10.2.1 Le téléphone mobile face à la rétention de l’information dans les services

L'approche qu'a l’Africain de tout ce qui a trait au renseignement, à l’information et pour tout dire au savoir mérite qu’on s’y attarde.

En effet, baignant depuis toujours dans un environnement dans lequel subsistent de nombreuses sociétés initiatiques pour lesquelles la conservation du secret demeure un fait majeur, cette règle sociale pour ne pas dire cette culture du secret pourrait dans une certaine mesure justifier l'habitude qui consiste à confisquer 556 l'information. Nos informateurs du Cameroun, Congo, Gabon le confirment, certaines informations 557 dans la société africaine ne sont pas livrées à qui les désire.

Ainsi, malgré la prédominance de l’oralité, informations, renseignements et conseils pratiques s’obtiennent semble t-il au mérite : les secrets de l’initiation aux initiés, les renseignements et autres conseils pratiques aux proches, à moins que ce ne soient des personnes de confiance. Face à cette discrimination informationnelle, le reste de la population est composé de ce que Rallet (2004) appelle « les infos pauvres ». Cette gestion arbitraire de l'information dans le contexte actuel dit de Société de l’Information tout le monde l'admet, constitue une véritable préoccupation. Á cause de cette rétention de l’information que de nombreux Africains qualifient (pourtant) de « mauvaise habitude », nous voyons mal comment, en dépit de l’introduction dans le tissu social africain de moyens de communication modernes, l’Afrique pourrait s’approprier profitablement les nouvelles technologies pour les mettre au service du progrès social. Le téléphone, comme le définit André-Jean Tudesq 558 , « n’est pas seulement un moyen de communication, il permet aussi d’acquérir les informations et surtout des informations utiles à la décision ».

Or, pendant notre travail de terrain dans toutes les administrations que nous avons visitées, nous n’avons jamais pu constater l’existence d’un quelconque système de partage d’information. Faute d’informations « patientez » et « repassez » deviennent les maîtres mots 559 dans les administrations et les organisations au Gabon. L’administration fonctionne en pointillé, il n’y a pas de chaîne de partage d’information.

Nous avons vu par ailleurs en étudiant la durée et le contenu des appels téléphoniques au Gabon qu'une grande partie des communications via le portable se résume à des communications de type personnelles ou privées.

S’agissant des informations électroniques, plus de 80% des services équipés en micro ordinateurs ne sont pas connectés à l’Internet. Á l’image de la salle de Rédaction de la première chaîne de télévision d’État, R.T.G 1 « la chaîne nationale » qui ne dispose même pas d’une ligne téléphonique, de nombreux services et administrations ne disposent pas d’un ordinateur ! Tout cela concours à dire que même si la volonté de partager l’information y était, il aurait été difficile d’y parvenir.

De plus, en dépit de cette carence en matériel technique de diffusion de l’information, il apparaît que l’information en elle-même dans la plupart de ces organisations n’est pas disponible. Ainsi est-elle gardée secrète par ceux qui la détiennent. Même dans les organismes de presse 560 , les stations de radio et de télévision, les rédactions se regardent en chiens de faïences.

Faut-il attendre de la généralisation de l’usage du téléphone mobile qu’il viendra bouleverser les habitudes ? Osons le croire. Mais le téléphone mobile semble déjà montrer ses limites quant à sa capacité à faire changer les mentalités sur la rétention de l’information. Malgré la quasi-généralisation de la possession du portable dans les organisations (notamment), aucun signe d’amélioration en termes de partage de l’information n’est perceptible : l’information demeure l’apanage de ceux qui la détiennent.

Bien que le téléphone mobile ne soit pas un outil de diffusion de l’information parce que servant à structurer l’intersubjectivité, on pourrait attendre de lui qu’il contribue à fluidifier l’information. C'est d'ailleurs ce qui pointe à l'horizon en Afrique.

La densité du réseau des possesseurs de portables allant crescendo depuis six ans qu’il s’est implanté en Afrique, le numéro de portable est la première chose que l'on demande (à toute fin utile) à un proche, à un ami, ou un à collègue avec lequel le contact est important.

Toutefois, à l’inverse de l'Afrique où prime la rétention de l'information, dans les pays occidentaux le partage de l’information dans les organisations fait partie de la culture de l’entreprise. Point n’est besoin de rappeler qu’au départ, l’usage professionnel du mobile est parti des professions de santé, des employés des Travaux Publics, en gros des professions qui gèrent l’urgence et surtout les déplacements.

Notes
556.

Pour ceux qui la détiennent.

557.

Celles relatives à l’initiation, les informations ayant trait aux techniques de guérison de certaines maladies, dans le domaine de la chasse par exemple, les renseignements sur les lieux où l’on peut facilement attraper du gibier, etc.

558.

André-Jean Tudesq, Nouvelles Technologies de la Communication et Dépendance renforcée de l’Afrique Noire, Monde en Développement, 1991.

559.

A l’accueil, au secrétariat comme aux renseignements, les personnes que vous trouvez vous scandent ce qui ressemble fortement à un slogan : « attendez» ! Ne sachant quoi vous dire, ils vous conseille d’attendre celui qui détient l’information : le chef.

560.

Nous évoquons ici le cas du Gabon où, en dépit de la multitude de stations de radios mais aussi de télévisions publiques et privées, ces médias ne collaborent quasiment pas dans l’optique du partage de l’information qui est la matière première pour le fonctionnement de ces institutions.