9.1.4 Les représentations des usages du téléphone portable chez les seniors

S’agissant de la détention proprement dite du téléphone portable, il est indéniable que ce ne sont pas tous les seniors en Afrique qui en sont possesseurs 469 .

Si pour des raisons économiques de nombreuses personnes sont dépourvues de téléphones mobiles, en Europe par contre, surtout chez les seniors, plusieurs personnes ont fait le choix de ne pas en disposer : ils ne le jugent pas nécessaire.

Il y a cependant un comportement qui suscite de la curiosité chez les seniors détenteurs de ce moyen de communication. Si l’on observe bien le comportement téléphonique de la tranche 40-50 ans, on fini par se rendre compte que cette génération a un usage plutôt discret du téléphone mobile. Au Gabon comme en France d’ailleurs, il est quasi difficile de les surprendre en pleine conversation téléphonique.

Or, comme on peut le voir dans le CD-Rom de ce travail les scènes de rue consécutives à l’usage du téléphone portable par les jeunes se comptent chaque jour par milliers. Ensuite, il est aussi quasi rare d’entendre sonner les téléphones cellulaires de ces quinquagénaires. Cette "pudeur" téléphonique qui se manifeste chez les seniors pourrait dans une certaine mesure conduire certains à penser qu’ils n’en font pas usage.

Or, les 40 - 50 ans sont autant des branchés que les jeunes. En revanche ce qui fait de cette génération des usagers hors du commun, c’est d’abord leur consommation rationnelle de ce moyen de communication. Selon notre enquête (cf. corpus), à la différence des jeunes, les plus de 40 ans font parfois “une économie" de leurs numéros de téléphone portable, en ce sens qu’ils ne les communiquent qu’à un nombre restreint de personnes : c’est le cas des personnes qu’on pourrait qualifier de très proches : membres de la famille, médecin traitant, collaborateurs immédiats avec lesquels ont lieu des échanges réguliers, quelques rares amis.

En outre, ce qui pourrait s’avérer gratifiant pour ces seniors, c’est que la vision et l’usage du portable de leur réseau de correspondants concordent selon toute vraisemblance avec la leur. Constitué pour la plupart de personnes de la même génération c’est-à-dire des personnes pour qui vanter la détention d'un outil de communication portable n'a pas de ce sens, ces personnes ainsi que leur réseau de correspondants ne communique que trop peu avec le portable 470 .

Cela étant, ce partage parcimonieux de numéros de téléphone n’entrave pas outre mesure, leur logique de la communication. Au contraire il la conforte dans la mesure où leur réseau relationnel n’en fait pas un usage instrumental de cet outil comme les plus jeunes. Par ailleurs, ce qui, en plus du choix ciblé des personnes à qui ils communiquent leurs numéros de téléphones fait des plus de 40 ans des consommateurs de téléphones portables pas comme les autres, c’est le fait d'abord que les personnes de cette tranche d’âge restent dans une certaine mesure attachées au téléphone fixe ensuite les seniors branchés n'appellent sur le mobile que lorsque la situation l'exige.

Selon notre observation les seniors en Afrique ne se servent de leurs téléphones que pour des appels jugés importants, voire urgents. Cela parait le cas lorsqu’il s’agit d’appeler le médecin, de solliciter un dépannage d’une voiture tombée en panne à mi- parcours, en somme pour gérer les imprévus :

problèmes de dernière minute, réservations, rendez-vous, retards, etc. De cette étude, il ressort que la majorité des seniors fait un usage très méticuleux de ce moyen de communication qui pour eux est loin d'être un gadget. Pour conclure, au nombre de réduit de personnes qui partagent les numéros de portables des seniors, correspond un nombre limité d’appels qu’ils reçoivent.

À cela pourraient s’ajouter les considérations d’ordre économiques. Les seniors, plus que les jeunes, jugent très élevé le coût d’un appel sur un mobile 471 . Cet aspect pourrait également nourrir leur ambition à se servir de façon limitée de ce média. Mais il y aurait aussi des réticences consécutives à la fidélité au «bon vieux téléphone fixe». En outre, de toutes les considérations, le caractère dérangeant 472 du téléphone portable semble au cœur de cet usage parcimonieux de ce média. Les seniors étant plutôt désireux d’un usage convivial et non agressif du portable. Le côté perturbateur du téléphone mobile constitue vraisemblablement le principal élément dissuasif.

Or, cette approche du téléphone portable parait dans tous les cas, diamétralement opposée à celle qu’en font les jeunes.

Notes
469.

Nous pouvons estimer (sûrement avec un peu d’exagération) à 1% le nombre de seniors équipés de portables. On peut compter parmi ces personnes les retraités qui ont travaillé dans l’administration coloniale (donc plus moins lettrés), ainsi que les parents des gros bonnets.

470.

Á la retraite et donc ayant une activité moins intense qui n’exige pas de se déplacer, ces personnes communiquent plus avec leurs téléphones de maisons (fixes).

471.

Même si chacun sait qu’ils sont plus enclins (contrairement aux jeunes) à assumer le coût lié à la consommation du téléphone mobile.

472.

Avec le téléphone mobile, on ignore totalement l’endroit où se trouve notre correspondant. D’où le réflexe qui consiste à poser en premier la question : «tu es où» ? Suivi de : «je ne te dérange pas, j’espère» ? Parce qu’on ne sait pas dans quelle posture se trouve notre interlocuteur. Le téléphone portable déstabilise encore plus la communication et la relation à l’autre.