3.1.2 Des techniques de liaison sans pareilles

Les techniques de communication que détenaient les Gabonais de l'époque étaient à la fois originales et originelles. Durant la période précoloniale, à cause de ses nombreuses fonctions et des multiples usages dont il faisait l'objet, il était difficile de définir le tam-tam. Était un outil de communication ou un simple instrument de musique ? Toujours est-il qu'il jouait les deux rôles. Instrument de musique pour les veillées traditionnelles par excellence, le tam-tam 234 a de beaux jours derrière lui en tant que moyen de communication à distance au Gabon.

Même si l'organisation des autochtones n'avait rien de comparable à celle des Romains par exemple, il convient de faire remarquer que des sortes de courtiers, ayant le rôle d’émissaires ou de messagers existaient dans la cour des chefs traditionnels. Ces précurseurs de la fonction de ministre des Affaires étrangères d’aujourd’hui parcouraient sans répit la forêt, dévalaient les montagnes à travers des pistes (seules voies de communication) pour porter des nouvelles.

Ces systèmes de liaison se composaient pour l’essentiel d’une sorte de tam-tam utilisé par les peuples du Gabon 235 , appelé « Ndongo » en pays Eviya, et « Ngomo » chez les « Tsogho». La résonance du son du tam-tam pouvait être assimilée à un jet de télégraphie ou de fax moderne. C’est donc une sorte de télégramme qui était destiné à une contrée bien précise comme un appel téléphonique retentit au domicile du correspondant souhaité.

À la différence que notre message tambouriné circulait à des distances raisonnables, c’est-à-dire entre trois et six kilomètres. Malgré son caractère pratique, il faut dire que les peuples du 18e et 19eme siècle n'avaient recours à la communication tambourinée que dans des circonstances particulières. Par exemple l'annonce d'un événement important tel un décès, un mariage, mais aussi et surtout pour prévenir le village voisin de l’imminence d’une guerre « Nguba».

Pour important que cela soit à souligner, le message véhiculé par le truchement des battements du tam-tam nécessite un décodage de la part du destinataire. Pour cela un apprentissage préalable était indispensable. Il était impérieux d’«aller à l’école de la communication tambourinée» aussi bien pour l'émetteur que pour le récepteur. L'émetteur parce qu'il ne suffisait pas de taper sur le tam-tam pour être compris. Il y avait des codes sonores. Pour cela il fallait maîtriser l’instrument afin d'être capable de transmettre un message « compréhensible». Quant au récepteur, il devait lui, être capable de décoder le message émis par son interlocuteur et si besoin d'y répondre ! C'est l'accusé de réception.

Cette dialectique « émetteur – récepteur » est la même qui a régit le télégraphe de Chappe. Aux fins de se servir de la messagerie, l'émetteur et le récepteur doivent chacun pour leur part être en mesure de coder et de décoder le message.

D’ailleurs comme le télégraphe de Chappe, le tam-tam ne transmet pas des mots ou des lettres mais des énoncés globaux des ("phrases"). Il y avait d’autres usages plus locaux qui consistaient, par exemple, à avertir les habitants de la présence d’un fauve à proximité d’un village.

La corne d’appel, « Gémbomba », servait entre autres, de signal à l’imminence d’une cérémonie de danses traditionnelles. Comme la cloche pour les chrétiens et l’appel du Muezzin chez les musulmans, la corne d’appel servait à convier tous les initiés « nima na kombwé » à la veillée. Toutefois, l’époque des messages tambourinés semble lointaine, si lointaine qu'avec l'évolution du contexte socio-politique, les méthodes et moyens de communication ont changé.

Le point de départ de la modernisation des techniques de communication commence avec le Plan Sarraut 236 (1920 -1922). Le plan Sarrault consistait à donner une nouvelle orientation à la politique française vers ses colonies. Pour Sarraut, «la puissance économique et le rayonnement extérieur d'une métropole colonisatrice ont pour condition première, le développement, la prospérité, la croissance robuste, la vitalité des possessions filiales qui sur les divers points de l'univers attestent le génie bienfaiteur de la Mère-Patrie, lui offrent de vigoureux points d'appui, et ajoutent leurs propres forces à l'élan de son expansion mondiale 237 ».

Lors d’un discours, Albert Sarraut ministre des colonies à l'époque considère que les colonies avaient été soumises au régime «débile et lent des petits paquets 238 » ce qui a ralenti leur progrès économique et social. Mais le plan Sarraut se limitera au stade des critiques car il faudra attendre 1924, avec la nomination de Antonetti au poste de Gouverneur de l'AEF 239 pour assister à la restructuration des PTT 240 .

Le 7 octobre 1926, il prend un arrêté portant modification de ce service dans le sens d'une plus grande responsabilité au Lieutenant-Gouverneur de chacune des colonies, qui voit désormais la possibilité de prendre certaines mesures de fonctionnement de ce secteur sans passer par le Gouverneur Général. Il peut par exemple désormais muter le personnel «indigène» des PTT, mais mieux encore, le même arrêté décide de rattacher les postes des téléphones sans fil au service de l'Inspection des PTT.

Ce qui était une mesure importante car cette fusion PPT TSF renforçait la position des PTT qui devaient désormais assurer les communications internes et externes de l'AEF. Pour le cas spécifique du Gabon, les plans d'équipement et de développement économique et social datent de la période des conférences coloniales des années 1930. Les réalisations du FIDES et de la CCFOM consistaient en des prêts spéciaux aux territoires dans le but de financer les équipements. C'est dans cette optique que le Gabon reçoit huit cent millions de francs pour les plans quinquennaux de 1947 à 1957 241 . Cette aide financière sera investie dans le développement du secteur rural, des transports, de la santé, l'habitat, l'urbanisme et les moyens de communication. En 1954 seront mis en place des textes réglementaires du service des postes et télécommunications en AEF et au Gabon. Prémices de l'OPT aujourd'hui Gabon Poste et Gabon Télécom. Outre la maîtrise des processus nationaux en cours, à l’instar de tous les pays concernés par l’économie mondiale, le Gabon vit désormais au rythme des mutations et phénomènes de la mondialisation et notamment des évolutions des nouvelles technologies de l’information et de la communication.

Notes
234.

Instrument fait de bois, ayant une colonne d'environ 1,5m ouverte aux deux extrémités. Une extrémité (partie supérieure) est fermée d'une peau de bête (généralement celle de la gazelle) préalablement séchée au soleil pendant plusieurs jours : c’est la partie où l’on joue, l’autre extrémité reste ouverte pour faire sortir le son. Le musicien le saisit habilement entre ses jambes et le joue soit avec deux bâtons délicatement taillés pour émettre un bon son, soit le joue avec ses mains dans la même position.

235.

Afrique industrie : Infrastructure, n° 217, 15 octobre 1980, p. 16.

236.

Albert Sarraut était un homme politique français.

237.

Albert Sarraut, in La mise en valeur des colonies, Paris, Payot, 1923, p. 346, cité par Ziza 2002.

238.

Idem.

239.

Afrique Equatoriale Française. En 1908, quatre territoires sont créés : Gabon, Moyen-Congo (actuel Congo-Brazzaville), Oubangui-Chari (actuelle République centrafricaine) et Tchad. En 1910, un décret organise le gouvernement général de l'AEF à Brazzaville.

240.

Poste Téléphone Télégraphe.

241.

Jacqueline Bouquerel, Le Gabon, PUF, Que sais-je ?, n° 633, 1979, p. 84, cité par Ziza.