Le témoignage d’une institutrice savoyarde est très éclairant. Elle a derrière elle plusieurs générations de maîtres et elle-même commence sa carrière à cette époque. Elle évoque plusieurs instituteurs de son entourage familial, très engagés dans l’action syndicale et mutualiste, qui se révèlent très modérés voire conservateurs sur le problème de la colonisation. Ils apprécient la politique coloniale de la France dans les domaines de la santé et surtout de l’éducation : des générations d’instituteurs se sont battus pour faire progresser l’instruction depuis le XIX° siècle, ils reconnaissent à la colonisation le mérite d’avoir construit des écoles. Ils n’évaluent pas bien les changements du monde avec la guerre, sont mal informés sur la situation dans les colonies, la profondeur des résistances et la force de la volonté d’autonomie des peuples colonisés, qui dépasse largement les cercles restreints d’avant-guerre. L’idée de la grandeur de la France, grâce à son empire, reste une idée forte. Un autre témoignage va dans le même sens : il concerne un « instituteur Freinet », très anti-militariste et tenant néanmoins « un discours assez colonialiste » 42 .
En effet, si dès le XIX° siècle, l’anticolonialisme se rencontre déjà chez quelques intellectuels et universitaires, il est minoritaire. Le mouvement socialiste dans lequel se retrouvait un certain nombre d’enseignants avait été souvent embarrassé par le problème colonial. Les sociétés africaines par exemple présentaient un caractère archaïque et religieux qui le déroutait et les colonies paraissaient utiles à la prospérité économique donc au niveau de vie des travailleurs. Cette génération d’enseignants, formés à l’apogée de l’Empire colonial, n’est pas forcément non plus, exempte de tout préjugé. En outre, après la guerre, la peur du communisme ou au contraire de la puissance américaine justifie à leurs yeux le maintien de la colonisation : si la France abandonne ses colonies, elles vont être colonisées par d’autres. Mais ils dénoncent cependant certains excès de la colonisation et sont ouverts aux idées de réformes décidées par la France et dans le cadre français. Un ministre du Front Populaire avait déjà, avant la guerre, constaté qu’on voulait se réserver « le droit de définir les voies du bonheur ». C’est encore en partie vrai à cette époque.
Témoignage d’une enseignante.