La participation à des actions de solidarité

A partir des années 60, il paraît de plus en plus nécessaire, au niveau officiel, de ne pas se contenter de faire passer auprès des jeunes une information et une morale théorique mais de développer aussi une solidarité active, de pousser les écoles à agir. Cela va dans le sens de la politique de coopération déjà mentionnée. En Algérie par exemple, pendant et après la décolonisation, le gouvernement souhaite donner à la France un visage plus humain et rallier des populations usées par la guerre. Les efforts du Ministère s’intensifient donc. Il encourage quelques actions ponctuelles et localisées mais aussi la participation à des campagnes de plus grande envergure. A la fin des années 50, le Ministère attire l’attention sur une association intitulée « Les Etrennes fraternelles du bled » qui distribue aux jeunes d’Algérie des cadeaux utiles mais aussi des jouets, des jeux sportifs, des friandises. Les écoles sont appelés à participer à cette collecte. En 1959, une circulaire lance les parrainages des écoles d’Algérie 74 . Elle fait appel aux écoles françaises pour prendre en charge ces parrainages destinés à soulager la misère et donner « l’impression d’une compréhension agissante » ( 539 établissements ont répondu à cet appel ). Le ton a changé. On parle moins des bienfaits de la colonisation que de l’état critique des enfants algériens qui «  souffrent d’une santé précaire dans les régions les plus déshéritées ». Les écoles doivent donc soutenir les efforts du gouvernement qui, de son côté, a développé les colonies de vacances et multiplié par six les crédits des cantines scolaires. En 1959 également, la France participe à la 1° Journée mondiale des Lépreux initiée par l’association de R. Follereau. L’Ecole est appelée à s’y investir 75 . On lui demande de lutter contre les idées reçues concernant la lèpre ( un mal spécifiquement africain ou asiatique, qui est contagieux ) et d’aider les efforts que la France fait contre ce fléau.

A partir de 1960, la France participe à une action de grande envergure : la campagne mondiale contre la faim. Cette opération a été lancée par un appel de la FAO au monde entier, dénonçant le drame de la faim. En France, un comité interministériel est crée, sous l’impulsion du général de Gaulle et du Premier Ministre M.Debré. Il est composé de représentants de tous les ministères concernés dont celui de l’Education Nationale. Les associations et organismes qui s’investissent sont regroupés en un « Comité français contre la faim », patronné par « les plus hautes autorités nationales », qui coordonne ces actions. Il est représenté dans les départements par des comités locaux sous la présidence du préfet. Un mensuel largement diffusé, Nations Solidaires, fournit des informations. Une documentation peut être envoyée pour animer la campagne. En 1961, l’Ecole est associée à la première campagne 76 . Par la suite, chaque année en mars, la même circulaire reparaît mais les textes de présentation sont de plus en plus courts sans doute parce que cette campagne est devenue une véritable institution. Les jeunes des écoles doivent y répondre parce que ce sont les jeunes du Tiers Monde qui sont les principales victimes. « La formation de la jeunesse ne serait pas complète si une information claire et courageuse ne lui était pas donnée sur la faim dans le monde et si elle n’était pas associée, de tout cœur, consciente du fléau, à la lutte entreprise pour le combattre » ( mars 1962 ). Les écoles et les enseignants sont donc sollicités pour faire de l’information en organisant entre autres des causeries et participer à des quêtes sur la voie publique ( avec l’autorisation des parents ) dont la presse locale rend compte et dont les archives conservent parfois quelques traces. L’argent rassemblé est destiné à des actions de développement proposées « clés en mains » par le Comité National et entre lesquelles on peut choisir celle qui paraît la plus intéressante. Des médailles sont distribuées aux comités les plus actifs. En Savoie, le Comité local contre la faim, sollicite beaucoup les établissements scolaires et les associations de parents d’élèves. C’est une des activités annuelles importantes des clubs UNESCO. La Savoie obtient à deux reprises une médaille du Comité National qui a été montrée dans les écoles en remerciement de leur participation. Ces initiatives sont très typiques de la manière dont se déroulaient, à cette époque, les actions de solidarité en milieu scolaire. On a l’impression qu’on ne sait rien faire d’autre, en direction du grand public, que de faire quêter les jeunes. Des enseignants se faisaient déjà une autre idée de la coopération avec les autres continents et de la formation civique de leurs élèves. Ils contribueront à faire évoluer les contenus vers une véritable « éducation au développement ».

Le Ministère essaie de faciliter les échanges entre la France et les pays de la Communauté. On favorise la venue d’étudiants et d’enseignants africains en France, pour une formation : en 1961, des stages sont organisés pour des instituteurs. Ils portent sur les nouvelles méthodes pédagogiques et sur les actions périscolaires. Aux archives départementales de l’Isère, un dossier est consacré à un échange entre les Ecoles Normales de Grenoble et de Monastir, en Tunisie ( 1964-65 ). Il contient la convention d’appariement rédigée en Français et en arabe et signée en 1964 :

‘« …Convaincus que l’Ecole d’aujourd’hui ne doit pas limiter son rôle à instruire et éduquer mais doit se préoccuper aussi de promouvoir des valeurs humaines et spirituelles et d’instaurer la compréhension et l’entente parmi les peuples (…) nous renouvelons l’engagement de conjuguer nos efforts en vue de créer entre nos deux écoles des liens fraternels, d’organiser entre elles des échanges sur les plans humain, pédagogique, culturel et de contribuer ainsi au développement d’une coopération plus féconde entre nos deux pays. »’

Par contre le dossier donne peu d’informations sur le contenu et la durée de ces échanges. Chaque année une vingtaine de normaliens de Monastir et des enseignants devaient venir passer quelques jours à Grenoble pour des stages et des visites et des grenoblois semblent être allés à Monastir. Cet échange avait un aspect protocolaire avec des réceptions officielles où venaient des personnalités importantes : le dossier contient des lettres d’invitation avec les réponses et des projets d’allocutions. Un de ces textes est révélateur de la conception qu’on pouvait avoir en France, à cette époque, de la coopération avec les anciennes colonies.

‘« La culture française a vocation universelle. Jamais nous n’avons cru pouvoir nous réserver exclusivement le bénéfice de nos valeurs culturelles. Toutes nos idées, nous avons cru devoir les offrir au monde…Notre génie a pu s’exprimer jadis dans des entreprises coloniales mais il apportait en même temps les germes de votre émancipation et c’est cela qui est finalement important parce que c’est le résultat le plus durable. Aujourd’hui nos rapports se sont clarifiés. La Francophonie constitue l’un des plus grands ensembles culturels, elle couvre les cinq continents, elle permet à ceux qui en font partie de ressentir des affinités plus profondes que celles qui ne reposent que sur le négoce. Un tiers des délégués à l’ONU utilise le français pour s’exprimer à la tribune de l’Assemblée Générale. Cela montre l’importance et le dynamisme de la culture française dans le monde. Cela montre aussi que la culture que nous vous avons apportée ne vous a pas paru oppressive mais qu’elle fait maintenant partie de votre patrimoine national. »’
Notes
74.

B.O.E.N. n°24 du 14/12/1959.

75.

B.O.E.N. n°2 du 26/1/1959.

76.

B.O.E.N. n°19 du 15/5/1961.