5.1.1 Le discours des acteurs

Le terme discours ici doit être compris au sens large, comme support d'une parole publique, englobant discours, déclarations, communiqués.

Depuis une décennie, la connectivité globale du continent africain est au centre des préoccupations des acteurs du développement. En effet, en 1988 déjà, lors de la Conférence 317 parrainée par la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique qui a vu la participation du Groupe de la Banque mondiale, le programme information pour le développement (Infodev), l’Union internationale des télécommunications, la Banque africaine de développement, la Banque mondiale, le gouvernement néerlandais, Siemens, Teledesic, Rascom WorldSpace et Iridium les problématiques de la connectivité étaient (déjà) au cœur des débats.

Cette conférence a essentiellement consisté à examiner les nouvelles options offertes au continent africain dans le domaine de la connectivité. Ainsi les acteurs se sont attelés à étudier comment ils pourraient aider le continent africain, d’une part, à améliorer les communications pour un coût raisonnable et, d’autre part, à stimuler le développement économique et social d’une manière générale.

Les participants ont cherché les moyens de surmonter les obstacles qui freinent la mise en place des nouvelles technologies et ont abordé le sujet des réformes à entreprendre pour encourager le secteur privé à investir dans ces technologies et à les appliquer. En prévision de la conférence, info-Dev avait commandé trois documents à BMP International, cabinet - conseil basé à Londres. Ces documents comprenaient :

  • Une étude de synthèse intitulée Projets de télécommunications par câbles et par satellites ;
  • Le résumé et l’analyse des grandes questions à résoudre par les dirigeants ;
  • Une série de rapports, accompagnés d’études de cas, sur l’évaluation des projets par câble et par satellite.

Mis à part le côté kermesse que revêtent souvent les grandes rencontres internationales, il s'est avéré que la relance et l’accélération du développement supposent un climat économique international à la fois dynamique et favorable, et, à l’échelon national, des politiques résolues.

Pour le principe, ce discours a tout le lieu d’être considéré comme crédible parce que cohérent. Mais à y regarder de près, quelques réserves surgissent. En effet, il apparaît que les acteurs ont omis, en parlant de climat économique international, de faire une analyse minutieuse du cas spécifique africain. Si l’on admet un tant soit peut qu’une relance du développement est possible grâce aux NTIC, celle-ci ne peut, en plus des conditions qu’énumèrent les acteurs, s’accélérer si les pays en développement sont paralysés par la dette extérieure, si les capitaux de développement sont inadéquats (richesses produites inférieures au montant de la dette), si des obstacles (dépendance économique notamment) limitent l’accès aux marchés et si les cours des produits de base et les termes de l’échange des pays en développement restent « déprimés ».

À notre avis, les observateurs internationaux ont manqué de clairvoyance pour ne s'être pas rendus à l’évidence que les politiques à suivre et les mesures qu'ils préconisaient pour aménager un climat international qui soutienne puissamment les efforts de développement de chaque pays ne sont valables que dans le cas spécifique des pays occidentaux. La majorité des pays africains sont encore à un stade embryonnaire de leur développement aussi bien technologique que socio-économique. En outre, sachant que ce modèle de développement grâce à la connectivité que proposent les acteurs internationaux est un modèle américain, celui-ci ne saurait s’arrimer selon un modèle « copier-coller » à la situation africaine.

Si l’on admet un tant soit peu l’hypothèse proposée par les acteurs internationaux, la question qui convient d’être posée est celle de savoir en quoi un niveau élevé de connectivité peut-il sous-entendre un fort niveau de développement ? Certes les États-Unis d’Amérique sont les premiers de la classe au niveau de la connexion. Mais convient-il pour autant de considérer que le niveau de connectivité est le reflet du développement économique ?

Nous ne saurons l’affirmer même s’il peut être admis qu’un fort niveau de connexion peut constituer un indice 318 – rien que cela - du niveau développement d’un État. Poser la question de l'impact des NTIC dans le développement en Afrique, revient donc aussi à soulever le problème du rôle que peut jouer l'Afrique dans ce nouvel environnement, où les rapports de force sont transformés par le basculement du centre de gravité de la production mondiale, où la localisation des activités productives relève désormais du jeu mondial des entreprises qui agissent en fonction de l'attractivité des territoires nationaux, et où le destin des nations est fortement corrélé à la capacité de la politique économique à faire face aux défis majeurs de la mondialisation.

La téléphonie et partant, les NTIC sont aujourd'hui considérés comme des leviers des économies des pays qui les ont insérés dans leurs secteurs de production. Malgré l'euphorie actuelle, cela est encore loin d'être le cas en Afrique.

Cela étant, face à la difficulté qu’ont les pays africains à évoluer dans la cour des grands (société mondiale de l’information) à cause (entre autres), de leur niveau de productivité consécutive à leur sous industrialisation à l’origine du sous-développement technologique qui a pour conséquence la faible connectivité.

Nous pensons que la coopération internationale devrait contribuer à soutenir l'émergence du continent noir par le transfert des technologies, et non pas à entraver 319 les quelques initiatives économiques fragilisées à la base par le poids de la dette notamment. La coopération internationale est à notre avis l’une des conditions sine qua non pour un progrès global vers un développement durable.

Notes
317.

Du 2 au 4 juin 1988 à Addis-Abeba en Éthiopie.

318.

Parce que le niveau de connexion peut être lié au développement économique et industriel : c’est un indicateur des flux "circulation".

319.

Par la domination technologique qui met en avant les lois du marché consécutives à l'avancée technique des pays industrialisés.