3.2.2 Le Transgabonais, un «projet pharaonique» devenu entreprise privée 276

Certains observateurs (bien ou mal intentionnés ?) ont vu au tracé du Transgabonais 277 , la volonté du chef de l’État de privilégier la région dont il est originaire (Franceville).

Au détriment des autres régions du Gabon qui, (aux dires de ces mêmes observateurs), auraient été économiquement plus rentables si l'État s'était s’investi dans la construction des routes reliant ces villes à la capitale.

Huit cents kilomètres de rails à travers la jungle, ce projet pharaonique n’était porteur d’espoir que pour son initiateur Omar Bongo 278 , qui l’imposa aux bailleurs de fonds. Construit à partir de 1973 à l’époque où le pétrole coulait à flot au Gabon, la construction de l’unique chemin de fer gabonais s’est achevée en 1986. Cet axe stratégique (?), propriété de l’État via l’Office du chemin de fer du Transgabonais (OCTRA) constitue le seul moyen de transport du manganèse 279 , extrait des mines à ciel ouvert de Moanda prêt de Franceville, vers le port minéralier d’Owendo (banlieue de Libreville).

Déficitaire, depuis sa création 280 , l'état a décidé en 1999 de privatiser le fleuron du rail gabonais. Mais le Transgabonais, exploité depuis 1999 par un consortium 281 du même nom, sous forme d'une concession de 20 ans, reste déficitaire.

Ce, malgré une amélioration constante du chiffre d'affaires, passé de 25 milliards de francs CFA en 1997 (environ 38 M d'euros) à 32,4 mds CFA en 2001, pour un déficit de 92 M Fcfa (140 000 euros) cette même année.

Au nombre de régions qui auraient pu faire l’économie gabonaise figure la région du Woleu-N’tem. En effet, région à forte vocation agricole, le Woleu-N’tem, situé au Nord du Gabon qui partage la frontière avec le Cameroun, pays lui aussi réputé pour la fertilité de son sol, a souvent été citée en exemple. Mais le choix d’investissement des dirigeants gabonais était ailleurs, ils ont préféré miser sur le rail.

Ces critiques à l’égard de l’investissement pour le chemin de fer sont aujourd’hui plus acerbes, en raison de la baisse de la production pétrolière. On se rend de plus en plus compte que l’activité qui aurait pu faire flores (l’agriculture) avait été négligée au profit de la prospection des champs pétroliers off-shore. En phase de tarissement, les champs pétroliers exigent aujourd'hui des autorités politiques une reconversion de l'activité économique.

On parle aujourd’hui dans la sphère politique, d’une politique d'encouragement au « retour à la terre». À condition que ce fameux « retour à la terre» ne constitue pas un aveu d’échec décrétant le réel enterrement des Gabonais !

Quoi qu’il en soit, ce subit intérêt pour un secteur agricole longtemps délaissé ressemble fortement à une prise de conscience tardive. Eu égard au retard accusé, la reconversion sera difficile. Les Gabonais ont acquis d’autres réflexes, et tout le monde est d’avis que les ressortissants de ce pays ont été habitués à l’argent facile. Grâce à ses nombreux et importants gisements pétrolifères, le Gabon n’exigeait pas à ses enfants un lourd labeur pour qu’ils soient grassement payés.

Les gens travaillaient peu pour des salaires mirobolants que leur enviaient leurs voisins des pays limitrophes. D’où cette réputation de pays riche qui se perpétue à tort, et ce refus d’exercer « les petits boulots ». La plupart des Gabonais ne postulant que pour les fonctions de cadre dans l’administration.

En ayant acquis de pareils réflexes, le pari du retour à la terre sera difficile à gagner. Nous stigmatisons un mauvais choix politique en matière économique. Quasi délaissé, le secteur agricole aurait pu profiter des retombées du pétrole pour se développer. Mais il n’en pas été cas. La production des régions agricoles (Nyanga, Woleu-N’tem, etc.) ainsi que l’ensemble du pays, sont réduits à une faible production 282 .

L’élan des quelques rares agriculteurs existants est freiné par le manque d’infrastructure routière fiable pour assurer l’acheminement des produits vers la capitale notamment. Le moyen de transport approprié pour les régions de l’intérieur, dont les régions agricoles étant la route, celle-ci nous l’avons vu, fait cruellement défaut.

À cause de la précarité du réseau routier, les agriculteurs sont confrontés à d’énormes difficultés pour écouler leurs produits vers les grandes villes et la capitale. Ce qui, on s’en doute, n’est pas pour encourager l’activité. Pendant la saison des pluies (de septembre à fin avril), le passage de quelques pistes peut s’avérer périlleux. Il n'est pas rare que des agriculteurs fassent de nombreux jours de route pour atteindre les grands centres urbains. Or, cette situation s'avère délicate pour l'écoulement des produits périssables du genre banane Plantin.

Autre caractéristique du réseau routier gabonais, il n’existe par exemple pas de route reliant les deux principales villes du pays, Libreville (capitale politique et administrative) et Port-Gentil (capitale économique).

Le réseau ferroviaire dont le tracé est nous l'avons vu, arbitraire, est lui, mal exploité avec un chemin de fer et des locomotives à la fois vétustes et mal entretenues. Mais quelques éléments positifs sont tout de même à relever. Les nouveaux dirigeants de la société de chemin de fer Transgabonais ont pris des mesures susceptibles d'apporter un regain d'activité.

En reprenant l'exploitation, la direction a «taillé de manière drastique dans les effectifs, passés de quelques 2000 agents en 1999, le total des effectifs s'élève aujourd'hui à 1285». La société envisage désormais un avenir "plus serein", même si l'entretien des 814 km de voies principales et de service, représente encore un tiers de son chiffre d'affaires.

Grâce à l'amélioration du service, le Transgabonais a permis d'accueillir près de 280 000 passagers en 2001 sur sa ligne qui dessert 23 gares, pour un trajet maximum de plus de dix heures. Vital nous l'avons dit pour l'économie nationale, l'accès à l'arrière-pays est indispensable pour l'approvisionnement des populations rurales.

Des villageois se sont rapprochés des gares pour vendre leurs produits maraîchers, comme le manioc, explique un "ancien" de la compagnie qui a vu "pousser" des villages le long de la voie ferrée. En guise de perspectives, le Transgabonais envisage un éventuel rôle sous-régional en Afrique centrale.

Son terminus Franceville se trouvant à seulement une centaine de kilomètres de la frontière avec le Congo - Brazzaville, les nouvelles autorités de la société se proposent par exemple de sortir du bois coupé au Congo; en prolongeant la ligne jusqu'à Brazzaville, située aux portes de l'immense République démocratique du Congo (ex-Zaïre). Cela dit, quelques signes positifs s’observent tout de même.

Notes
276.

Les données et informations sur le Transgabonais ont été recueillies dans les archives AFP, section Divers, publication du 10 février 2002.

277.

Le Transgabonais relie Libreville à Franceville (sud-est) du Gabon.

278.

Le rêve du président Bongo suscita de fortes réticences des bailleurs de fonds, au point qu’en 1973, le jeune chef d’Etat se déclara déterminé, si nécessaire, à « pactiser avec le diable » pour le voir naître.

279.

Plus de 1,7 million de tonnes de manganèse, et plus de 972 000 tonnes de grumes de bois ont ainsi été transportées en 2001 sur un total d’environ 3 millions de tonnes de marchandises.

280.

En reprenant l'exploitation du Transgabonais, le consortium dit avoir « hérité d'une situation catastrophique.» Le parc de motrices et de wagons était fortement dégradé au point que des trains restaient bloqués des heures en pleine brousse avant d'être dépannés.

281.

Ce consortium est détenu majoritairement par la Société nationale des Bois du Gabon (SNBG) et des exploitants forestiers.

282.

Agriculture de subsistance.