Des prises de position plus radicales avec la guerre d’Algérie

La guerre d’Algérie fait donc glisser les étudiants sur le terrain politique. A Grenoble, l’AGEG ( Association générale des étudiants de Grenoble ) suit l’orientation nationale. Elle ne peut s’en tenir au purement « corporatif », alors que les évènements d’Algérie sont la préoccupation majeure des étudiants. Outre la défense de valeurs auxquelles les étudiants croient, la menace qui pèse bientôt sur les sursis, en entraîne beaucoup dans l’action. Les prises de position et les manifestations se multiplieront à partir de 1958 et prendront une particulière ampleur au moment des grands évènements qui ponctuent la guerre d’Algérie à partir du début des années 60.

Les entretiens avec des anciens étudiants d’Histoire de Grenoble ( maintenant professeurs-retraités ), témoignent de la place que la décolonisation, et tout particulièrement la guerre d’Algérie, a prise dans leur vie. Elles ont été, pour beaucoup, une expériencedéterminanteet un moment fort de leur formation de citoyen, « moment que l’on revit chaque année quand on enseigne en Terminales ». « La décolonisation de l’Afrique m’a passionnée, c’était une grande espérance qui s’accordait bien avec ma jeunesse et ses idéaux » 58 . Beaucoup d’étudiants ont mal vécu les atteintes à la liberté d’expression et les violations des droits de l’Homme : la torture dénoncée par le livre de Henri Alleg, les disparitions en Algérie, les attentats de l’O.A.S. Ils supportaient mal aussi l’impéritie du gouvernement qui aurait pu éviter les affrontements en faisant à temps les réformes nécessaires. Ils décrivent les trains de jeunes soldats rentrant accablés et épuisés, le retour des rapatriés ne comprenant pas très bien ce qui leur arrivait. Ils s’inquiétaient aussi pour leur situation personnelle et ils craignaient de devoir interrompre leurs études pour aller faire en Algérie une guerre qui n’était pas la leur. Mais c’est aussi la joie des accords d’Evian et du retour à la paix.

A la fin des années 50 et au début des années 60, les points de vue évoluent sur les questions coloniales. Le mouvement étudiant commence par réclamer la paix en Algérie, une paix négociée mais sans prendre parti, ni sur les interlocuteurs possibles ni sur l’éventualité de l’indépendance. Ses positions se radicalisent, d’après D. Fischer, sous l’effet de trois facteurs : le durcissement de la politique de G. Mollet, président du Conseil, après son voyage à Alger en 1956, l’arrivée au pouvoir du général de Gaulle, en 1958, dans des conditions qui créent des inquiétudes pour la démocratie ( à Grenoble, les étudiants entendent défendre « la légalité républicaine » ) et la décision de supprimer les reports d’incorporation en 1959. Les étudiants bénéficiaient de ce report, après 25 ans, pour préparer une thèse ou achever un cycle universitaire. Cette mesure est prise, officiellement dans un souci de plus grande égalité devant le service national, en réalité parce qu’on a besoin de soldats en Algérie. Les positions évoluent donc et rejoignent celles de la majorité des enseignants.

Une motion de l’AGEG, datée du 26 novembre 1960 les résume bien, malgré les maladresses de la rédaction 59 . Elle dénonce les injustices de la colonisation, qui ont poussé les Algériens à la révolte. La guerre qui est menée actuellement ne peut pas régler les problèmes, elle doit donc être arrêtée car elle pèse lourdement sur la vie de la France et de l’Algérie, donne lieu à des violations des droits des gens dans les deux camps, crée un drame de conscience dans la jeunesse française, présente des risques d’internationalisation et des menaces pour la démocratie. Elle est, en outre, en contradiction avec la politique d’émancipation que la France a acceptée ailleurs. Il faut donc négocier avec le FLN sur les conditions d’un cessez-le-feu et reconnaître le droit à l’autodétermination, en préservant ceux des Européens d’Algérie et des travailleurs algériens en France et pour créer une coopération entre les deux pays. Elle rappelle ensuite que « le mouvement en faveur de la paix négociée » est en train de prendre de l’ampleur et souhaite la constitution d’un front commun pour la paix. Elle annonce aussi les actions que l’AGEG va mener : information sur le problème algérien, manifestation « unitaire », organisation d’une « journée des jeunes en faveur de la paix » au niveau du département de l’Isère… Elle envisage même une grève générale au niveau national. D’autres textes retrouvés dans les archives insistent sur les violations des droits. Les étudiants se reconnaissent le droit de porter des jugements sur les décisions gouvernementales dans la mesure où elles remettent en cause de grands principes comme la liberté, la tolérance, le refus de la torture. L’AGEG dénonce le « déchaînement de racisme incompatible avec les traditions de tolérance de notre pays » lors de la manifestation organisée par le FLN à Paris en octobre 1961, les mesures discriminatoires et la répression dont sont victimes les Algériens de France et les Français qui luttent pour la paix.

Notes
58.

Cf. enquête auprès de la Régionale des professeurs da l’A.P.H.G.

59.

Cf. DOCUMENT 2 : Motion de l’AGEG, 26 novembre 1960.