Les programmes enseignés après la guerre étaient particulièrement « européo-centrés ». L’Afrique y avait une part faible. Appliqués à partir de la rentrée de 1962, les nouveaux programmes constituent un pas en avant considérable. Ils sont le résultat d’une réflexion sur le monde avec une vision plus globale de la planète et également sur les contenus de l’enseignement : que faut-il enseigner ? De quelle formation a besoin le futur citoyen ? La connaissance des autres continents y prend donc une place plus importante. Le libellé du programme d’histoire montre que l’étude des civilisations occupe deux trimestres sur trois. Même si le premier trimestre est le plus long et même si l’étude du monde occidental risque d’occuper une place privilégiée, les civilisations du Tiers Monde sont présentes pour la première fois et occupent un trimestre. En géographie, 7 pays du Tiers Monde ( dont 2 en Afrique ) sont au programme sur 16 au total. Le Tiers Monde est présent aussi dans les autres rubriques du programme, dans « Les grands problèmes » avec notamment l’émancipation des pays coloniaux, les inégalités du développement, les poussées démographiques. Il est présent aussi dans la troisième partie sur « les fondements techniques de la vie économique » dans l’étude de beaucoup de produits et dans les grands courants de circulation.
L’intérêt pour l’étude des civilisations constitue donc un tournant : on reconnaît officiellement, pour l’Afrique Noire en particulier, que ces civilisations originales méritent d’être étudiées et qu’il est important que les élèves comprennent que le monde occidental n’est pas le seul dépositaire de la Civilisation. Il faut cependant faire remarquer que le monde africain noir n’est pas présenté exactement de la même manière que les autres. Le libellé du programme insiste davantage sur les « traditions et coutumes » ( avec le risque de la folklorisation ) et ne fait aucune distinction entre les cultures africaines, donnant l’impression d’une culture unique. L’histoire avant l’arrivée des Européens n’est pas vraiment mentionnée non plus. Par contre l’histoire des indépendances y a une place.
Le programme étudie les pays, continent par continent. Les indépendances ont donc fait éclater les cadres habituels qui regroupaient les métropoles et leurs colonies. Même si le terme n’apparaît pas dans le libellé, le programme introduit le Tiers Monde en tant que tel, un nouveau groupe de pays liés par des orientations politiques depuis la conférence de Bandoung et par des problèmes communs. En parlant des inégalités de développement, de la poussée démographique…, on donne une sorte d’unité au Tiers Monde, qui permet de faire mieux émerger les dysfonctionnements en les plaçant dans un cadre plus général. En insistant sur la coopération internationale, on montre aux jeunes que ces problèmes sont mondiaux et doivent être pris en charge au niveau mondial. Mais bien que la rédaction d’un programme ne puisse aller jusque dans le détail, il faut constater que les textes officiels ne donnent aucune indication précise sur l’analyse des causes du « sous-développement ».
Cette rénovation des programmes s’accompagne d’un changement de ton dans les manuels, visible mais inégal selon les éditeurs. Sans rentrer dans une analyse détaillée qui a été faite ailleurs, il est visible que l’Afrique occupe une place plus importante qu’avant, entre 2 et 8% dans la plupart des manuels et 13% dans celui de J. Ki Zerbo 66 . Quelques stéréotypes persistent ( le Noir passif et incapable, le sauvage qui assassine les blancs avec la révolte des Mau-Mau ) mais ils ont tendance à s’effacer et les civilisations africaines deviennent des civilisations respectables, originales qui méritent d’être étudiées ( on insiste sur la qualité de la littérature francophone ) mais l’idée que ces pays devront évoluer vers le modèle occidental reste très présente. Par contre, J. Ki Zerbo 67 revalorise les sociétés et les cultures africaines en montrant leurs raisons d’être mais il parle aussi des difficultés pour les africains à évoluer, entre deux cultures. Il fait une place importante au passé ancien de l’Afrique, aux résistances lors de la colonisation et à l’évolution contemporaine.
Il y a donc de grands changements dans la conception des programmes qui ont du s’adapter aux mutations politiques et économiques. Mais ils appellent quelques réserves.
L’ampleur même du programme, ses ambitions, l’impossibilité, dans une classe d’examen de faire des choix, laissent un peu dubitatifs sur la possibilité de tirer parti au maximum de ces nouveautés dans la formation des futurs bacheliers.
S.LEWANDOVSKI, Op. cité
J.KI ZERBO : Le monde africain noir ( Fascicule Hatier, 1963 ).