Favoriser la compréhension internationale

La Deuxième guerre mondiale a incontestablement « élargi » le monde et les traumatismes qu’elle a engendrés ont renforcé le besoin de croire à la possibilité de créer un monde pacifique, à la solidarité entre les pays et les peuples. Tout un dispositif d’organisations internationales, gravitant autour des Nations Unies, est donc mis en place au lendemain de la guerre. Il paraît constituer, aux yeux de beaucoup, dans un monde qui a perdu ses repères, le meilleur moyen de favoriser la compréhension internationale, de faire face à tous les problèmes que posent le retour à la paix et la naissance d’un monde nouveau. Imprégner les générations montantes de cet « esprit des Nations Unies » est une des principales missions dévolues à l’Ecole après la guerre. Le projet Billières de 1956-57 prend en compte cette nécessité de la compréhension internationale :

‘«  Les dimensions de la terre se rétrécissent (…) il faut accorder plus de place à la connaissance des autres peuples d’autant plus que l’Union Française ancre la France dans le monde (…) ( Il faut ) accorder plus d’importance à la solidarité des hommes, à l’interdépendance des Nations, à la compréhension internationale. » ’

Le Ministère de l’Education Nationale encourage donc toutes les initiatives destinéesà faire connaître les grandes institutions internationales et les principes qui les animent. Sa collaboration est particulièrement étroite avec l’UNESCO. Il encourage aussi la multiplication des échanges internationaux au niveau scolaire.

Mais cet effort pour renforcer la compréhension internationale et la solidarité, n’englobe pas vraiment les liens avec l’Afrique. Quand le B.O. parle de solidarité 20 , il s’agit surtout de mettre les jeunes en garde contre la tentation de l’individualisme et d’insister sur le devoir des élites, de mettre leurs qualités au service de la collectivité. Les camps internationaux d’enfants dont certains se situent en France, ne regroupent que des enfants européens victimes de la guerre. L’Afrique est sur un autre plan…

L’Ecole collabore avec les organisations internationales. Il s’agit de mettre à la portée des jeunes les grands principes qui inspirent l’action de l’Organisation des Nations Unies et de montrer « la grande espérance » qu’elle porte en elle. Dès 1945, les circulaires se multiplient et à peu près dans les mêmes termes pendant toute la période.

Après avoir ordonné l’affichage, dans toutes les écoles, de « La Déclaration des droits de l’Homme » 21 , le Ministère, à la demande de l’UNESCO, l’inclut dans le programme d’Instruction Civique de 1° 22 . La circulaire du 27 novembre 50 23 commente ce texte ainsi que la Charte des Nations Unies :

‘« Le premier devoir est l’amour de la patrie mais ensuite il y a la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et leurs droits égaux et inaliénables (…) Il faut promouvoir la compréhension mutuelle entre les peuples et leur volonté de coopérer (…), valoriser les sentiments de solidarité humaine… ». ’

Le Ministère reviendra à plusieurs reprises sur ces valeurs : égalité des droits, compréhension internationale et solidarité, conditions indispensables de la paix. Plus tard apparaîtra plus timidement l’idée de l’égalité des cultures et du nécessaire effort pour connaître et accepter la culture de l’autre. Cela va dans le sens des traditions de l’Université française qui s’est toujours montrée soucieuse de « concilier le culte de la patrie et le sens de l’Universel ». Il rappelle aussi les nombreux éducateurs français qui, pour défendre cet idéal, n’ont pas hésité à sacrifier leur vie pendant la deuxième Guerre mondiale. Ils ont donc montré la voie à suivre à l’Ecole d’après-guerre.

Pour souligner l’importance des organisations internationales et promouvoir leurs idéaux, quelques moments forts leur sont consacrés chaque année, à la même date. « La Journée des Nations Unies »commémore l’anniversaire de l’adoption de la Charte de San Francisco, le 24 octobre 1945. Des documents sont envoyés dans les écoles pour alimenter la réflexion. Le Ministère recommande de lire dans les classes des extraits de la Charte. En 1955, il propose un concours d’affiches où « les concurrents sont libres de leur inspiration » mais on les limite à trois couleurs en plus du noir, on impose la taille ( 0m36 / 0m25 ) et le contenu ( l’affiche doit mentionner la formule « Journée des Nations Unies », montrer le drapeau de l’ONU, et évoquer son idéal ). Le 11 décembre c’est l’anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits del’Homme 24 .On associe souvent à cette célébration d’autres anniversaires : en 1959, le 40° anniversaire de l’O.I.T. 25 , en 1961, le 15° anniversaire de l’UNICEF où on doit évoquer la Déclaration des droits de l’Enfant. On est tenu aussi d’aborder les thèmes de l’année privilégiés par l’ONU( les réfugiés par exemple ). Les enfants sont également engagés à agir : ils doivent vendre des timbres commémoratifs par exemple. L’UNESCO leur échange l’argent contre des bons d’entraide qui serviront aux écoles des pays pauvres, à acheter des fournitures scolaires dans des magasins agrées par l’UNESCO. Pour toutes ces initiatives, des comptes-rendus sont demandés aux établissements scolaires. La synthèse sera envoyé aux Nations Unies pour déboucher sur un rapport mondial.

Le Ministère encourage aussi la participation des écoles et des enseignants à descomités d’amisde l’UNESCOqui devraient se créer dans toutes les régions 26 . Ils dépendent d’un Comité national où figurent des représentants des parlementaires, de l’Assemblée de l’Union Française, du gouvernement, de l’Institut de France, des syndicats. Leur mission est d’organiser une information sur l’UNESCO, de diffuser de la documentation, de fournir des experts au Comité national et de favoriser, dans les écoles, la création de clubs UNESCO. Le Ministère manifeste de l’intérêt pour ces « clubs », indépendants de lui et de l’UNESCO ( les premiers sont apparus au Japon ) et pouvant contribuer beaucoup à développer la compréhension internationale 27 . Leurs activités et leur rôle dans l’introduction du Tiers Monde dans les écoles seront étudiés plus loin. L’abonnement de toutes les écoles au Courrier de l’UNESCO  ( « une excellente publication » ) est encouragé.

Le Ministère encourage la multiplication des échanges internationaux. Les échanges de correspondance, les rencontres, les voyages dans le cadre d’appariements d’écoles, sont encouragés parce que c’est un moyen de promouvoir la compréhension internationale et d’assurer le rayonnement de la culture française. Le Ministère vise plutôt les échanges avec des pays d’Europe, avec, pour objectif, des apprentissages linguistiques. L’Afrique du Nord et même l’Afrique subsaharienne ne sont pas exclues a priori mais rien n’est fait non plus pour aider les enseignants à mettre en place des relations rendues très difficiles par l’éloignement.

La correspondance scolaire internationale avait été un des points forts de certains mouvements pédagogiques mais il n’en est pas très souvent question dans les circulaires ministérielles. Elles l’encouragent pourtant mais en demandant aux enseignants de s’en tenir aux réseaux officiels pour trouver des correspondants et de ne pas s’en remettre à des « organismes privés » qui démarchent directement les écoles 28 . Les rencontres de jeunes vont aussi dans le sens de la compréhension internationale. Mais le Ministère se contente souvent de les signaler en en montrant l’intérêt mais il ne donne pas véritablement d’impulsion. Une circulaire en 1947 29 par exemple encourage la participation au sixième jamborée d’éclaireurs qui se tient à Paris et qui va réunir des jeunes de 43 pays. Il donne son appui à la Fédération internationale des organismes de correspondance et d’échanges scolaires qui organise une exposition de dessins et de documents recueillis au cours de ces correspondances et une fête sous le patronage de l’UNESCO avec un spectacle monté par des jeunes. Il encourage aussi une association intitulée « L’action internationale des Jeunes » qui a été créée avec le soutien du Comité français de l’UNESCO et qui a pour objectif de faciliter les rencontres entre jeunes 30 . Des camps ont été organisés où se sont côtoyés des jeunes d’Europe mais aussi d’Afrique du Nord ( en 1954 et 1959 ).

Les voyages, assez curieusement étant donnée la plus grande difficulté des communications à cette époque, occupent une place relativement importante dans les instructions du Ministère. Des voyages destinés aux enseignants d’abord. Au début des années 50, des bourses de voyage à l’étranger sont proposées en priorité aux enseignants de langues vivantes, pour se former. On en propose aussi aux professeurs d’Histoire-Géographie et de Lettres qui veulent aller étudier à l’étranger ou dans un pays de l’Union Française. Pour les jeunes, le B.O. signale régulièrement chaque année l’intérêt des bourses Zellidja. Il en fait connaître les réalisations avec beaucoup d’insistance et rappelle que l’organisme peut aider, par la suite, les lauréats à faire des études. Des voyages peuvent être aussi organisés dans le cadre d’appariements d’écoles 31  : quelques indications

sont données sur la manière de résoudre les problèmes matériels. Les voyages dans les pays de la Communauté française ne sont pas exclus. Il y en eut au moins un. En 1962, la circulaire du 16 avril présente une croisière scolaire franco-britannique sur les côtes de l’AOF. Elle est organisée par la « British society for international understanding » et le CEDDIMOM ( Centre de documentation et de diffusion des industries minérales et énergétiques outre-mer ) Elle est destinée à des jeunes de 15 à 18 ans et coûte 640 F, avec la possibilité pour les moins favorisés d’obtenir une bourse. Les objectifs clairement annoncés sont de faire voyager des jeunes à un prix intéressant et de favoriser le contact entre jeunes anglais et français. Un B.O. de juin 1962 y revient, preuve sans doute qu’il n’y avait pas beaucoup de candidats, au moins du côté français. Sans vouloir attacher trop d’importance à cette initiative, il semble tout de même que cette insistance à encourager un projet qui apparaît beaucoup plus touristique qu’éducatif, montre les limites de cette « compréhension » à l’égard des populations et des cultures africaines.

Les incitations à des actions de solidarité internationale sont encore peunombreuses. A part quelques mobilisations ( en particulier des collectes diverses au moment de catastrophes naturelles ou une collecte de livres scolaires pour le Viet Nam en 1958 ), l’Ecole n’est pas vraiment sollicitée. Il faut attendre la fin des années 50 pour que se mettent en place officiellement des actions de solidarité que nous étudierons plus loin.

Notes
20.

B.O.E.N. N° 5 du 4/2/1954

21.

B.O.E.N. n°15 du 28/2/1946.

22.

B.O.E.N. n°1 du 28/1/1949.

23.

B.O.E.N. n°45 du 11/12/1950.

24.

B.O.E.N. n°49 du 8/12/1949.

25.

O.I.T. : Organisation internationale du travail.

26.

B.O.E.N. n°43 du 23/11/1950.

27.

André ZWEYACKER, Devenirsn°8 ( 1985 ) : Historique des clubs UNESCO.

28.

B.O.E.N. n°11 du 15/3/1956.

29.

B.O.E.N. n° 15 du 15/5/1947

30.

B.O.E.N. n°15 du 15/4/1954.

31.

B.O.E.N. n° 18 du 2/5/1958