Mai 68 se voit attribuer la responsabilité de beaucoup de changements positifs ou négatifs. En ce qui concerne l’ouverture sur les autres continents, beaucoup d’enseignants interrogés constatent qu’il y a eu, dans les années 70, un progrès dans la prise en compte du Tiers Monde par l’Ecole. Mais quand on leur demande d’expliquer ce tournant, très peu signalent d’emblée le mouvement de mai 68 et même si on le leur suggère, ils ne le retiennent généralement pas comme une explication déterminante. De même peu d’ouvrages ou de recherches consacrés à Mai 68 mettent vraiment en avant la dimension internationale. Les programmes scolaires, à cette époque, ne se sont pas non plus adaptés à de nouvelles perspectives comme en 1960. Il n’y aurait donc pas de filiation directe entre mai 68 et la pénétration de l’Afrique à l’Ecole. D’après un témoignage, Mai 68 a donc été « une occasion manquée, il y avait les éléments d’un dynamisme en faveur du Tiers Monde, des idées dont on aurait pu s’emparer ».
La dimension internationale n’est cependant pas tout à fait absente des préoccupations de l’Ecole pendant le déroulement des évènements de mai 68. On la retrouve dans les revendications des lycéens. Même si l’ouverture sur le Sud n’est pas une priorité, ils demandent de faire une plus grande place à l’actualité, plus de discussions sur les problèmes mondiaux et en particulier en histoire et géographie, « un enseignement plus planétaire » 84 . Dans l’enseignement supérieur à Grenoble, des mouvements « gauchistes » mettent en avant les problèmes du Sud, valorisent quelques grands leaders issus du Tiers Monde ( Che Guevara, Mao Tsé Toung ) et s’attaquent à « l’impérialisme ». Des tracts accusent par exemple le Dauphiné Libéré de ne pas couvrir les évènements du Tchad où « la France massacre des anti-impérialistes ».
Avec le recul, il semble que ce qui s’est passé en mai 68 a laissé des traces. Le mouvement a contribué à la création d’une sorte d’espace international qui a favorisé la circulation des idées et des évènements à travers le monde. Un témoignage parle d’une « convergence du Tiers Mondisme, de l’anti-impérialisme et d’une sorte de romantisme révolutionnaire ». « Mai 68 nous a autorisés à penser autrement, dit une enseignante, à analyser et remettre en question des valeurs et des pratiques qui paraissaient fortement établies ». Cette remise en cause a certainement crée un climat favorable dans lequel la pénétration de l’Afrique à l’Ecole aété facilitée. Mai 68 a d’abord bousculé les habitudes d’enseignement, fait émerger le besoin d’enseigner autrement, accéléré le mouvement de rénovation pédagogique : des cadres de travail nouveaux ont été crées et ont favorisé l’Education au développement. Mai 68 a également fait émerger un nouveau regard des sociétés occidentales sur le reste du monde. Même si les problèmes de développement du Tiers Monde n’ont été que quelques problèmes parmi beaucoup d’autres, la remise en cause de « l’ordre établi », l’importance accordée aux notions d’égalité, de justice ont conduit à regarder du côté du Sud.
Cahiers pédagogiques ( septembre 1968 ) : « Les lycéens vous parlent ».