent.

Faute de n’avoir pas pu résister à la crise, le Gabon descendra vaille que vaille de son piédestal des années quatre vingt, et rentrera dans les rangs des pays pauvres. La situation en était celle-là lorsque intervint la dévaluation de 50% du Franc CFA en 1994. Les conséquences de ce que le président gabonais lui-même qualifiera de « période de vaches maigres » ne se feront pas attendre : le FMI décrètera une réduction du train de vie de l’État. Décision qui ne sera pas sans effets néfastes, dans la mesure où la redistribution des revenus des produits de rente se fait par le truchement des dépenses publiques.

Conséquence, baisse sensible d’activités dans les entreprises publiques et privées. L’État, véritable locomotive de l’économie, en est le principal employeur. Il totalisait 35 700 fonctionnaires en 1994, contre 44 000 en 2001. Le secteur tertiaire quant à lui comptait seulement 93145 emplois en 1993. Le nombre des fonctionnaires représente 4,5% de la population totale du pays. Et absorbe plus de 55% des dépenses totales du budget de fonctionnement de l'État : soit, (en 1996), 184,6 milliards de Fcfa (280.506.191,72 euros), contre 336 milliards (512. 228.697,92 euros) en 2001. Fin 2003, la masse salariale plafonnée par l'État gabonais s'élevait à 226,5 milliards de Fcfa (344. 534 779 euros). Alors que la fonction publique, les collectivités locales et les entreprises publiques totalisaient 70% des emplois. La fonction publique à elle seule absorbait plus d'un tiers des emplois.

La mauvaise posture dans laquelle se trouve le principal employeur (l’État) en 1994, affectera donc tous les secteurs d'activité. Du coup, on assiste à des licenciements massifs et à des départs anticipés à la retraite dans des sociétés comme AGROGABON, COMILOG, COMUF, SNBG, SONG, etc. Le tout, accompagné d’un gel complet des recrutements dans la fonction publique.

La "période des vaches maigres" sera à l’origine d’une montée du chômage sans précédent, qui elle conduira à la paupérisation des villes. La paupérisation des villes produira un phénomène nouveau : la délinquance urbaine créant ainsi l’insécurité partout dans le pays.

Depuis lors, l’économie gabonaise n’est plus jamais sortie de l’impasse. Ainsi, de 1998 à 2002 (les données de 2003 étant encore au stade des estimations), le principal constat de la BAD est qu'on a assisté à un recul de l’activité économique due essentiellement à trois faits. D’abord la baisse du niveau de la production pétrolière (de 17,6 millions de tonnes en 1998 à 12,6 millions en 2002). Ce qui a eu pour effet de réduire le niveau des disponibilités financières et de rendre impérative la diversification de l’économie.

Ensuite la réduction du niveau des investissements publics. Troisième et dernier constat de la BAD : la situation sociale y est préoccupante. Estimé à 22,4 dollars américains en fin 2001, le prix du baril a été reconsidéré à la baisse au montant de 19,17 dollars. En 2003, les recettes pétrolières du Gabon, qui ne représentent que 13,4 % de son produit intérieur brut (PIB), seront inférieures aux recettes non pétrolières 16,9 % du PIB, « sans que cela résulte d’une plus grande diversification de l’économie ni d’une meilleure perception des recettes». Selon l’Agence 205 chargée de l’observation de l’économie gabonaise.

La production pétrolière étant le poumon de l’économie gabonaise, cette baisse a entre autres, conduit notamment à la révision à la baisse du budget de l’État. Le projet de budget rectifié pour l’exercice 2002 avait été arrêté en recettes et en dépenses, à 1. 323,6 milliards de Fcfa (201.690.050 euros) au lieu de 1.334,4 milliards (203. 366.988 euros) dans la loi de finance initiale.

Cette révision à la baisse du budget de l’État a bien entendu des conséquences néfastes pour l’économie nationale. Elle entraîne par exemple la baisse du PIB en valeur de 8,2% soit 3.152,5 milliards de Fcfa (480. 519 302 euros). Cela conduit ipso facto le gouvernement à prendre des mesures drastiques concernant notamment le réajustement des dépenses de l’ État.

Autre signe négatif pour l’économie gabonaise, la Compagnie Française d’Assurance pour le Commerce Extérieur (COFACE) a ainsi annoncé le 19 décembre 2002, avoir déclassé les notes du Gabon de (B à C), au même moment que la Côte d’Ivoire passe de (C à D). Les notes de la Coface (filiale de Natexis Banques Populaires), 3ème assureur crédit mondial et premier français, mesurent le niveau moyen de risque d’impayé présenté par les entreprises du pays concerné. La note du Gabon a été dégradée en raison de « l’impact croissant de la diminution de la production pétrolière sur les finances publiques et donc sur le comportement de paiement des entreprises», a expliqué la Coface. Que dire alors de ce pays après avoir étudié ses aspects les plus caractéristiques ?

La conclusion est simple, le Gabon n’a sans doute pas su profiter de ses années glorieuses. Le pétrole a coulé à flot alors que le pays stagnait. Les structures de bases (hôpitaux, écoles, routes, infrastructures de communication…) manquent cruellement. Sur la base de ce constat, la tentation est grande de vouloir affirmer que le Gabon a été, et continue d’être en porte à faux avec ses richesses.

Notes
204.

Source : Rapport mondial sur le développement humain. 2000 et 2001 PNUD. Http://www.gabsoli.org

205.

Compagnie Française d’Assurance pour le Commerce Extérieur (COFACE), J.A.E. n° 348, mars 2003, p. 67.