Une remise en cause des valeurs.

La décolonisation a ébranlé la société française surtout quand elle s’est faite dans un contexte de guerre et de violations du droit, comme en Algérie. Elle a entraîné chez certains un sentiment de culpabilité et l’envie de créer de nouvelles relations. La révélation de la misère attise encore ce sentiment : tant d’années de présence française, non seulement n’ont pas résolu les problèmes économiques mais les ont aggravés pour une partie sans doute importante de la population. C’est un choc pour un pays fier de ses valeurs et de sa démocratie. De là naît l’idée d’une sorte de devoir, de responsabilité à l’égard des pays africains que les entretiens avec les enseignants mettent souvent en lumière. De la lutte pour la décolonisation, beaucoup de militants passent à la lutte pour le développement. Les témoignages recueillis convergent : l’engagement humanitaire a été, à leurs yeux, la conséquence logique de leurs prises de position pendant la guerre d’Algérie.

Le reflux des grandes idéologies a aussi favorisé l’émergence du Tiers Mondisme. Pour certains, « le grand soir  a été rangé au magasin des accessoires » 81 . Pour des générations désenchantées de la politique, le Tiers Mondisme devient une nouvelle forme d’engagement au service des hommes. C’est l’itinéraire qu’ont suivi, à l’exemple de B.Kouchner, quelques anciens de l’Union des étudiants communistes. Des militants voient aussi l’avenir « dans le vent du Sud ». Faute de pouvoir faire évoluer la société française comme ils l’auraient souhaité, avec beaucoup d’angélisme, ils reportent leurs espoirs sur les sociétés du Tiers Monde qui peuvent être le terrain d’expériences novatrices et sur quelques uns de leurs grands leaders charismatiques. Certains s’engagent dans la coopération avec l’idée de participer à cette « grande aventure » 82 .

C’est aussi à cette époque que commencent à apparaître des groupes plus radicaux, qui s’éloignent des anciennes structures, partis politiques de gauche ou syndicats et se situent dans une démarche révolutionnaire. Ils se recrutent surtout parmi les étudiants et constituent une menace pour l’UNEF. Ils formeront, quelque temps plus tard, « les mouvements gauchistes ». Parmi eux, les « maoistes » jouent un rôle important. Selon D.Fisher 83 , pour certains d’entre eux, l’opposition pays capitalistes/ pays socialistes, devient secondaire, elle est remplacée par l’opposition « peuples du Tiers Monde exploités/ néocolonialistes oppresseurs ». Une dimension Tiers Monde est donc introduite. Malgré l’exemple de R.Debray qui va défendre le Tiers Monde sur le terrain, « ils sont peu nombreux à pousser aussi loin l’engagement ». La plupart, dit D. Fisher, « luttent pour la paix au Viet Nam, ont des posters de Che Guevara dans leur chambre, lisent F.Fanon et R.Dumont… ». Ils viendront sur le devant de la scène politique à la faveur des évènements de mai 68. Ces courants qui incluent le Tiers Monde dans leur réflexion amènent à se poser la question durôle de mai 68dans l’essor du Tiers Mondisme et dans la pénétration de l’Afrique notamment, à l’école.

Notes
81.

Revue Pour n° 100, février 1985.

82.

Témoignages d’enseignants.

83.

D.FISHER : L’histoire des étudiants en France de 1945 à nos jours , Flammarion, 2000.