Comment ces mouvements étudiants sont-ils perçus ?

Ils sont suivis de près par les Renseignements Généraux mais ils ne semblent pas beaucoup les inquiéter car ils ne donnent généralement pas lieu à des débordements. Selon des rapports, « en 1960, aucune manifestation n’a troublé l’ordre public ». En 1961, on signale quelques affrontements entre slogans « Algérie française » et « OAS assassins », avec « des échanges de horions entre étudiants adverses ». La police rétablit l’ordre, apparemment, sans trop de difficultés. Les rapports des RG se contentent de recommander d’encourager la tendance « corporatiste » de l’AGEG. Néanmoins, l’action menée accroît les tensions avec le gouvernement qui supprimera les subventions de l’UNEF.

L’action de l’AGEG rencontre une opposition parmi les étudiants, qui peut prendre des formes variées. Opposition, comme dans le monde enseignant, sur les stratégies à mettre en œuvre. Par exemple, sur la notion « d’interlocuteurs valables », l’Institut polytechnique, se désolidarise d’une action parce que des négociations avec le seul GPRA lui paraissent être une erreur. L’opposition peut également être due à un refus de la politisation de l’AGEG ou à une hostilité à l’émancipation de l’Algérie, ces deux dernières positions étant souvent étroitement imbriquées, comme au moment de la scission de l’UNEF, en 1962. En 1960, les RG signalent que des tracts et des affichettes signés par « la maison des étudiants nationaux » circulent à Grenoble. Le slogan est « Algérie algérienne = chômage, Algérie française = prospérité ». Un « comité universitaire contre l’abandon » jette des tracts devant le siège de l’AGEG. On lui attribue aussi des inscriptions à la peinture sur les murs du local qui le discréditent dans le milieu étudiant. En 1961, un « comité de liaison et d’information des étudiants de France » envoie une lettre ouverte sous forme de tract au président de l’AGEG où on lui reproche d’avoir co-signé, avec des partis comme le PSU et le PC, un appel en faveur de la journée anti-colonialiste de février 1961. D’autres tracts protestent contre la condamnation de l’action de la France en Algérie et de ses soldats et l’un d’entre eux conclut que «  l’AGEG déshonore le monde étudiant ». En décembre 1961, une manifestation « Algérie française » a lieu à Grenoble. Cette opposition semble assez inorganisée. Elle ne se manifeste jamais lors des réunions de l’AGEG. Seules des positions corporatistes s’y expriment : on demande que le syndicat reste apolitique, conformément à ses statuts, pour « éviter des dérives comme à Lyon », où le secrétaire de l’UNEF a été arrêté pour son aide au FLN. Mais elle prendra de l’ampleur puisqu’en 1962, elle provoque une scission dans l’UNEF et donne naissance à un mouvement étudiant antagoniste qui prend le nom de FNEF ( Fédération nationale des étudiants de France), FGEG à Grenoble.

La FGEG est le regroupement de différents comités d’étudiants en Droit, en Sciences, de l’Institut des études commerciales, d’Architecture et de Pharmacie. Elle est soutenue par le gouvernement et s’oppose à la ligne de l’UNEF. Elle se prononce officiellement pour l’apolitisme et critique les prises de position politiques déjà anciennes de l’AGEG. Elle cite pêle-mêle la bombe atomique, l’éclatement de la fédération du Mali, les guerres en Afrique, l’influence américaine en Corée et à Formose…et la guerre d’Algérie. L’UNEF est devenue « la force de frappe de partis politiques ». La FGEG veut au contraire s’occuper des questions matérielles qui intéressent les étudiants ( bourses, logements, restau U, et aussi des sursis ) et développer les relations Université-économie. Elle crée un comité d’accueil pour les étudiants rapatriés, qui sont nombreux dans ses rangs ( il est probable que leur arrivée a fortement dynamisé l’opposition étudiante ). Elle essaie, en se situant sur des positions apolitiques de rassembler les étudiants qui se tiennent à l’écart des activités politiques ( la majorité pour les RG ) et qui sont inscrits à l’AGEG à cause des facilités que donne la carte. La FGEG est cependant mentionnée, dans les rapports des renseignements généraux, comme étant « relativement à droite » et « anticommuniste » ( en 1966, d’ailleurs, son président est issu d’un mouvement d’extrème-droite ). Selon les RG, elle n’a qu’une faible influence : peu d’adhérents, des réunions qui ont peu de succès et drainent un très petit nombre d’étudiants. L’AGEG élève des protestations contre la formation de la FGEG et son soi-disant apolitisme. Elle l’accuse de prendre la responsabilité d’affaiblir le syndicalisme étudiant, alors que ses membres auraient pu se manifester à l’intérieur du syndicat.