L’Afrique dans l’enseignement primaire et secondaire

Les quelques archives qui ont été conservées et les témoignages donnent l’impression que, à cette époque, le corps enseignant suit en gros les consignes du Ministère : il respecte l’esprit des programmes, ne dérive pas vers le politique, organise, dans le meilleur des cas, les quêtes et les actions demandées. Mais il ne semble pas qu’il prenne systématiquement les initiatives qu’on attend de lui pour favoriser la compréhension internationale. Les tentatives faites dans les établissements scolaires sont le plus souvent ponctuelles, avec des enseignants isolés. Il ne s’agit en aucun cas des prémices de ce qu’on appellera plus tard une « éducation au développement ».

Les thèmes abordés sont limités.Dans le cadre des différentes disciplines, la plupart des enseignants font ce que le programme exige sans plus. En Géographie, c’est l’étude des milieux tropicaux en insistant beaucoup sur les aspects physiques et sur les activités qui en découlent. L’Afrique apparaît souvent comme un objet de folklore. Cet aspect est renforcé par les livres de lecture, dans le primaire notamment, qui évoquent ce continent et ses animaux ( le mouvement Freinet et sa revue BT constituent une exception en s’intéressant assez tôt et différemment à l’Afrique ). On n’aborde, timidement, les problèmes de développement qu’au début des années 60 et en fournissant des explications plutôt sommaires. En outre ces régions sont souvent traitées en fin d’année ( en 1° par exemple ) et il n’est pas rare qu’elles soient sacrifiées par manque de temps. L’Union française fait cependant l’objet de questions au certificat d’études : en 1956, en Isère, on demande aux candidats de dire ce qu’est l’Union française, de citer des noms de villes, de cours d’eau, de chaînes de montagne en Algérie et Tunisie.

En Histoire, l’Afrique n’est évoquée qu’à partir du moment où les Européens établissent des relations avec elle ; cela se limite donc à l’étude de la traite puis de la colonisation. La traite et l’esclavage sont dénoncés comme des atteintes aux droits de l’Homme. Mais comme le Ministère le demande, on fait ressortir la grandeur de l’œuvre coloniale de la France et la pérennité des liens qui nous unissent à nos « possessions extérieures ». Le passé plus lointain de l’Afrique ( qu’on connaissait encore mal ), les cultures africaines, l’évolution après la guerre ne sont pas abordés.

Au lendemain de la guerre, la littérature francophone d’Afrique a déjà donné quelques grandes œuvres. Les premières publications des auteurs africains ( ou antillais ) datent d’avant la guerre. L. Senghor publie les Chants d’ombreen 1945. La littérature francophone s’épanouit au lendemain de la guerre avec d’autres auteurs qui deviendront souvent aussi des porte-parole de la cause de l’indépendance, B.Dadié, Mongo Beti… Birago Diop publie ses Contes d’Ahmadou Koumba dans les années 50. L’enfant noir de Camara Laye paraît en 1954. Mais malgré les efforts de Présence Africaine ( qui édite une revue née en 1947 et des ouvrages ), cette littérature ne sort pas du cercle de quelques initiés. Elle n’a aucune place dans l’enseignement du Français bien que beaucoup de textes soient très accessibles aux enfants, les contes par exemple. La littérature francophone, comme la littérature française contemporaine d’ailleurs, pâtit de l’attachement du système éducatif aux grandes œuvres classiques, qui prive les élèves et les enseignants d’une possibilité d’ouverture sur l’actualité et sur le monde. En outre, dans le contexte de la décolonisation, elle véhicule souvent des idées dangereuses pour la présence française. Cette ouverture sur l’International est naturellement possible aussi à partir de grands textes de la littérature française. Beaucoup d’entre nous se souviennent d’explications des Lettres persanes  ou de textes de Voltaire qui ont ouvert des horizons sur les autres cultures.

Le contenu du programme d’Instruction Civique ne s’adapte pas très bien à l’ouverture sur l’International et de toutes façons dispose d’un horaire faible ( 1h par quinzaine dans le Secondaire ). Tout dépend en fait de l’enseignant, qui croit à la nécessité de la formation civique ou qui utilise ce cours pour terminer le programme d’histoire ou de géographie. En 1959, l’Inspecteur d’Académie de Savoie se sent obligé de faire un rappel à propos de l’Instruction civique et insiste sur le fait que la compréhension entre les peuples est un thème important aux côtés de la liberté et du dévouement à la patrie.

En dehors du cadre des disciplines, l’ouverture sur l’International peut se faire à travers les « journées » instituées par le Ministère. Elles permettent d’attirer l’attention des élèves sur des thèmes importants mais elles ne sont pas toujours appréciées des enseignants. Leur « parachutage » apparaît artificiel à beaucoup d’entre eux. Dans le pire des cas, elles sont vécues comme une contrainte qui n’arrive jamais au bon moment et à cause de cela, elles sont mal observées. Les archives en parlent d’ailleurs peu, soit qu’il ne se fasse rien dans les établissements soit qu’elles soient devenue une sorte de « routine ».

Les clubs UNESCO ont été sans doute un des moyens les plus efficaces de l’ouverture sur le monde. Créés dans le monde entier, sous l’impulsion de l’UNESCO ( les premiers apparaissent au Japon ), ils sont encouragés en France par le Ministère. Ils sont autonomes par rapport à l’UNESCO qui ne les subventionne pas. Ils doivent beaucoup au dynamisme de l’Inspecteur général François qui les regroupe, en 1956, en une fédération française des clubs UNESCO , dépendant elle-même d’une fédération internationale. Ils ont pour vocation de faire connaître les idéaux de l’UNESCO, d’ouvrir les jeunes sur la société, de favoriser la compréhension internationale. Un répertoire international des Clubs UNESCO paru en 1973 en présente ainsi les objectifs :

‘« Ils organisent des cercles d’études, des conférences, des expositions, des séances de cinéma, des voyages culturels et favorisent les échanges sur le plan international pour développer chez les jeunes une meilleure compréhension. Ils participent aux campagnes d’entraide internationales et aux chantiers internationaux de volontaires afin d’éveiller le sens du civisme. » ’

Ce sont les premiers clubs de discussion officiels dans les établissements scolaires, ils organisent la réflexion sur tous les problèmes de notre temps. Si les autres continents ne sont pas une priorité, ils favorisent cependant l’apparition d’une dimension internationale. Il est impossible de répertorier ces clubs avec précision. « Ils existent dans presque tous les établissements de l’Isère» dit un rapport en 1964. On en signale alors à Romans, Chambéry, Albertville. Nous n’avons pas trouvé d’autres témoignages pour la période antérieure. Ils sont moins bien représentés dans des départements comme l’Ardèche. Mais nombreux, sans doute, sont ceux dont l’existence nous échappe. Certains autres clubs de réflexion, très voisins dans leurs objectifs, portent aussi d’autres noms et sont complètement indépendants de la fédération des clubs UNESCO. Il existait par exemple un « Foyer civique » au lycée de Montélimar. Il n’est pas possible non plus de se faire une idée précise de leur mode de fonctionnement, de la régularité de leurs activités, du nombre d’élèves qu’ils drainaient et de leur influence. Quand les rapports en parlent, c’est toujours pour se féliciter de leur dynamisme.

Quelques exemples très fragmentaires des activités périscolaires dans les établissements, permettent toutefois de se rendre compte de la manière dont l’information était diffusée. Malgré des efforts de dialogue avec les élèves, les adultes paraissent garder une grande part de l’initiative. Tel club animé par un professeur de français abordera ces problèmes par des lectures d’œuvres littéraires suivies de discussions. Les chefs d’établissement encouragent généralement ces initiatives qui donnent une dimension nouvelle à l’établissement. Au lycée de jeunes filles de Chambéry, le Club UNESCO organise des séances de discussion en partant d’un thème traité dans un roman. Par exemple, l’apartheid a été évoqué avec Pleure ô mon pays bien aimé d’Alan Paton. Le lycée Jean Moulin d’Albertville essaie de mettre sur pied un club « Presse », organise des débats. Un film américain de R. Brooks,  Le Carnaval des Dieux ( 1958 ) est projeté. Il met en scène sur fond de révolte Mau-Mau, deux amis, un noir et un blanc. Selon la presse catholique, c’est « une œuvre forte qui pose avec conviction des problèmes de morale coloniale ». La répression et la destruction des cultures locales y sont évoquées. En Isère, le lycée de la Mûre organise des journées d’études avec la participation d’étudiants africains et asiatiques. Mais ces initiatives semblent très ponctuelles et dans certains établissements, rien n’est fait. En Ardèche, les rapports ne mentionnent aucune information sur le Tiers Monde à la fin des années 50. Il paraît donc évident qu’en ce qui concerne l’Afrique en particulier, ce qui est fait dans les écoles n’est pas assez systématique pour contrebalancer l’image que les jeunes peuvent avoir à travers d’autres sources d’information et particulièrement le cinéma commercial 36 .

Nous trouvons dans les archives départementales quelques traces des actions de solidarité menées par des établissements scolaires. Celles qui concernent les autres continents sont très minoritaires jusqu’au début des années 60. La plupart sont destinées à remédier aux problèmes sociaux en France : lutte contre la tuberculose, interventions dans des maisons de vieillards, pupilles de l’Ecole publique…Le Lycée Jules Ferry de Chambéry, en 1961-62, organise une collecte d’argent pour les pays pauvres, alors qu’il pilotait neuf actions se passant en France. Dans les écoles primaires isolées, les instituteurs ont encore plus de difficultés à organiser une action. Quand elles concernent les autres continents, elles sont souvent liées à une campagne nationale et ponctuelles. Les appels à la générosité en cas de catastrophes naturelles en sont l’exemple-type. Elles sont essentiellement caritatives et à cause de cela, elles contribueront beaucoup à développer une vision misérabiliste de l’Afrique.

Quelques exemples : en 1949, les établissements du département de la Savoie sont sollicités pour prendre en charge des écoles du département de Constantine 37 . L’envoi de matériel scolaire, de vêtements, de nourriture a pour but de faire reculer la misère. Des tentatives de correspondance scolaire ont été faites également, sans que nous ayons d’informations sur les bénéfices pédagogiques de ces expériences. En 1949, les caisses de solidarité des écoles alimentées par les familles et qui servent à des secours ponctuels pour des enfants qui connaissent des difficultés matérielles ici, sont sollicitées par l’Aide mondiale à l’enfance qui crée des centres en France et dans les pays d’Outre-Mer. Les villages internationaux d’enfants sont parfois aidés par les écoles et sont relativement souvent mentionnés dans les bulletins des associations de parents d’élèves. En juillet 1955, ils font l’objet d’un article dans « L’école des parents pour Chambéry et la Savoie » ; une conférence est également prévue sur ce thème. En 1961, un village est organisé à la Motte Servolex près de Chambéry. Mais ces structures concernent peu les enfants africains.

Notes
36.

cf. ANNEXE 10 : « Cinéma et Afrique Noire en Savoie ».

37.

Archives départementales de Savoie.