CONCLUSION GENERALE

Conclure sur un phénomène en plein essor comme celui de la téléphonie mobile serait encourir un gros risque d’anticipation. Le développement de la téléphonie mobile est sûrement encore plein de surprises. En moins de dix ans, le téléphone mobile a conquis l’Afrique à la faveur de « l’expansion la plus fulgurante de l’histoire industrielle, loin devant l’électricité, la télévision, l’ordinateur et le téléphone fixe 608 ». Selon une récente étude publiée dans la presse 609 , il se vend sur terre 18 téléphones mobiles par seconde. C’est dire tout l’intérêt que suscite cette technologie.

En outre, comme nous venons de le voir, s’il devient difficile de faire sans les NTIC, le renouveau des sociétés africaines suppose une réinvention du politique axée sur la légitimité du pouvoir et l’exigence d’équité. Le développement, nous l’avons vu tout au long de ce travail, n’est un projet de société, que si les sociétés concernées ont entre leurs mains, leur propre destin. Si elles sont, elles-mêmes, en mesure de choisir leurs changements.

Or, soucieux de préserver leurs intérêts dans ce que certains qualifient de « pré-carré africain 610 », les puissances occidentales : bailleurs de fonds, Institutions financières internationales, grands groupes, continuent de dicter leurs leçons en Afrique à travers ce qu’ils appellent « les politiques d’austérités ». Or toutes ces politiques de développement à l’image des politiques d’ajustement structurelles (P.A.S) ont montré leurs limites. Ainsi, pendant que les autres continents de la planète se développent, l’Afrique croupit sous le poids d’une dette interminable. Résultat : la misère, terrain propice pour le chaos se généralise. Un chaos qui se mesure à l’aune des coups d’États et autres guerres civiles.

Que dire de l’équité ? Le substantif équité sur le plan social et technologique 611  est un vain mot surtout pour les fameux « guides éclairés » qui ne semblent que trop peut se soucier de l’intérêt général. Sous le règne des « partis États » où seuls ceux qui flirtent avec le pouvoir bénéficient quasiment de tous les privilèges : même de celui d’être raccordé au réseau filaire du téléphone, cette absence d’équité fait que la majeure partie des habitants sont des laissés pour compte. L’accès au téléphone étant aux dires de certains habitants, à quelque chose près une prérogative des dirigeants politiques !

Qu’en est-il de l’aide au développement ? Qu’il s’agisse de l’extension des réseaux de télécommunication ou de la justice sociale, il n’y a pas de quoi pavoiser sur la générosité des partenaires du développement. En agissant en termes d’aides financières, ces vraies fausses aides, qui en réalité ne sont que des prêts, n’en constituent pas, loin s’en faut, qu’un placement pour les pays non pas donateurs mais prêteurs.

Tout compte fait ces prêts sont en réalité des dettes que les générations futures devront rembourser. Ce n’est donc là, qu’un jeu de passe-passe entre acolytes (certains dirigeants africains et leurs "partenaires" du Nord). Drôle d’héritage ce fameux développement durable à l’africaine auquel vont bénéficier les générations futures ! Mais il n’y a pas que cela. Notre analyse sur les causes du retard technologique africain serait simpliste si nous ne recherchions nul part qu’ailleurs, les raisons du sous-développement du continent. D’où l’analyse qui va suivre.

Notre réflexion, loin de constituer une tribune politique n’a de motivation que de constituer une contribution au débat qui intéresse aujourd’hui les intellectuels africains : celui relatif au développement du continent.

L’intellectuel africain voudrait, imprégné de son passé, chercher, mais surtout trouver des solutions aux problèmes qui minent le développement 612 de son continent. Notre démarche ici s’inscrit donc dans cette logique. Loin de nous la prétention de détenir la solution-miracle aux problèmes auxquels est confronté le continent africain. D’ailleurs cela n’est pas l’objectif de cette thèse. Cependant, apporter notre grain de sel au débat qui passionne aujourd’hui la communauté scientifique africaine ne serait pas sans intérêt.

En effet, et ce sera notre première suggestion, certes l’Afrique est aujourd’hui au seuil de la société de l’information grâce notamment à la libéralisation du secteur des télécommunications à l’origine du développement de la téléphonie mobile. Mais pour tenter de relever la tête, nous préconisons à l’Afrique de rompre avec les modèles extérieurs 613 qui ne sont pas toujours compatibles avec les réalités socioculturelles qui sont les siennes. Oser inventer de nouveaux modèles adaptés à ses réalités politiques et sociales doit désormais être le leitmotiv de l’Afrique et des Africains. Cela pourrait partir de l’exemple suivant : les pays de l’hémisphère nord ont inventé le téléphone mobile. Les pays du Sud, notamment ceux d’Afrique doivent se l’approprier pour, entre autres, développer l’échange d’information, « parler affaires » au lieu de se limiter à l’ostentation. Cette appropriation pour le cas de l’Internet qui nous intéresse aussi dans ce travail passerait par la mise en ligne de sites Internet aux couleurs africaines. Pour évoquer justement la question des contenus dans le réseau Internet, le retard du continent concernant les technologies numériques est patent.

D’après la Banque mondiale les Africains ne génèrent que 0,4% du contenu de la Toile alors qu’ils représentent 13% de la population mondiale 614 . Des contenus aux couleurs africaines permettraient de faire la promotion du patrimoine socioculturel africain. Cela passerait par des informations touristiques, économiques, sociales et culturelles sans avoir à passer par les représentations diplomatiques et les agences touristiques. Ne serait-il pas là, un bel exemple d’appropriation des modèles occidentaux ?

Dans le même ordre d’idées, de nouveaux modèles d’institutions politiques susceptibles de réaliser l’osmose entre les États et les entités régionales et ethniques mériteraient de voir le jour. Cela conduirait à la mise en place de nouveaux modèles de développement économique et social inspirés par les nouveaux leitmotiv que doivent devenir l’éducation, la santé et le bien-être des populations.

Pour cela, une réorganisation dans le domaine social et culturel de la société africaine qui soit en mesure de réaliser une synthèse dynamique entre les nouveaux moyens de communication et les aspirations des Africains plongés - sans préparation sérieuse - dans le maelström des autoroutes de l’information s’impose. Car, pensons-nous, cette impréparation a pour conséquence, pour le cas de la téléphonie mobile que nous venons d’étudier, le fait que l’appartenance sociale apparaisse comme un facteur discriminant aussi bien dans la possession que dans l’utilisation de ce moyen de communication. Pour cela, la question de la place de la structuration d’un espace public d’information et de communication dans le processus du développement se pose avec acuité.

Mais disons-le, cette situation n’est pas propre à la technologie du mobile.

La conséquence majeure de cette discrimination sociale est qu’elle a des incidences sur l’accès à l’information, ainsi que sur les opportunités qu’ont les uns et les autres à communiquer. Rappelons à titre indicatif 615 qu’il y a trois fois plus d’appels chez les cadres supérieurs que chez le reste de la population. Ce fossé entre les personnes pouvant téléphoner (cadres et assimilés) et ceux qui ne le peuvent pas (chômeurs et assimilés) montre, s’il en était encore besoin, combien le facteur économique est dominant dans l’accès au téléphone mobile notamment.

Mais ce n’est pas tout. Est-il nécessaire de remuer les cendres de la « fracture sociale » pour se rendre compte des clivages sociaux qui existent dans l’appropriation des NTIC ? Même s’il est admis que des écarts existent partout, et dans de nombreux domaines, la différence entre les classes sociales est tellement marquée au Gabon qu’il n’y a par exemple pas de classe intermédiaire : nous avons d’un côté une minorité de personnes immensément riches et de l’autre une masse de pauvres. La part entre la frange de la population capable de supporter le coût d’une communication téléphonique (environ 20% de la population totale) et ceux qui ne le peuvent pas suffit pour se rendre à l’évidence de l’écart du niveau du pouvoir d’achat entre les populations. Écart qui n’est d’ailleurs pas étranger au niveau social et à la provenance sociologique des vrais consommateurs du téléphone portable. Une capacité à consommer qui de fait constitue un facteur excluant.

Cela étant, l'usage du téléphone mobile, corrélativement au pouvoir d’achat des usagers, pose encore un réel problème en Afrique. Il en va de même du clivage hommes/femmes dans l’appropriation des NTIC et Internet dans les pays du Sud. Mais aussi, le cas spécifique des handicapés.

Une politique au niveau étatique qui permette de panser/penser ces clivages mérite donc d’être mise en place. Le système de "point-phones mobiles" tenus par les handicapés (comme nous l’avons dans ce travail) mérite d’être généralisé à toutes les personnes qui sont dans cet état et qui le souhaiteraient. Cela constituera excellent premier pas vers une autonomie et les permettra si l’on s’en tient aux dires de l’un des leurs de se prendre en charge.

Surtout que les handicapés ne bénéficient pas comme dans les pays développés d’une couverture sociale. En outre, sachant qu’au Gabon comme dans nombre de pays d’Afrique, n’accèdent à une formation de qualité 616 que les enfants issus des couches aisées et que la formation est un ascenseur social dans ce cas spécifique des handicapés qui en sont exclus d’emblée interpelle encore une fois.

Eu égard à ces inégalités dans l’accès à la formation et consécutivement aux outils modernes de communication il est à croire qu’une frange importante de la population est laissée pourcompte. Une population qui constituera les nouveaux illettrés de la société de l'information. De cela, l’Afrique au sud du Sahara a, semble-t-il, encore une fois, raté le départ.

Car il est déjà question aujourd’hui d’une fracture numérique Sud/Sud consécutive au décalage dans la connectivité entre pays du Sud, entre villes principales et villes moyennes, entre villes et campagnes : le fameux bicéphalisme technologique. Mais il n’y a pas que cela, nous l’avons vu dans ce travail un grand fossé entre riches et pauvres existe aussi en Afrique en plus de la fracture technologique Nord/Sud.

Au regard des inégalités sociales en termes de revenus (pouvoir d’achat), du niveau de formation l’Afrique mérite donc d’avoir un autre destin que celui d’une proie que se disputent les requins de la finance internationale 617 .

Elle doit pouvoir émerger sur la scène mondiale comme un partenaire crédible et respecté. Pour cela il faut qu’elle s’affirme en palliant notamment au problème de main d’œuvre qualifiée. Ce qui n’est pas encore le cas aujourd’hui car même avec le développement du téléphone mobile qui fait tant de bien à l’Afrique, ce continent souffre d’un cruel manque d’infrastructures : couverture en îlots du réseau mobile, insuffisance en main-d’œuvre qualifiée pour l’extension l’entretien et le développement du réseau, etc. Tous ces écueils rendent ce continent toujours dépendant.

Dans ce contexte de globalisation, loin d’affirmer son identité avec « sa mobile économie » par exemple, l’Afrique continue d’être un simple marché pour les grandes sociétés occidentales (cf. chapitre1, §1.3 l’Afrique de tous les appétits). Jean Ping (octobre 2002), n’en pense pas moins, lui qui s’insurge contre la « vision mimétique [que d’aucuns proposent à l’Afrique] », vision qui selon lui est fixée sur un modèle « prêt-à-porter, faisant l’impasse sur les réalités sociohistoriques locales ».

Le but de ce travail étant aussi d’identifier les conséquences sociales traduites par la généralisation de l’emploi d’un outil personnel et portable de téléphonie, à la fois sur les groupes d’usagers que sont les jeunes, moins jeunes, travailleurs et les sans activité professionnelle. Il nous a paru nécessaire de faire apparaître, sous la forme de représentations diverses, les caractéristiques des pratiques des utilisateurs des mobiles.

De notre étude il en ressort que, même si la possession systématique du téléphone mobile par un grand nombre d’Africains ne fait plus l’ombre d’un doute, le côté téléphone portable vu comme outil de travail reste à explorer. Il y a aujourd’hui en Afrique des abonnés pour lesquels on peut se demander à quoi leur servent leurs téléphones dans la mesure où ils ne travaillent pas, ne sont pas à la recherche d’un emploi et ne sont presque jamais demandés.

Si pour 60% d’enquêtés « le portable sert à communiquer », il faut comprendre ici avoir un moyen à partir duquel on peut être joint (le téléphone fixe n’étant pas accessible à tous). 30% d’entre eux considèrent que le téléphone mobile « sert à rester en contact ». Par contact il faut voir la création et/ou l’entretien des liens sociaux.

Nous l’avons vu, de nombreuses familles étant aujourd’hui disloquées pour diverses raisons (sociales, économiques, professionnelles, etc.), le téléphone portable devient, on peut le dire, le moyen de reconstitution des liens familiaux. 10% des personnes interrogées évoquent par contre le côté « modernité, moyen de communication moderne ». On le voit, ce qui prime pour cette frange de la population c’est le côté tendance, le « fun », vivre avec son époque.

Ces valeurs seraient le moteur de leur intérêt pour le portable. Malgré cette variété de points de vue sur la nécessité de disposer d’un téléphone portable, toutes ces motivations sont tout de suite rattrapées par la situation économique d’environ 80% d’usagers du portable. En effet, un grand nombre d’Africains ayant des revenus modestes, le téléphone mobile ne sert à une grande partie d'entre eux que pour recevoir des appels.

Les mobiles africains c’est donc, dirons-nous, plutôt, des répondeurs mobiles que des téléphones mobiles parce qu’ils servent plus à répondre aux appels 618 qu’à en passer. Il y a aussi ce côté apparat qui n’est pas à négliger. Cela a été vu, en Afrique, disposer d’un téléphone mobile n’est plus la seule préoccupation.

Toujours est-il qu’il faut que celui-ci soit un téléphone de marque avec tous les accessoires possibles et inimaginables. C’est important ! Et Dieu seul sait combien cet aspect compte en Afrique.

Par ailleurs, en dépit de ce qui est superficiel qui rime avec le « m’as-tu vu », se présente ce que nous pouvons qualifier ici de « d’ingéniosité» des branchés.

Pour contourner le coût d’un appel d’un opérateur vers un autre, l’ingéniosité des utilisateurs les amène à disposer de la carte SIM de chacun des opérateurs du marché. Ainsi dotés d’une ligne de chaque opérateur, les usagers n’ont plus qu’à insérer la puce correspondant à l’opérateur du numéro de téléphone à composer pour payer moins cher. Ce procédé qui consiste à inter changer les cartes SIM est une autre forme d’originalité dans les usages du mobile au Gabon.

Mais il faut le dire, cette originalité qui est en réalité une originalité de fait n’est que la conséquence de l’incapacité qu’ont ces usagers à faire face à la charge que constitue l’entretien d’une ligne téléphonique.

C’est donc dans les faits, un réflexe de débrouillards tant elle est la conséquence d’une situation économique (faiblesse de leurs revenus) qui ne leur permet pas de faire face au coût du téléphone mobile. Cela dit, pour qu’il y ait véritablement originalité, il importe de concevoir la vie à partir des valeurs propres à l’Afrique. Pourquoi pas adapter les techniques de communication traditionnelles avec les techniques modernes ! Le continent africain nécessite selon ceux qui l’ont étudié, une civilisation qui soit le produit de son propre génie et qui permette son émergence des profondeurs de la pauvreté et son accès à la maîtrise des défis de toutes sortes auxquels elle est confrontée afin d’inventer son développement.

La téléphonie mobile même si elle n’est pas la solution magique aux problèmes que connaît le continent; elle n’en constitue pas moins un début de solution aux problèmes de développement : multiplication de PME, forte activité autour des cartes de recharge et objets dérivés au mobile, désenclavement des villes et villages, etc. constituent des signes positifs dans le processus de développement.

Le succès du mobile est dans ce cas à méditer. L’industrie des systèmes mobiles en Afrique et sur l’ensemble de la planète aura mis à peine plus de 20 ans pour atteindre un milliard d’abonnés alors que les réseaux fixes ont déjà mis plus de 130 ans pour atteindre le même nombre. Et, nous l’avons vu, le continent africain malgré les problèmes de connexion n’est pas en marge de cette dynamique. Pour parler de l’ensemble qui compose la trame des NTIC, les pays en développement (dont ceux d’Afrique), ont trouvé par le canal de ces technologies un moyen de s’intégrer dans l’économie mondiale.

Dans la mesure où ces nouveaux canaux de communication offrent aux pays qui se connectent, le moyen d’accéder rapidement à l’information, le téléphone mobile aidera sans nul doute, (davantage) les Africains à apprendre à communiquer, à se connaître et à découvrir ce qui se fait ailleurs.

Le processus de mondialisation en cours ne trouve t-il pas son fondement sur cette base ? Cet échange d'informations et de points de vue pourront par exemple contribuer à bannir les mauvais réflexes. C’est un constat, de nombreuses habitudes : manque de ponctualité au travail, lourdeur administrative dans le traitement des dossiers, la rétention de l’information sont autant de maux que nous fustigeons dans ce travail et qui compliquent encore un peu plus le processus de développement. Le partage d’expériences que pourraient permettre les NTIC par le truchement des échanges, c’est notre thèse, conduira à faire acquérir de nouveaux réflexes mieux à même de contribuer à la bonne marche des institutions.

Toutefois, et pour important que cela soit à souligner, ces changements espérés ainsi que le développement économique ne pourront s’opérer qu’à long terme. C'est-à-dire, une fois que sera dépassée la phase actuelle d’effet de mode et de voyeurisme 619 pour laisser place à un usage utilitaire : celui du téléphone mobile outil de travail. Idem pour le réseau Internet auquel s’attache aussi les Africains et dont le principal service utilisé (pour l’instant), est la messagerie pour l’envoi et la réception des e-mails.

En outre, à cause de la vétusté des infrastructures de télécommunication, des risques de se retrouver (malgré les progrès observés), en retard dans de ce processus «du tout informationnel», sont à prévoir. Car disons-le, malgré les avantages offerts par le développement du réseau mobile, le fixe ne doit pas disparaître, il faudra compter sur lui pour assurer le développement du réseau Internet sur le continent. Le mobile à son stade de développement actuel semble uniquement adapté pour les communications vocales, mais pas pour les transmissions de données. Mais pour mieux répondre aux attentes des usagers africains, Internet nécessite pour cela un réseau fixe performant.

Et cela ne sera possible qu’après avoir annihilé toutes les taxes d’importation des produits liés aux TIC.

Dans leur situation de pays en développement, la connectivité globale (être reliés au monde par les canaux modernes) est pour les pays africains plus qu’une nécessité. Ne serait-ce que pour désenclaver les villages aujourd’hui désertés à cause de l’exode rural. Le réseau mobile qui dans son extension a pris de cours le fixe est d’un apport important dans le resserrement des liens. Grâce aux contacts quasi permanents ("il suffit" de recharger son téléphone) qu'il permet entre les individus, celui-ci rapproche les individus jadis éloignés. C'est d'ailleurs grâce à ce bon vers la modernité sans passer par l’étape du fixe que le téléphone mobile a relégué le fixe dans la condition d'outil de communication secondaire.

Nul mieux qu’une couverture totale en téléphonie mobile de l’ensemble du territoire gabonais peut davantage désenclaver de nombreuses régions du pays et donner un parfum de modernité. Cette connectivité permettra par exemple à des individus installés en ville, de s’enquérir au plus vite de l’état de santé d’un proche resté au village. Et si besoin est, de leur apporter les soins nécessaires. Ce qui à long terme conduira à réduire le fort taux de mortalité parfois alimenté par des maladies bénignes.

La connectivité globale en réseau mobile permettra en outre, de relativiser le rapport au temps : plus tôt on est informé, plus vite on agit. Faute d’infrastructures routières facilitant les courants d’échange entre les différentes régions du Gabon. De nombreux incidents et accidents sans gravité finissent par avoir des conséquences dramatiques à cause du manque d’information "à temps opportun" : un bateau ou camion transportant des vivres ou des marchandises périssables nécessitant un dépannage dans un coin perdu, accidentés de la route manquant de secours en plein milieu de la forêt équatoriale, etc., sont des cas pour lesquels la téléphonie s’avère indispensable. La téléphonie rurale, grâce à sa capacité à réduire la distance par la rapide transmission de l'information sera un excellent passe mot.

Dans le cas du Gabon, le développement du téléphone mobile présente deux contrastes : le premier est consécutif à une économie dynamique et des finances publiques profondément déréglées. Alors que les difficultés économiques sont partout perceptibles, l'arrivée du téléphone mobile semble démontrer le contraire. C'est-à-dire la situation d’un pays qui vit dans un dynamisme d'une économie en expansion : la course à la mode avec les téléphones derniers cri, que de nombreux usagers arborent ostensiblement pouvant être considérés comme des signes extérieurs de richesse.

Pendant ce temps, la demande, particulièrement à l'intérieur du pays, se fait sentir chaque jour un peu plus. Le second contraste consécutif au développement du téléphone mobile au Gabon est cette fois relatif au réseau : à la manière dont il est déployé (sa configuration).

En effet, au Gabon comme dans nombre de pays du continent le réseau présente des ambivalences entre les zones urbanisées : capitales, grandes et villes moyennes relativement couvertes, et les campagnes, les villages et les petites villes sont quasi délaissés.

Le paysage technologique africain nous donne donc une photographie bancale avec des pays ou des régions pionnières et d’autres espaces totalement dégarnis. Or nous l’avons vu, ces régions parfois très peuplées sont autant nécessiteuses que les zones urbanisées.

L’exercice qui consiste à présenter la contribution d’un outil comme le téléphone mobile au développement peut s’avérer difficile. L’usage du téléphone, chacun s’en rend compte, relève d’une consommation personnelle. Et donc a priori n’a pas d’effets directs sur le développement comme le serait la création d’une entreprise de téléphonie qui emploierait deux mille cinq cent personnes.

Mais malgré tout, la téléphonie, et par extension les télécommunications sont de nos jours de puissants moteurs du développement économique dans les pays occidentaux et sont en passe de l’être en Afrique, nous l’avons vu. Même si la relance de l'économie par les Nouvelles Technologies de l'Information est plus un modèle de développement à l'américaine ; le fait de se rendre à l’évidence que nous vivons aujourd’hui plus que jamais dans un monde qui bouge suffit pour accréditer la thèse du rôle important que jouent désormais les NTIC dans notre société. C’est évident, le degré d’équipement n’est malheureusement pas partout le même nous l’avons vu plus haut.

Dans ce déploiement bancal du réseau, le rôle de l’État a souvent été battu en brèche. Assurément le rôle dominant des États dans le domaine technologique a souvent été pointé du doigt. Car la situation de quasi monopole dont jouissaient les opérateurs historiques n’allait pas sans entraver le développement des TIC faute de concurrence sur le marché.

Or, depuis la libéralisation des marchés 620 qui a permis l’arrivée d’opérateurs privés, apparaît dans le secteur des télécommunications une nouvelle donne. Le fait le plus marquant dans la libéralisation du secteur des télécommunications nous le relevons justement dans le domaine de la téléphonie mobile qui a fait florès ne serait-ce que par la multiplication d’activités économiques :

points phones mobiles, commerces de produits connexes aux téléphones mobiles, commerces de cartes prépayées, possibilité d’être joint grâce au nombre de ses usagers qui va crescendo, etc.

Il serait peut être prématuré de parler d’une augmentation de l’efficacité des télécommunications encore moins d’une offre de service de qualité.

Mais nous observons à tout le moins un souci d’améliorer la qualité des services offerts : multiplication d’options d’abonnements, SMS gratis, consultation de messagerie vocale pour talonner les concurrents.

Donner une chance au futur, c’est refuser un monde où les jeux du commerce et le droit des affaires sont la seule loi. Le développement n’est pas la croissance économique ; sinon avec ses nombreuses richesses que nous avons énumérées dans le chapitre qui lui est consacré, le Gabon serait un pays développé.

Le développement est donc l’invention d’un ordre politique basé sur la démocratie participative et l’équité. Sans démocratie point d’équité. Et puisque pendant ses années fastes (cf. chap.2, §2.2, p.132, « période de vaches grasses ») la richesse du Gabon n’a pas profité à la majorité des Gabonais, ni au pays en général, la croissance et ou richesse du Gabon n’auront contribué qu’à aggraver les inégalités.

Et c’est sans doute dans le but de tenter d’atténuer ces inégalités qu’un certain nombre d’organisations internationales s’investissent en Afrique. Mais il ne faut pas se leurrer, comme le disait le Président Nelson Mandela lors de la rencontre des chefs d’États qui conduisit à la création de l’U.A (Union Africaine) en juillet 2002, « nul ne réalisera le destin du continent adulte de l’Afrique à la place des Africains eux-mêmes ».

C’est dire si dans le domaine économique et social, l’adoption, depuis près de deux décennies, des mythes du modèle libéral occidental et de ses rites que sont l’ajustement structurel et la dévaluation monétaire ont plongé l’Afrique dans les affres de la décomposition sociale.

La plupart des pays africains en effet affichent des taux de pauvreté approchant ou dépassant, dans certaines circonstances, les 50 % de la population. Il faut donc se garder de nourrir de nouvelles illusions et se convaincre qu’il n’y a pas d’autre issue, pour les Africains, que de faire eux-mêmes l’Afrique. Est-il trop tard pour tenter d’inventer le développement équitable ?

Après avoir consacré ce travail à l’étude de la téléphonie mobile, du développement des réseaux constitutifs de la trame des NTIC, l’issue de ce travail sera donc aussi l’occasion de creuser davantage sur les nombreux points restés en suspens. Nous pensons notamment à l’étude sur les véritables usagers du portable hormis ceux qui se contentent de recevoir des appels ou de « bipper », de l’étude sur l’usage utilitaire du téléphone mobile : ce qu’on pourrait qualifier de communications utiles.

Une étude sur l’état de connectivité global du Gabon s’impose. Cela afin de bien faire la part des choses entre les zones couvertes et les zones dégarnies. De la même façon qu’il serait judicieux d’étudier les flux de communication avec pour questions centrales « qui appelle qui ? Et pour quoi »? L’objectif ici étant d’analyser la problématique du partage d’informations dans les institutions, organisations, publiques et privées.

Notes
608.

Gaëlle Macke, Le Monde n° 18328, du 30 décembre 2003, p.1.

609.

Journal les échos, avril 2004.

610.

Voir sur ce point « les accords de défense entre la France et les pays d’Afrique Francophone : une assurance tous risques pour les dictateurs du pré-carré gardiens tu temple néo-colonial, in http://www.monde-diplomatique.fr/2000/01/LEYMARIE/13267

611.

Nous l’avons vu lorsqu’il s’est agi d’évoquer la question de la connexion au réseau filaire des quartiers populaires.

612.

Economique, Technologique, infrastructures (routes, écoles hôpitaux), etc.

613.

Nous entendons par modèles extérieurs, cette facilité à adopter le mode de fonctionnement des sociétés occidentales. C’est-à-dire, l’organisation institutionnelle, politiques économiques, etc. qui ne sont pas toujours (forcément) compatibles avec le modèle africain.

614.

JAI Hors-série n° 6, p.110.

615.

Même si cela peut relever de l’évidence, estimations de l’Agence de Régulation des Télécommunications (ARTEL / Gabon/2003.)

616.

Du type ingénieur en télécommunications, formation en informatique notamment, etc.

617.

Le forum sur la téléphonie rurale organisé à Cotonou en décembre 1999, l’un des derniers grands rassemblements africains autour du sujet des télécommunications, a rappelé un certain manque d’intérêt des grands opérateurs internationaux pour le secteur des télécommunications en Afrique. Le continent avec moins de deux lignes pour 100 habitants paraît un marché sans intérêt pour les grands opérateurs internationaux.

618.

Des personnes qui ont la capacité d’appeler (fonctionnaires, cadres supérieurs, hommes et femmes d’affaires), en somme, les personnes économiquement solvables. Eu égard aux difficultés auxquelles sont confrontés un grands nombre de clients et suite « aux valeurs de solidarité et d’entre aide » qui se manifestent sur le marché gabonais du mobile, l’opérateur Celtel vient de mettre en place au Gabon (l’Union n°8757 du 6 mars 2005, p. 6) une formule de communication « économique et pratique » appelée « Cpourtoi ». Celle-ci offre la possibilité à un client de partager son crédit de communication appelé communément « unités » avec ses proches en rechargeant directement leurs comptes par SMS. Ce service permet d’éviter les désagréments que pourrait causer la communication du code d’une carte à gratter. On se souvient de cette anecdote citée par la presse (en faits divers) relayant les ennuis d’un abonné qui tentait de transférer du crédit à une connaissance se trouvant en province. Alors qu’il communiquait le code secret à haute voix dans un endroit public, quelqu’un l’a capté avant que la destinataire ne puisse l’enregistrer complètement. Une situation qui a failli dégénérer en rixe entre lui et le revendeur.

619.

Qui entoure la détention ostentatoire des téléphones mobiles.

620.

Même si elle risque d’ailleurs elle aussi (toute chose ayant sa face cachée) d’aggraver les inégalités sociales que nous fustigeons ci-haut.