3.1.5.2 La pénurie des transports : une gangrène des métropoles africaines

Lorsqu'on évoque les réalités des métropoles africaines, on pense tout de suite aux problèmes de transport. Or, celui-ci est intimement lié à la situation d'enclavement dans lequel se trouvent un grand nombre de quartiers des villes africaines.

Constitués nous l'avons vu d’habitations implantées de manière anarchique faute d'urbanisation, la paupérisation des métropoles africaines est, nous l'avons évoqué plus haut, alimentée par un exode rural massif : 73% de la population gabonaise vit en zone urbaine dont 35% dans la capitale et sa périphérie 263 .

À Libreville on s’installe là où on peut. Et l'on construit avec du matériel que nos moyens nous permettent d’acquérir. Or ces quartiers : «Etats-Unis d'Akébé», «Rio», «Cosmopark», «Dragon», «Venez-voir», «Tsibitsios», «Atong Abé», «Derrière la prison», «Sotéga» regorgent presque les trois quarts de la population de la ville.

Cette occupation anarchique de terrains ajoutée à un surpeuplement, entrave encore un peu plus la desserte de ces quartiers qui souffrent donc à la fois d'un manque de voies de communication 264 et de moyens de transport décents.

Mais il n'y a pas que cela. Les réalités de métropoles africaines c'est aussi s'asseoir à quatre sur un siège conçu pour trois personnes. La pénurie des transports est y est donc une véritable gangrène. Libreville aux heures de pointe ressemble à une ville en émeute. Chacun se débat qui, pour se rendre à son lieu de travail, qui pour regagner son école. Conséquences : en période scolaire Libreville est confronté au phénomène des cascadeurs 265 qui endeuille chaque année de nombreuses familles.

Et pour tenter de pallier les carences d'un réseau urbain inexistant, tout le monde s’improvise transporteur. Ce qui est à l’origine de la généralisation de la pratique des « clandos 266 ». La caractéristique des «clandos» est d'être ces moyens de transport précaires teintés d’une tarification fantaisiste.

Cette insuffisance 267 en moyens de transport dans les métropoles africaines, ajoutée à l’avidité des conducteurs  taxi à se faire à tout prix de l'argent est à l'origine de deux conséquences majeures : premièrement les citadins sont victimes d'un racket systématique de la part des transporteurs qui fixent le montant à régler pour une course à leur convenance.

Deuxièmement, les usagers des transports en commun à Libreville sont transportés dans des conditions pitoyables. Au volant des mini-bus baptisés « taxis bus », les transporteurs de tous bords font la pluie et le beau temps.

Forts de leur monopole, ils organisent le transport selon leur bon vouloir : le voyage dans ces voitures de fortune se fait donc la peur au ventre. Si les portières de ces « taxis bus » restent généralement ouvertes, ce n'est pas tant un soucis pour ces conducteurs de taxi d’aérer leurs embarcations de fortune, mais simplement parce que sous l’effet de la surcharge, les portières ne parviennent même plus à se fermer.

En dépit de ces conditions de transport déjà précaires, «clandos» et taximen ne s'empêchent pas de rouler à vive allure. Véritables rallyes urbains, il est vivement conseillé de "crier arrêt" à cent mètres de sa destination, autrement la descente se fera très loin du lieu souhaité. Le lecteur l'aura compris, cette course contre la montre se justifie par le souci d'effectuer le maximum de tours. C'est la voie royale pour amasser le maximum d'argent.

À ces conditions de transport précitées, s’ajoute dans le quotidien des métropoles africaines, l'insécurité. Une insécurité qui est nourrie par le phénomène des braqueurs. Tous ces facteurs (difficultés de transport et insécurité) combinés, on peut légitimement penser qu'ils constituent des handicaps pour les citoyens, surtout les plus modestes d’entre eux qui n'ont pas les moyens de s'offrir les « 4x4 » dernier cri mais souhaiteraient tout de même se rendre dans un cybercafé pour surfer. Ces laissés pour compte souffrent en gros de deux maux : ‑ un handicap financier, (les frais d’abonnement et de connexion sont dans tous les cas onéreux.) De plus, et c’est là le second handicap, ces usagers des salles d'accès à l’Internet sont très souvent obligés d'emprunter plusieurs taxis avant d'atteindre les cybercafés. Ces cybercentres, nous l’avons vu, étant implantés à deux, voire trois taxis de correspondance des lieux d’habitations 268 de cette catégorie d’internautes.

Cela étant, cet éloignement des centres de communication à un double effet financier : il réduit d’abord la marge de manœuvre financière de ces populations (à travers le coût des transports); ce qui par ricochet grève leur budget d'accès (temps de connexion à Internet).

Autre facteur décourageant l’accès à Internet au Gabon, l'insuffisance des capacités d'accueil dans les cyberespaces. En effet, forts de leur succès (nous l’avons vu dans le tableau y afférent p.160), les centres de communication sont aujourd'hui submergés. Tous les jeunes ou presque, disposant désormais d'une adresse mail, il devient quasi difficile de trouver un poste vacant dans ces cybercafés. À tel point qu'il faut se lever de bonne heure pour trouver une place. Dans ce contexte, il ne serait pas excessif d'affirmer que les cohues qui s'observent devant ces établissements constituent, dans une certaine mesure, des facteurs inhibant à l'accès à Internet.

Pour avoir fréquenté ces cybercafés, nous savons qu’il faut s'armer de patience avant d'accéder à un poste. Une à deux heures d’attente sont nécessaires pour une navigation d'une demi-heure. Cette réalité, nous a confié un habitué de ces cybercafés, constitue « un véritable parcours du combattant». Pareilles conditions d’organisation militent-elles en faveur d’un encouragement à l’usage des NTIC ? Certainement pas.

Surtout lorsqu'on réalise que c’est aux plus “faibles”, ceux pour qui ne sont pas en mesure de se payer un abonnement mensuel à domicile, à qui on demande des efforts supplémentaires 269 .

Si le Gabonais moyen est astreint, à la fois à braver la pénurie des transports en commun dans la capitale gabonaise, mais aussi, à affronter les embouteillages (monstres) dans les rues de Libreville en étant assis sur les cuisses de son voisin pour enfin espérer «surfer» sur l'Internet. Il y a tout le lieu de parler d’un sérieux manque d’infrastructures au Gabon.

Notes
263.

www.Gabonflash.com/modules.php, 13 juin 2004.

264.

75% du réseau routier urbain est dégradé. Cf. "l'Union" du 27 octobre 2004.

265.

Pour faire face à la pénurie des transports, certains élèves se voient obligés ( ?) de s’agripper où ils peuvent : portières, fenêtres des bus, voire et c’est très fréquent, à voyager sur les toits des bus. Ce qui est à l’origine de nombreux accidents de la circulation et de pas mal de décès.

266.

Transport de personnes par des véhicules de ville non déclarés, parfois des occasions de fortune qui tombent en panne à chaque coin de rue.

267.

Pour employer un euphémisme.

268.

Essentiellement «les Matitis» qui sont difficiles d'accès.

269.

Déplacement laborieux, coût excessif et longue attente avant de se connecter.