8.2.2 L’obstacle lié à l’analphabétisme

Depuis environ 5 ans, les Gabonais s'adaptent à leur nouvel environnement. Le téléphone mobile, l’Internet et le fax deviennent des moyens de communication quasi familiers pour ceux qui ont la possibilité d’en faire usage. Á défaut d’en disposer à titre personnel faute de moyens, les Gabonais vont s'en servir dans les centres communautaires 413 . Pour asseoir notre thèse faute de disposer de statistiques officielles sur le degré d’appropriation de ces outils, il suffit de se rendre compte du degré d'affluence dans les cyberespaces et autres « point-phones » pour conclure d’un réel succès des NTIC au Gabon.

Cela étant, même s'il ne s'agit pas ici de parler d'une euphorie généralisée, on peut à tout le moins affirmer que le Gabonais s'adapte à son nouvel environnement émaillé de moyens modernes de communication. Malgré ce constat on ne peut plus optimiste sur l’appropriation des TIC, une question mérite tout de même d’être posée : celle de savoir quel avenir aura un moyen de communication comme l’Internet dans un pays où la population reste fortement illettrée ?

En guise de réponse à cette question nous pouvons in fine affirmer (au regard de ses usagers) que le réseau Internet demeurera pendant longtemps le média de l’élite en raison de ses conditions d’usage et de son coût. Au départ sous le monopole de l’Office des Postes et Télécommunications (OPT) jusqu’à sa privatisation, les services de communication ne suscitaient pas un grand intérêt pour le public. Mais, Libreville comme la plupart des grandes métropoles, étant devenue un carrefour d’affaires, attirant de nombreux investisseurs, de nouveaux besoins en outils de communication sont nés.

L’office ne répondait alors plus aux besoins spécifiques de certains clients notamment les hommes et femmes d’affaires ou les parents préoccupés et désirant être partout en contact avec leur famille. L’ex-OPT (nous le verrons par la suite) s’est alors investi dans la téléphonie mobile avec les lignes dont la numérotation commençait par 75.

Mais on s’est très vite rendu compte que le problème n’était pas résolu, car le prix d’un abonnement au mobile n’était pas à la portée de toutes les bourses. Premier obstacle ! En hormis ce blocage strictement économique qui compte parmi les écueils à l’accès aux NTIC, un manque d’intérêt à l’appropriation de certains moyens de communication tel l’Internet est à souligner.

Á ce désintérêt qui est en fait une méconnaissance de cet outil, plusieurs raisons peuvent être évoquées : ce manque d’engouement pour ce qui est aussi désigné par « le réseau des réseaux » s’explique, en plus des raisons économiques précédemment évoquées, par le fort taux d’analphabétisme qui subsiste au Gabon. Le taux d’analphabétisme au Gabon, ce pays qui compte un peu plus d’un million d’habitants, était en décembre 2000 de 27% 414 .

Un adulte sur trois au Gabon ne sait pas lire. Cet analphabétisme est à tout le moins à l’origine de cette nouvelle forme d’acculturation consécutive à l’informatisation de la société.

Difficile de ne pas faire allusion à l’analphabétisme quand on sait que savoir lire et écrire comptent parmi les fondamentaux dans l’accès à l’Internet. Contrairement au téléphone mobile par exemple, l’usage de l’Internet relève de l’écrit, et par conséquent il est indispensable de disposer des rudiments nécessaires à la lecture pour se servir de ce moyen de communication. L'analphabétisme est donc un véritable obstacle à l'appropriation de ce réseau. L’analphabétisme constitue de ce point de vue, un facteur handicapant 415 qui participe, de fait, à la marginalisation d’une frange de la population pourtant non moins nécessiteuse des avantages consécutifs à l’usage du réseau Internet.

Mais il n’y a pas que cela. Aux problèmes d’instruction (analphabétisme) considérés comme un frein à l’usage de l’Internet, vient se greffer un flagrant manque d’informations sur le bien fondé de média. Brice 35 ans, cadre au ministère de l’Intérieur nous confie ceci : « je n’ai jamais touché à un ordinateur».

De plus, ajoute t-il comme pour se déculpabiliser « pour aller sur l’Internet il faut disposer d’une ou de plusieurs adresses Internet : je n’en ai pas une seule » ! Urbain 26 ans, lui, parle de ne pas «connaître le numéro d’Internet de son grand frère qui est allé étudier en France». Ce qui explique le fait qu’il ne lui écrive pas par ce moyen.

On le voit, le manque d’informations sur ce moyen de communication constitue donc un facteur essentiel de désintérêt. Beaucoup de personnes, (tout âge, et toute catégorie socioprofessionnelle confondue), sont dans la situation de Brice. Certains pensent d’ailleurs que le réseau Internet est réservé aux intellectuels, enseignants, et universitaires.

Cette impression, puisque s'en est une, conduit à ce que ces personnes (parfois instruites) n’éprouvent pas le besoin de se servir de l’Internet. Exclues de fait de la classe des internautes, ces personnes semblent se résigner 416 pensant que ce moyen de communication n’est pas conçu pour elles.

Pour y remédier, même les médias dont le fondement repose sur le triptyque éduquer - distraire - informer ne jouent pas le jeu. Il n’y a aucune sensibilisation tendant à faire connaître l’Internet auprès de la grande masse de la population. Le manque de formation également n’en demeure pas moins un frein. Sur l’ensemble du territoire, les écoles proposant des formations en informatique se comptent sur les doigts d’une seule main. Inutile de s’attarder sur la qualité de la formation proposée dans lesdites écoles. On peut le dire, les écoles, les lycées et même les entreprises de la place participent à cet «apartheid».

Pour trouver des solutions permettant aux Gabonais de faire face à ces trois aspects, la nécessité de mettre en place des structures de formation dignes de ce nom s’impose. Car sans structures, et c’est une évidence, aucune formation n’est possible. Où en est-on donc en Afrique et au Gabon ?

Notes
413.

Point-phones, cybercafés.

414.

Selon les dernières données disponibles, le taux d'analphabètes au Gabon se présente comme suit : 27% de la population âgée de 15 ans et plus, soit près de 172 160 analphabètes. 52% de cette population est constituée de femmes et 48% d'hommes. Cf. http://thot.cursus.edu/rubrique.asp.

415.

Il faut le dire, l'analphabétisme ne constitue pas seulement un handicap à l'usage de l'Internet. Il l'est aussi pour la lecture des journaux et magazines d'information, des textes de lois indispensables pour une excellente culture démocratique.

416.

Voir sur ce point, le Chapitre 5, p. 77, «Qui sont ces sorciers du Net» ? Modandi, DEA, 2001.