Les prises de position d’une partie de l’Eglise catholique

Partie, au lendemain de la guerre, de positions traditionalistes sur la légitimité de la colonisation, l’Eglise catholique évolue vers une plus grande ouverture sur le monde. Ses prises de position ont une influence qui dépasse largement le cercle des catholiques.

Le terrain était préparé par l’action missionnaire dont le soutien a souvent été le premier contact des catholiques avec le Tiers Monde. Les prêtres qui reviennent en France de temps en temps font de l’information au cours de réunions paroissiales et dans les écoles catholiques. Ils essaient de recueillir des fonds mais ils donnent aussi une vision différente de l’Afrique et des Africains. Les revues missionnaires telles que Alpes-Afrique, en Savoie contribuent à cette information. Des établissements scolaires en France sont tenus par des congrégations engagées dans l’action missionnaire ( Jésuites,Maristes…), qui ont formé des générations de catholiques et joué un rôle important dans le développement de l’aide humanitaire 85 .

En outre, au moment de la décolonisation, une partie du clergé, notamment africain, a compris la force des aspirations nationalistes et se réjouit de la marche vers l’indépendance « plus conforme aux droits de l’Homme ». Les prêtres qui travaillent en Afrique contribuent à faire connaître aussi la misère des populations. En Amérique Latine, des prêtres et évêques ( tels Dom Helder Camara ) ont participé, aux côtés des paysans, aux luttes pour la liberté et pour une meilleure répartition des terres. C’est la « théologie de la libération ». Ces nouvelles tendances sont déjà très présentes dans certains mouvements d’action catholique ( J.A.C., J.O.C., et J.E.C., Pax Christi… ) ou dans des groupes de réflexion. Par exemple, le mouvement « Vie Nouvelle » qui ne relève pas officiellement de l’Eglise, regroupe des catholiques dont beaucoup d’enseignants. Les « anciens » se souviennent que les problèmes de décolonisation et de développement, dans la lignée du Père Lebret, ont été au centre de leur réflexion bien avant qu’ils ne soient passés dans l’opinion courante. « Vie Nouvelle » s’est prononcée pour la libération des « peuples indigènes » dès 1949 et a crée très tôt une section « Tiers Monde et International » qui avait des antennes en Algérie et en Afrique Noire. Les intellectuels catholiques ( F.Mauriac, les professeurs Mandouze et Marrou…), le groupe de Témoignage chrétien  jouent un rôle important dans la lutte pour la paix en Algérie.

Ces engagements ne font pas l’unanimité dans l’Eglise qui est traversée de courants divers. Mais ces « pionniers » entraînent la hiérarchie à adopter des positions assez novatrices par souci de justice, par peur de l’expansion du communisme, pour ne pas se couper des populations qui pourraient être attirées par lui et pour permettre aux missions de continuer leur œuvre. Alors que la pratique religieuse a tendance à refluer en Europe, l’Afrique, en particulier, est considérée comme une terre privilégiée où l’expansion du christianisme est encore possible. Ces tendances « progressistes » vont connaître une grande diffusion et s’affirmer lors du concile Vatican II où, dès son discours inaugural, le pape Jean XXIII ouvre à l’Eglise une voie nouvelle allant contre le courant conservateur. Le Concile a aussi été un moment de rencontres entre les Eglises du monde entier. Par la suite, les déclarations, les encycliques, notamment « Populorum progressio », les voyages des papes dans le Tiers Monde, ont eu une portée internationale et ont frappé l’opinion au delà des cercles catholiques.

Cette sensibilisation a permis au mouvement humanitaire de se développer. Si certains se tournent vers le Tiers Monde, habités uniquement par un sentiment de charité, d’autres vont beaucoup plus loin. Peu à peu une nouvelle conception des missions apparaît.

L’évangélisation associée au modèle de développement européen n’est plus considérée comme l’essentiel. Un texte élaboré au cours du synode sur l’Afrique au début des années 70, considère que la solidarité et le développement sont «  constitutives de l’évangélisation ». On insiste davantage sur la rencontre, l’échange. Les missionnaires seront relayés par des associations comme le CCFD, crée en 1961, qui est certainement une des plus dynamiques et une de celles qui ont fait le plus évoluer la réflexion sur le développement et les relations Nord-Sud. Une revue Croissance des Jeunes Nations, destinée à l’opinion catholique, est créée en 1961 et se spécialise dans le Tiers Monde et les problèmes de développement.

Notes
85.

C. PRUDHOMME, Le mouvement social, n° 177, oct.1996 : « De l’aide aux missions à l’action pour le Tiers Monde : quelle continuité ? »