6.1.1 Quand la « bonne gouvernance » apparaît comme le concept dominant

Le concept de bonne gouvernance est d’actualité. On ne compte plus les forums et autres rencontres organisées au cours desquels le thème de la bonne gouvernance est débattu. Afin de mieux appréhender ce concept, il convient d'abord de présenter la gouvernance comme étant la «manière dont les gouvernements gèrent les ressources sociales et économiques d'un pays». La bonne gouvernance, elle, étant la combinaison de la démocratie élective, de la participation des citoyens et d’approches rationnelles de la décision basée sur des indicateurs et des évaluations.

En somme, «l'exercice du pouvoir par les différents paliers du gouvernement de façon efficace, honnête, équitable, transparente et responsable 342 ». C'est dans ce souci que le PNUD a procédé 343 à Libreville au Gabon, au lancement de l'étude du programme national de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption en Afrique. Ce fut un moment fort pour le gouvernement pour engager un dialogue avec les acteurs de la société civile, les partis politiques et le secteur privé sur les stratégies et programmes d'actions en matière d'approfondissement de la démocratie et de consolidation de l'État de droit. Le PNUD en a profité pour lancer 344 un projet d'appui au renforcement des capacités de communication, d'accès à l'information, de sensibilisation et de mobilisation du public à l'activité parlementaire par :

  • l'utilisation des Nouvelles technologies de l'information
  • la formation aux techniques de vulgarisation des lois
  • l'organisation des revues parlementaires pour la presse
  • la mise en place de la documentation
  • l'élaboration d'un dossier pour l'installation d'une imprimerie

Combiner démocratie participative et élective, ainsi que les outils d’évaluation des politiques et la transparence du processus de décision, c’est dit-on, trouver la voie de la bonne gouvernance. Le concept de bonne gouvernance repose sur quatre éléments clés que sont : la transparence, la responsabilisation, l’efficacité et l’équité dans les affaires publiques.

La «bonne gouvernance» est liée à la «nouvelle gouvernance 345 » qui elle a un triple objectif : réaffirmer la vérité de la politique par la lisibilité, exiger l’efficacité par la clarification des procédures, assurer l’ouverture par l’accès pluraliste aux responsabilités.

Ces objectifs doivent s’appliquer aussi bien aux structures étatiques qu’aux personnels, politiques et administratifs. À propos de l’implication de l’État dans le développement des TIC, nous pensons que cette question mérite d'être pris à bras le corps par les autorités politiques. Elle doit, non pas apparaître comme un slogan de promesse politique à la mode, mais comme une priorité gouvernementale.

Au lieu de confiner le développement technologique dans les discours de circonstance qui consistent à faire passer les dirigeants politiques qui les prononcent pour des avertis de la Société de l'Information, sans qu’ils ne le soient véritablement, l'information et tous les moyens qui permettent sa diffusion méritent d'occuper une place de choix dans les programmes d'action des décideurs. C'est un postulat. L’information et l’accès du public à l’information est une composante importante qui permet de mettre en œuvre la gouvernance. Il est donc établi que la bonne gestion 346 des affaires publiques influe directement sur l’efficience et la croissance économique.

Il y va de "tous les réseaux techniques" (voiries urbaines, l’adduction en eau potable, l’extension du réseau électrique et téléphonique ainsi que l’accès de tous aux Nouvelles Technologies de l’Information) dont le développement et l'amélioration s'inscrivent dans cette logique de bonne gouvernance.

La fourniture de ces différents services qui relève de la seule compétence de l’État mérite d’être faite dans la plus stricte équité. Or, ce n'est pas toujours le cas. Sinon comment expliquer qu'à Libreville, des quartiers depuis longtemps habités, et de surcroît fortement peuplés soient dépourvus de ces équipements ?

Les quartiers comme «Akébé-Kinguélé», «Venez-voir», « Derrière l’hôpital» aussi appelé la « baie des cochons» qui ont la caractéristique d'être habités par le bas peuple sont la preuve même de l'injustice sociale au Gabon de la même façon qu'ils caractérisent la "mauvaise gouvernance". Les principaux maux dont souffrent les quartiers précités sont : l'absence de voies de communication, la carence de la fourniture en eau courante, une connexion au réseau téléphonique filaire approximative voire arbitraire, et une électrification à demi teinte des habitations et des voies publiques. Ces agglomérations, pour ne citer que celles-là, sont le prototype même des quartiers délaissés par l’État.

Cependant, à côté de ces agglomérations oubliées par l'État se trouvent des quartiers récents cas d'«Agondjé» et d'«Okala» qui sont paradoxalement mieux lotis. À quoi est donc imputable cette gouvernance en deux poids deux mesures ? Vraisemblablement au fait que les derniers quartiers cités comptent en leur sein des autorités politiques et autres personnalités du monde des Affaires. À «Libreville les trous 347 », la construction et l’entretien des voiries urbaines s’inscrivent, comme nous l'a fait remarquer l'un de nos informateurs, dans une logique sélective. En effet, comme c'est le cas pour la connexion au réseau téléphonique, pour l'adduction à l'eau potable et à l'électricité, les voies de communication qui font l’objet d’un réel entretien sont celles qui sont régulièrement empruntées par ceux qu'on appelle là-bas «les grands hommes». C'est le cas du boulevard de Bord de mer qui lui conduit, entre autres, à l’aéroport et à la présidence de la République. Du boulevard triomphal Omar Bongo, qui mène à la Cité de la démocratie, lieu des grands Congrès et grandes conférences internationales.

À côte de ces artères, qui en fait constituent la carte postale de Libreville, se trouvent les voies conduisant aux domiciles des membres du gouvernement et autres «dignitaires de l'État» qui elles aussi bénéficient de l’attention du ministère des Travaux Publics. En dehors de ces "routes officielles", le reste des voies n’est constitué que des «pistes d’éléphants» qui elles, représentent l’envers de la carte postale. À cause de conditions d’accès difficiles : inondations, nids de poule, tas d'immondices relevant pour une large part des ordures ménagères, éclairage public moyen. Ces voies de communication sont généralement peu praticables surtout en saison des pluies 348 . Elles donnent aux quartiers qui les bordent des allures de villes abandonnées, propices à l'insécurité urbaine de jour comme de nuit. L’artère « feu rouge de Nzeng-Ayong-SOTEGA», dans le deuxième arrondissement, est pour cela représentative des quartiers abandonnés de Libreville.

On le voit, si les voiries urbaines ne font pas l’objet d’un entretien digne de ce nom, il est inutile de penser que dans ces bidonvilles, a le téléphone celui qui le désire. À ce propos, le facteur financier qui constitue souvent un frein à l'accès au réseau téléphonique n'a rien à voir. Un riverain aura beau fait la demande avec à l'appui les frais de connexion qu'il devra toujours attendre de disposer d'une ligne.

En dépit de quelques avancées (usage massif du téléphone mobile, engouement pour l’Internet, etc.), le retard dans l'utilisation des technologies de l'information, attesté par le faible taux d'équipement des ménages en micro-ordinateurs ou le nombre limité d'utilisateurs gabonais d'Internet sont autant d’éléments qui attestent le retard technologique.

L'insuffisance de l'offre de services de qualité sur les nouveaux réseaux, un soutien insuffisant aux PMI en particulier pour les plus récentes d’elles («Start up»), la faiblesse de la culture informatique et la place marginale des TIC dans le système éducatif gabonais confortent la thèse d’un important manque de volonté politique dans le domaine technologique.

Et de notre point de vue, il serait trop simpliste d'imputer les faits évoqués plus haut à la prédominance de l'oralité dans la culture gabonaise parce que les quelques rares personnes initiées aux NTIC se les approprient sans problème. Le sous-équipement des grandes institutions gabonaises (Présidence de la République, Assemblée Nationale, hôpitaux publiques, ministères, universités médias publics, etc. en moyens de communication moderne est symptomatique de la réalité de l’ensemble du territoire national. Comment l'expliquer sans conclure comme l'a fait l'un de nos informateurs à un manque d'intérêt des hommes politiques gabonais pour les NTIC ?

Il est difficile, dans une configuration technologique à deux vitesses 349 , de parler d’équité dans la gestion des affaires publiques. Ce dénuement technologique nous conduit à faire remarquer que les quelques ordinateurs existant dans des Cabinets ministériels au Gabon ne sont pas encore connectés à Internet.

Nous retrouvant dans la haute administration gabonaise (secrétariat d’un directeur au Trésor public) pour les besoins de notre enquête en août 2003, attiré par deux PC «high-tech» de marque Dell qui surplombaient les bureaux des secrétaires (il y en a deux), ceux-ci étant non occupés, nous avons sollicité des propriétaires des lieux l'autorisation d'aller sur Internet 350 .

Mais quelle ne fut pas notre surprise d’apprendre des secrétaires que lesdits ordinateurs n’étaient pas connectés à Internet ? Plus surprenant encore, nous avons eu l'occasion durant la même période d'être reçu au Cabinet du ministre de l’Éducation nationale, Cabinet dans lequel il n’y avait aucun équipement en informatique.

Surpris par notre étonnement, et probablement conscient de leur dénuement, l’un des fonctionnaires de cette administration n’a pas hésité à confier que leur cabinet ne disposait même pas d’une ligne téléphonique «à double zéro» (pour appeler à l'international 351 ).

Tout compte fait, ces micro-ordinateurs n’étaient pour l’essentiel que des machines à écrire haut de gamme. On le voit, si le bureau d’un Conseiller en Communication du Ministre n’est pas équipé en outil informatique, il est à notre avis encore moins sûr que celui d’un quelconque administré le soit ! Cela étant, cette désertification technologique démontre, s’il en est encore besoin, l’intérêt qu’attachent les dirigeants gabonais aux technologies de l’information.

Notes
342.

Pour d'amples précisions à ce sujet, voir www.acdi-cida.gc.ca/cida-ind.nsf

343.

Les 3 et 4 décembre 2003 à Libreville (Gabon).

344.

Ce programme est entièrement financé par le Pnud en hauteur de 150000$. Cf http://mirror.undp.org

345.

«Nouvelle société, nouvelle gouvernance», Michel Demazue, Président, cité des Sciences et de l'Industrie, Paris juillet 2001.

346.

Qui passe par la répartition équitable des biens publics, et fait partie de la bonne gouvernance pour laquelle la communication occupe une place importante.

347.

C’est ainsi que le billet “Makaya”, du quotidien national gabonais d’information, l’Union, (pro gouvernemental) désigne la capitale gabonaise.

348.

La saison des pluies couvre 8 mois sur douze, elle va de fin mi-septembre à fin avril.

349.

Relative connectivité en ville et désert technologique en zone rurale.

350.

Les accès collectifs au quartier étant lents et onéreux aux yeux de tous.

351.

Nous avons fini par nous convaincre de la non connectivité de nombreux services de ce pays lorsque, quelques jours plus tard, au Cabinet du ministre des TP nous avons encore une fois été confrontés à la non connectivité des ordinateurs installés.