3.1.5.1 Ces « matitis 260  » qui ne font pas recette

Même s’il convient désormais de relativiser la situation du fait de l’exode rural évoqué plus haut, les zones rurales d’Afrique subsaharienne 261 regroupent encore une large majorité de la population.

Mais cela n’empêche pas que dans tous les pays qui composent cet ensemble, le développement des télécommunications en zones rurales soit très nettement moins avancé qu’en milieux urbains. Preuve de cette désarticulation technologique : souvent à dix kilomètres des grandes villes il n’y a plus de réseau de téléphonie. Les lignes de téléphone se trouvant essentiellement dans la capitale et dans les villes principales. Les zones enclavées (les « matitis ») demeurent souvent dénuées de toute infrastructure. Ce qui contribue à les appauvrir et à les rendre plus isolées. Ce délaissement des bas quartiers et de l’arrière pays justifie le caractère élevé de la demande en téléphonie, surtout mobile dans ces territoires; car c'est le seul moyen rapide pour rallier ceux qui y habitent au reste du monde. Mais pour y répondre de nombreux obstacles aussi bien technologiques qu'économiques subsistent encore.

En effet, outre les problèmes considérables résultant d’une insuffisance, et parfois d'une quasi-absence d’infrastructures aussi bien dans les bas quartiers que dans l'arrière pays, du fait de leur enclavement, ces contrées souffrent également d’une pénurie d'eau courante et d’électricité. À l'origine de ces contrastes sociaux, une insuffisance de ressources humaines et financières pour «égalitariser» ces espaces.

Dénuées de ces ressources, c'est donc tout naturellement que les populations des « ghettos » librevillois ainsi que ceux des villages vivent sans moyens de communication. Eu égard à cette inégale répartition des cyber-centres que nous venons d’étudier, il n'y a point de doute à considérer que l’initiative de mettre en place des maisons communautaires à des endroits jugés économiquement rentable relève plus d’une démarche mercantiliste que d’un souci généreux de faciliter l’accès à Internet. Le profit, pour ne pas dire le mot, prime donc ici sur le souci de généraliser l’accès aux Technologies de l’Information et de la Communication.

Les « matitis», ces bidonvilles qui ne font pas recette parce qu’habités pour l’essentiel par des personnes aux revenus modestes continueront de vivre en marge de l’accès aux informations et aux ressources de formation, et d’éducation, nécessaires à la capitalisation des connaissances, à leur valorisation. Conclusion : cette inégale répartition des cybercafés qu’on pourrait qualifier sans fioriture d’apartheid technologique est à l’origine d’une autre « fracture sociale», celle-là technologique.

Nous y voyons une fracture sociale dans la mesure où, nous avons d’un côté, une catégorie de personnes pouvant se payer une connexion à l’Internet. Et de l’autre, des personnes quoique habitées par la même envie de surfer, mais incapables de satisfaire ce désir parce que dépourvues de moyens financiers.

Et, ce sont paradoxalement ces mêmes personnes nanties qui bénéficient de l’avantage géographique des lieux d'implantation des cybercafés. Il aurait certainement été profitable à ceux des Gabonais ayant des revenus modestes d’avoir des cybercafés non loin de chez eux. Cela les inciterait à mieux se familiariser avec l’Internet, et les éviterait les tracas consécutifs aux déplacements en ville. Le facteur proximité ici peut paraître anodin.

Mais, ceux qui ce sont un jour mesurés aux réalités 262 des métropoles africaines, ceux-là n'ont pas manqué de réaliser le caractère prégnant d’un déplacement en ville. Pour se rendre compte du manque d’organisation d’une cité du troisième millénaire, peut être faudrait-il rappeler qu’une ville comme Libreville qui compte plus de 450 000 habitants, ne repose sur aucun plan d’urbanisation.

Assurément, l’absence d'un réseau urbain fiable fait des difficultés de transport au Gabon (notamment), l’un des soucis quotidiens des citadins. Cela étant, habiter proche des lieux de centre d’intérêt tels les cybercentres n’en constitue pas moins un luxe. Surtout pour les internautes patentés.

Notes
260.

Bidonvilles de Libreville faits de baraques en tôles et en bois, gondolées par les fréquentes inondations. Ce sont donc ces immenses quartiers populaires alimentés par un exode rural continu qui constituent les «Matitis». Pour d'amples détails, voir Hubert Freddy Ndong, Les Matitis, Editions Sépia, 1992.

261.

Un peu au Gabon du fait de l’exode rural massif, nous le verrons par la suite.

262.

Pénurie des transports, absence d’abris bus, réseau routier urbain troué, conduite anarchique, commerçants ambulants, embouteillages, etc. sont autant de maux qui caractérisent les villes africaines.