3.1.4 Une forte envie de communiquer malgré des prix prohibitifs

Les principaux enseignements à tirer des données fournies par le tableau supra sont de deux ordres : le premier enseignement est celui d’un constat d'une floraison subite 245 de cybercafés, principalement à Libreville. Et le second constat est celui du caractère élevé du coût de connexion à Internet eu égard à la catégorie socioprofessionnelle des usagers  (étudiants et scolaires.)

Dans tous les cas ce constat d’une croissance quasi permanente du nombre de cyber-centres à Libreville n’est autre que l’émanation d’un secteur en plein « boom ». En effet, même si le Gabon n’a pas encore atteint les mêmes proportions (en termes de niveau d'usage, des Technologies 246 de l'Information et de la Communication) que celui des pays comme le Sénégal avec ses 12 000 abonnés à l’Internet, et 100 000 utilisateurs, idem pour la Côte d’Ivoire dont les données nous sont fournies par le tableau infra, avec environ 55 000 internautes et près de 200 cybercafés 247 , nous pouvons à tout le moins, faire mention d’un « boom » de l’Internet au Gabon.

Tableau n° 17 : Données sur les abonnés en Côte d’Ivoire
Année Abonnés au téléphone mobile Abonnés au téléphone fixe Population Taux de pénétration en %
1997 36005 142 322 15 292 000 1,17
1998 91 212 171 001 15 854 000 1,65
1999 257 134 219 283 16 377 182 2,91
2000 (mai) 322 500 240 000 16 917 629 3,32

Source : Enquête en ligne/ "online survey", avril 2003.

En dépit des quelques écueils  : lenteur au niveau de la connexion, coût exorbitant de la connexion, analphabétisme, etc. (que nous évoquerons plus loin), le cœur du Gabon bat (à sa façon), au rythme d’un dynamisme technologique au même titre que les pays précités. Internet est venu, il y a quelques années maintenant, enrichir les moyens de communication du Gabon. Cela d’autant puisque les cybercafés recensés (environ 200) ont vu le jour en l’espace de quelques mois.

Cette rapide prolifération des cybercafés s’explique, dans une certaine mesure, par l’engouement constaté lors de l’ouverture des tout premiers "centres de communication 248 ".

Engouement qui n’est autre que, l’émanation d’une forte demande consécutive à une forte envie du public gabonais de communiquer via lnternet. Malgré une politique des prix prohibitive, (0,76 euros étudiants et scolaires 249 et 1,5 euros la demi-heure pour les autres usagers), ainsi que les fréquentes difficultés de connexion 250 consécutives à la saturation du réseau, preuve de la faiblesse des capacités de connexion au niveau national. Mais ces embûches ne suffisent pas pour autant à briser la ferveur des quelques «initiés de l'Internet» gabonais.

Cependant, si une dynamique est perceptible, cela ne donne pas lieu de parler d’une euphorie généralisée. Car compte tenu de la faiblesse du pouvoir d'achat des ménages, du coût de l'équipement informatique et du prix élevé des communications, bien peu de Gabonais sont à même de se connecter à Internet à partir de chez eux. Ainsi convient-il de se demander qui sont réellement ces usagers de l’Internet au Gabon ?

Le réseau Internet ne séduit pas, loin s’en faut, l’ensemble de la population gabonaise. A priori seule une frange de la population se serait familiarisée avec cette technologie : celle de la tranche d’âge de 12 à 35 ans. Patrick, employé à Cyber-Game (au rond-point d’Awendjè 251 ) a fait un premier constat : celui d'une fréquentation d'un public plus féminin que masculin. Et dans cette majorité féminine nous fait remarquer Patrick en second constat, la plupart d’entre elle fait essentiellement du « chat 252  » dans le but de faire des rencontres.

En outre, même si dans son observation du comportement des internautes gabonais notre informateur (que nous avons, il faut le dire, rencontré en période estivale) relativise l'usage massif de la messagerie en soulignant qu’en période scolaire certains de ses clients font des recherches, cela ne fait pas perdre de vue que le succès de l’Internet en Afrique s’explique dans une large mesure par un souci du maintien du lien social 253 .

Créer et maintenir des liens à travers l'usage de l'Internet devient le nouveau sésame. C'est ce soucis du lien social qui explique dans une large mesure le succès des sites hébergeurs de messageries tels Assala, yahoo, hotmail, et caramail.

Ainsi que la fréquentation des sites de rencontres, et les forums 254 . Il est désormais aujourd'hui admis 255 en Afrique qu’ « on peut trouver son bonheur sur Internet 256 ».

Ce public jeune qui est en majorité composé des filles, ainsi que les usages (essentiellement la messagerie) qui en découlent démontrent bien que le réseau Internet en Afrique n'a pas encore écrit ses lettres de noblesse : son usage demeure parcellaire et son contenu méconnu. Comment alors expliquer ce manque d’intérêt pour un outil qui est en train de faire ses preuves  partout dans le monde ?

Notes
245.

Il y a cinq ans, le Gabon comptait à peine deux points de connexion à Internet qui étaient d’ailleurs réservés à un public précis : les touristes occidentaux et quelques rares «initiés » nationaux.

246.

Les chiffres sur les NTIC au Sénégal datent d’août 2002, Op. Cit., OSIRIS.

247.

In Ecofinance n° 44, «Promesses à tenir», juin 2004, p.100.

248.

Locaux multiservices regroupant des points phones, la possibilité d’envoyer des fax, et parfois la connexion à Internet.

249.

Soulignons au passage que le prix de la connexion pour une demi-heure dans un cyber-centre pour (étudiants et scolaires) au Cameroun s’élève à 0, 38 euros, donc de moitié moins cher qu’au Gabon. Cette disparité (coût élevé de la connexion au Gabon) s’expliquerait par la cherté de la vie au Gabon par rapport à son voisin le Cameroun.

250.

Il est quasi impossible de se connecter aux heures de pointe. Ce qui fait que dans la plupart des cas, pour une connexion de 30 minutes, l’usager paie le coût d’une connexion pour laquelle il ne consomme réellement que 15 minutes. Le temps de lancer le moteur de recherche et d’accéder à la page Web souhaitée, près de 15 minutes s’écoulent. Ce qui est encore déboutant pour les usagers c’est que, quelque soit les déconvenues : page indisponible, impossibilité de se connecter à temps, l’usager ne bénéficie d’aucun recours ! Le compteur arrête systématiquement la connexion une fois que le temps imparti s’est écoulé.

251.

Le quartier Awendjè se trouve dans le cinquième arrondissement de Libreville.

252.

Dialogue en ligne.

253.

A titre illustratif, en juillet 1999 déjà 60 000 personnes au Sénégal avaient une adresse électronique selon le journal Sud Quotidien (n° du 29 juillet 1999).

254.

L’un des sites les plus visités par les Gabonais qui totalise environ 48 000 visiteurs est http://www.congossa.partout.org/

255.

Pour ceux qui surfent sur Internet (jeunes : filles et garçons ainsi que quelques rares fonctionnaires).

256.

Allusion aux sites de rencontres pour âmes seules dont le plus célèbre en Afrique s’appelle : « Affection »