Par la suite, une présence constante de la guerre d’Algérie

C’est un sujet de réflexion lors de toutes les réunions nationaleset elle est abordée dans tous les bulletins départementaux. Le Congrès de Grenoble, en 1956, sera dominé par ce drame. Le syndicat essaie de faire appliquer les directives de la motion votée au Congrès de Bordeaux. Il dénonce la montée de la violence et de la répression contre tous ceux qui souhaitent une paix négociée. Il rappelle souvent la misère et la nécessité de réformes. Mais si les violations des droits de l’Homme sont souvent mentionnées, il est étonnant que la torture ne soit pas dénoncée avec plus d’énergie alors qu’elle est connue depuis la bataille d’Alger, en 1957. Il n’est pas question non plus de l’indignation créée par la disparition de M. Audin ( professeur de mathématiques à Alger ). L’explication réside sans doute dans le fait, que le gouvernement de G. Mollet a minimisé ces faits : par exemple, une enquête officielle a conclu à l’inexistence de la torture. Le SNI essaie aussi d’obtenir qu’une partie des instituteurs, au moins, échappe à l’incorporation. Plus rarement, apparaît l’idée que l’avenir est dans la formation de grands ensembles où les pays accepteraient le principe de la supra-nationalité. La constitution d’une Eurafrique pourrait être alors une œuvre de paix.

Mais les prises de position ne sont pas toujours claires ni bien accueillies par tous les militants. Les questions d’Outre-Mer, intégrées dans les affrontements est-ouest sont la principale source des divisions internesdu syndicat. Un certain malaise s’installe. Les affrontements sont souvent vifs aux congrès nationaux mais ils le sont aussi au niveau local. L’opposition des générations se manifeste entre les « anciens » et un groupe de « jeunes » qui semble jouir d’une certaine autonomie et qui critique la tiédeur de dirigeants trop axés sur les questions corporatistes, ne prenant pas assez en compte les questions d’Outre-Mer et adoptant des positions moyennes pour susciter l’adhésion du plus grand nombre. Il s’y ajoute des divergences dans les tendances politiques. La majorité du SNI, proche de la SFIO ( beaucoup d’instituteurs en sont d’ailleurs membres ) est fragilisée par la manière dont le gouvernement de G. Mollet gère le conflit algérien. Les minoritaires, « cégétistes » proches du PC et « Ecole émancipée » estiment ses prises de position et ses actions insuffisantes en ce qui concerne l’Algérie et Suez et attendent d’elle des condamnations plus fermes des guerres coloniales et de la politique des gouvernements. Certains pensent même qu’il est trop tard dorénavant pour « accomplir des réformes au nom de la France » ; c’est le cas d’un algérien musulman qui siège au bureau national. Les minoritaires accusent aussi la majorité de « ne pas vouloir faire de peine à G. Mollet » et, en prônant l’alliance occidentale, de cautionner « l’entreprise impérialiste des Etats-Unis » et la corruption engendrée par les guerres coloniales. Inversement la majorité du SNI attaque la politique incohérente du PC. A l’autre extrémité, des groupes très minoritaires venus d’Algérie surtout, défendent la colonisation. Ils ont l’impression de participer, par leur métier, au progrès de l’Algérie et ne se considèrent pas comme des colonisateurs : à un congrès ils tenteront de faire voter une motion en ce sens. Elle recueille 12 voix sur 1792 « dans un silence glacial ». La question, toujours épineuse des rapports entre syndicats et partis politiques, est donc posée. Le SNI a toujours revendiqué son indépendance par rapport aux partis. La Charte d’Amiens, en 1906, stipule que le syndiqué a le droit d’appartenir à une formation politique mais il ne peut pas introduire dans son syndicat, les opinions qu'il professe ailleurs. Mais la position est parfois difficile à tenir notamment lors des évènements de mai 58. Le syndicat participe massivement aux grèves au nom des « libertés républicaines » et se positionne pour le non à la constitution mais laisse à ses adhérents la liberté de se déterminer…position qui provoque des protestations dans les deux sens.

Après l’arrivée au pouvoir du général de Gaulle, les débats continuent dans les sections syndicales mais on réaffirme avec de plus en plus de force la nécessité d’arrêter la guerre. Elle accapare les ressources et accroît la misère de la population, elle met en péril les libertés démocratiques et ne peut avoir aucune issue militaire, elle crée un fossé entre Français et Algériens qui empêchera toute coopération future, elle propose un avenir sombre aux jeunes Français : « il est intolérable que la jeunesse sur laquelle pèse le plus lourdement le conflit algérien (…) n’ait d’autre avenir que la guerre et les drames de conscience qu’elle impose ». Mais pour les solutions, des divisions internes persistent sur la question du referendum sur l’autodétermination. Quelle consigne donner aux adhérents ? Finalement, aucune consigne précise n’est donnée en vertu de la liberté des choix politiques personnels. La notion d’« interlocuteurs valables » ne fait pas non plus l’unanimité : le GPRA seulement pour les communistes, tous les partis pour la majorité. En 1961, au Congrès de Paris, les querelles de tendance s’exaspèrent encore. D. Forestier, le Secrétaire général, soutenu par la section de Savoie, est accusé d’anticommunisme. Un secrétaire du SNI-Savoie conclut avec amertume que « la guerre d’Algérie pourrit tout ». La dénonciation du putsch et des attentats de l’OAS resserrent l’unité. En 1961, on commence seulement à parler d’indépendance mais une indépendance dont les liens avec la France sont encore mal définis.

Si les discussions paraissent vives, en revanche les actions ne semblent pas très nombreuses. Le bulletin départemental en cite peu et elles n’ont laissé aucune trace dans les archives ( il n’existe pas pour la Savoie l’équivalent des rapports des renseignements généraux sur les mouvements d’agitation à Grenoble 63 ). En outre, si quelques actions ont pu être retrouvées grâce à des entretiens, il est difficile d’ évaluer dans quelle mesure elles étaient suivies. Les actions initiées par le SNI départemental ont plusieurs objectifs. Ce sont d’abord des actions de soutien à des collègues menacés de répression. En 1956, des instituteurs ont été incarcérés et condamnés parce qu’ils avaient manifesté en faveur d’un cessez le feu. En 1961, la caisse de solidarité de Savoie apporte une aide financière à un instituteur du Rhône, originaire de Savoie, interné sous l’inculpation d’aide au FLN. On se mobilise aussi pour des instituteurs d’Afrique du Nord emprisonnés. La solidarité consiste aussi à appuyer des mouvements d’autres syndicats, comme à Notre Dame de Briançon, quand des ouvriers ont tenté d’empêcher le rappel des disponibles. On montre également sa vigilance toutes les fois que des évènements mettant en péril les libertés se produisent en Algérie : les instituteurs s’élèvent contre l’insurrection des barricades en janvier 1960, contre le putsch des généraux en avril 1961, les attentats de l’OAS, en 1961-1962.En décembre 1961, par exemple, une grève d’un quart d’heure est décrétée pour protester contre les attentats de l’OAS et pour la paix en Algérie. Dans l’Académie de Grenoble, elle est prolongée d’une heure parce qu’un professeur de Valence avait reçu des menaces de l’OAS. Les instituteurs protestent aussi contre « l’impunité » de l’OAS et la clémence des juges. Mais on s’étonne de ne trouver aucune mention de certaines actions nationales de grande ampleur, par exemple, en février 1962, la grève le jour de l’enterrement des victimes du métro Charonne, ni de protestation contre la répression de la manifestation des Algériens en octobre 1961. Aucune réaction non plus, en apparence, à l’assassinat du maire d’Evian.

Notes
63.

Cf. plus haut : « Des enseignants et des étudiants interpellés par la décolonisation ».