Quelques points sensibles

Les questions internationales apparaissent d’abord sous un angle très général, celui de la nécessité de la compréhension internationale, au même titre que la liberté ou la paix. Les instituteurs ont toujours défendu des idéaux humanistes, qu’ils estiment devoir transmettre à leurs élèves. C’est une de leurs missions d’éducateurs. C’est par exemple l’objectif d’une motion préparée par le secrétaire départemental de la Savoie :

‘«  Les instituteurs français, conscients de la gravité de la situation internationale (…) adressent un appel pressant aux peuples du monde entier, demandent instamment aux gouvernements (…) d’accomplir des gestes d’apaisement susceptibles de créer ce climat ( de paix ), aux éducateurs de tous les pays d’entreprendre un travail d’information objective qui mette en garde les peuples contre la propagande… »’

Des problèmes plus précis concernant l’Outre-Mer sont également abordés, en particulier l’insuffisance de la scolarisation des enfants. C’est une question évoquée très régulièrement lors des congrès nationaux par les instituteurs d’Algérie et que le bulletin local relève. A la suite du Congrès de Pau en 1953, des statistiques sont publiées. Seulement 20% des enfants arabes sont scolarisés au Maghreb, 4,2% en AOF ( contre 2,4% en 1938 ) et 8,3 % en AEF. Le maximum est atteint au Cameroun avec 23%. Les classes sont en outre surpeuplées en ville. Ces chiffres choquent les instituteurs qui parlent de « situation scandaleuse », de « discrimination raciale » et même de « sabotage » de la scolarisation. Parce qu’ils voient dans l’instruction un facteur de libération de l’homme, les maîtres ont un rôle écrasant à jouer dans les DOM-TOM : ils doivent préparer les populations au rôle social et économique qui leur incombe et leur permettre de réaliser leur émancipation. L’instruction est aussi un moyen de « faire aimer la France ». L’avenir de l’enseignement outre-mer se situe donc dans le cadre français à condition que l’égalité soit établie entre les communautés On est encore bien loin, à cette époque, de la revendication d’indépendance. Le SNI croit à une possibilité d’émancipation à l’intérieur de l’Union Française.

Ce combat se croise aussi avec celui que les instituteurs mènent pour la défense de la laïcité. Au lieu de développer l’école publique dans les territoires d’Outre-Mer, le gouvernement subventionne les écoles privées en France, rétribue les maîtres des écoles coraniques en Afrique et encourage les écoles missionnaires. En AOF, l’enseignement officiel et les missions religieuses se partagent les enfants scolarisés à peu près à égalité. Mais au Cameroun, l’enseignement public compte 213 écoles avec 28.594 élèves contre 1213 écoles des missions avec 115.615 élèves. Selon le SNI, les administrateurs semblent encourager les écoles des missions « pour pallier l’impuissance des pouvoirs publics » et « pour servir les intérêts impérialistes, en retardant l’émancipation des autochtones ». Cette inquiétude est corroborée par une déclaration de l’administrateur en chef de la France d’Outre-Mer en 1953 :

‘«  Sans doute une telle réforme ( l’accroissement du nombre de maîtres du public) exigerait-elle des crédits importants si elle devait être prise en mains par les services officiels de l’enseignement., mais s’agissant d’une institution à la mesure de la brousse africaine, il suffirait d’utiliser les cadres existants, de faciliter par exemple, les efforts des missions dont les réseaux de moniteurs, à l’instruction sommaire mais adaptée aux besoins du peuple, permettraient d’inculquer des règles de vocabulaire, de calcul, d’hygiène ».’

Aux yeux des instituteurs , cela signifie, une démission des pouvoirs publics, un encouragement aux missions religieuses et un enseignement au rabais avec des maîtres mal formés. Le Congrès de Pau, en 1953, ; ébauche donc un projet de réforme pour l’enseignement outre-mer…projet assez vague dont le but serait de faire de l’enfant un homme libre, de faire reculer l’oppression coloniale, le racisme, les croyances fétichistes, le pluralisme scolaire. Le problème de la langue de base est également abordé. Un des axes importants serait le recrutement des maîtres pour l’Afrique. Le SNI dénonce les conditions insuffisantes qui sont proposées aux candidats et qui ne sont pas de nature à encourager les départs. Mais en même temps il fait appel à la conscience de ses adhérents : « La Tunisie a besoin de collègues décidés pour remplir une tâche délicate ».

Les instituteurs croient aussi en un avenir de l’Union Française. Mais des réformes seront indispensables dans le domaine politique, social et économique. « Elles peuvent se faire dans le cadre de l’Union Française…mais il faut renoncer à toute tentative impérialiste ». « L’Union française ne peut être fondée que sur la libre coopération entre les peuples, en dehors de toute idée de nation suzeraine ». Les instituteurs ont un rôle à jouer dans ce domaine. « C’est à eux qu’il appartient de réaliser la véritable Union Française et non aux gouverneurs de territoires et aux préfets ». La possibilité d’une évolution vers l’indépendance totale n’est donc pas envisagée. Le SNI parle d’émancipation, mais elle se réalisera à l’intérieur d’une Union Française rénovée.

Les évènements graves qui s’y déroulent comme la guerre d’Indochine ( qui est appelée guerre du Viet Nam ) sont évoqués aussi, mais plus dans le cadre des relations est-ouest que de l’Union Française. L’inquiétude croît devant la dégradation des rapports est-ouest, surtout depuis 1951 et les débuts de la guerre de Corée. Le SNI, unanimement, appuie tout ce qui va dans le sens de la paix, par exemple il soutient les dockers qui ont refusé d’embarquer du matériel militaire, il appelle les instituteurs à faire campagne contre la guerre, il vote une motion au congrès de Nancy qui dénonce la guerre et la politique impérialiste du gouvernement.