Il était intéressant de se demander si la présence et l’action des étudiants africains avaient eu une influence à l’Université de Grenoble. Pour le début des années 60, les archives départementales nous fournissent des informations relativement riches sur les étudiants d’Afrique Noire. La plupart d’entre eux se regroupaient dans la FEANF ( fédération des étudiants d’Afrique Noire ). Leurs activités sont très surveillées par les RG qui s’inquiètent de leur mobilité qui les rend difficiles à contrôler. Les autorités souhaitent aussi faire plaisir aux nouveaux gouvernements africains, car ces étudiants sont souvent des opposants et elles craignent leurs prises de position sur la guerre d’Algérie et les évènements d’Afrique Noire. Par exemple, lors des congrès de leur organisation, le directeur des RG demandent un rapport au commissaire principal de Grenoble. Mais la FEANF ne semble pas avoir beaucoup de contacts avec l’AGEG et les étudiants métropolitains.
Ces rapports mentionnent l’organisation d’activités culturelles dont le but est de faire connaître l’Afrique Noire et d’alimenter les caisses de la FEANF. De 1960 à 1963, chaque année, a lieu une semaine culturelle en présence du Recteur, avec des chants et des danses, des expositions d’art africain, des soirées dansantes, et aussi des conférences sur les perspectives d’avenir du continent. Selon les RG, l’audience est peu importante auprès des autres étudiants et du public et ces activités n’ont aucun caractère politique inquiétant. Le Dauphiné Libéré donne un autre éclairage, avec cette phrase qui montre que l’Afrique Noire est toujours considérée sous un angle folklorique : « Les Européens sont sensibles aux charmes des nuits africaines ».
Les étudiants africains se manifestent aussi sur le plan politique. Un rapport national des RG transmis à Grenoble, en 1961, analyse leurs positions. La F.E.A.N.F. défend les libertés démocratiques, demande une indépendance réelle et totale de leur pays, par conséquent se prononce contre la Communauté. Beaucoup ont placé leurs espoirs dans le socialisme mais sont déçus par les démocraties populaires. Les autorités surveillent leurs activités politiques et signalent à certaines époques des réunions fréquentes, des tracts, des « prises de position bruyantes », des manifestations. En 1960, par exemple, à l’occasion de la mort de P. Lumumba, qu’ils considèrent comme un héros de l’indépendance et de l’unité africaine, ils décident un deuil, ne participent à aucune activité récréative et annulent des représentations théâtrales qu’ils devaient donner. En 1961-62, ils prennent position contre la guerre d’Algérie par une grève de la faim et une grève des cours en signe de solidarité avec « les détenus musulmans et le peuple algérien en lutte pour sa liberté ». En 1963, une « journée anti-colonialiste » est organisée avec un débat sur le néo-colonialisme et la projection d’un film de J.Rouch, « La pyramide humaine ». Plusieurs associations étudiantes se regroupent sur ce projet : L’Association des étudiants musulmans nord-africains, l’Union générale des étudiants tunisiens, l’Union nationale des étudiants marocains, l’UGEMA et la FEANF. Certains de leurs dirigeants font aussi l’objet d’enquêtes personnelles et de fiches : « M.X…opportuniste, intelligent, peu travailleur ». Mais aucun ne paraît avoir attiré spécialement l’attention des autorités françaises, qui ne semblent pas beaucoup s’inquiéter de leurs activités.
D’ailleurs ces activités se réduisent à partir de 1962. Un rapport dont l’origine n’est pas claire, essaie d’en analyser les raisons 61 . Leurs pays d’origine ont obtenu leur indépendance, les accords d’Evian, qui mettent fin à la guerre d’Algérie, détendent leurs relations avec la France. Ils sentent, en outre, que leur organisation est souvent coupée de ses bases africaines. La comparaison entre leur vie en France, et celle qu’ils auraient chez eux se fait souvent au bénéfice de la France. Cela enlève des bases à leur action. En outre, leurs gouvernements mettent sur pied une efficace reprise en mains. De nouvelles associations, contrôlées, remplacent les anciennes. En Côte d’Ivoire, l’UGECI est dissoute au profit de l’UNECI, de tendance gouvernementale. La même évolution est visible pour le Mali, le Sénégal, la Guinée, Madagascar…
Archives départementales de l’Isère.