L’expérience de la coopération

Les archives du Ministère de la coopération de 1960 à 1990 n’ont pas encore été traitées. Elles sont donc incommunicables. Il nous reste quelques statistiques, quelques rapports et surtout des témoignages oraux pour répondre à la question du rôle de la coopération dans la pénétration de l’Afrique à l’Ecole.

Les statistiques font apparaître que les enseignants ont toujours été nombreux dans la coopération officielle, enseignants déjà entrés dans la vie active ou jeunes effectuant leur service militaire. En 1984, ils représentaient les 2/3 des coopérants en Afrique Noire et plus des ¾ au Maghreb 93 . Après quelques années de séjour en Afrique, les premiers coopérants commencent à rentrer au fur et à mesure de la formation d’enseignants africains et de l’africanisation des différentes filières d’enseignement. Leur retour, au long des années 70, semble avoir été en relation étroite avec la pénétration de l’Afrique à l’Ecole. Le rapport mentionné ci-dessous est critique sur l’efficacité de la coopération mais lui reconnaît le mérite de donner une impulsion à la sensibilisation au Tiers Monde dans les écoles en France.

En effet, la plupart des coopérants continuent leur carrière en France. Il aurait été intéressant de pouvoir, après leur retour, en suivre un grand nombre pour comprendre ce qu’ils ont fait de leur expérience africaine. Il a été impossible d’établir un chiffre fiable de leur présence dans l’Académie de Grenoble. On ne trouve aucune archive sur place. Les services académiques et le Ministère de la Coopération ne peuvent fournir aucune statistique, ni a fortiori donner les moyens de les retrouver pour des raisons déontologiques et pratiques. L’enquête auprès de l’APHG de Grenoble a donné quelques éléments. Sur les 30 personnes qui répondent, 8 sont d’anciens coopérants ( 3 retraités et 5 actifs ), c’est à dire ¼ de l’effectif. Tous les établissements un peu importants qui ont été contactés individuellement parce qu’ils s’étaient investis dans la sensibilisation au Tiers Monde, en comptaient plusieurs. Dans un lycée de Chambéry, où le corps enseignant est généralement très stable, sur vingt ans entre le milieu des années 70 et le milieu des années 90, il est passé une quinzaine d’anciens coopérants. C’est donc le hasard souvent qui fait qu’on retrouve la piste de quelques uns d’entre eux : au total une vingtaine ont pu être contactés . Ce sont surtout des enseignants du Secondaire. Ils ont séjourné en Afrique, entre 2 et 13 ans, dans les années 60 et 70 surtout et le début des années 80. Les pays concernés étaient l’Algérie, la Tunisie, le Maroc, le Niger, le Burkina Faso, le Mali, le Sénégal, le Burundi. Des enfants de coopérants, qui ont vécu en Afrique pendant leur enfance, attribuent à cette influence et à celle de leurs parents leur sensibilité à l’Education au développement.

En général, un grand nombre des premiers coopérants n’ont vu dans leur expérience qu’un séjour agréable, dans des pays « exotiques » où la rémunération et les commodités matérielles étaient attractives. Ils se sont souvent posé peu de questions sur le sous-développement et n’ont pas acquis non plus une grande connaissance des cultures de l’Afrique dans la mesure où ils se coupaient volontairement de ses réalités. Certains, parmi les plus anciens, qui avaient fait auparavant une « carrière coloniale », n’avaient pas toujours pris conscience que le temps de la colonisation était révolu. Mais par contre, d’autres, en particulier parmi ceux qui sont arrivés après les indépendances, y ont fait une expérience qui les a profondément marqués et a souvent donné lieu à un engagement à long terme, parfois de toute une vie. C’est de ceux-là dont nous allons parler. Ce sont d’ailleurs les seuls qui répondent aux questionnaires d’enquête 94 .

Ces enseignants se rappellent, en général avec émotion, leur séjour en Afrique. Ils reconnaissent qu’ils y ont vécu une « expérience exceptionnelle ». Ils répondent unanimement « oui » à la question : « Est-ce que cela a « infléchi durablement votre vie ? ». L’un écrit « je suis un peu chez moi en Afrique ». Sur ce que leur a apporté leur séjour en Afrique et ce qui a changé dans leur vie, ils citent, l’initiation à une histoire et des cultures généralement très mal connues. Deux au moins ont profité de leur séjour pour faire une thèse sur l’Afrique. Ils rappellent aussi les contacts enrichissants avec les populations africaines qui obligent à jeter un autre regard sur les autres, et une approche plus concrète des problèmes de développement. Même ceux pour qui le séjour a été bref et qui ont maintenu peu de liens avec l’Afrique, reconnaissent une attention plus grande portée aux cultures et aux problèmes de ce continent.

Ils rentrent avec le désir de partager cette expérience. Leur émerveillement devant d’autres cultures, le choc souvent brutal avec la misère, provoquent l’envie, de faire mieux connaître le Tiers Monde et ses populations et de manifester aussi leur solidarité. Cela donne à leur enseignement une orientation souvent originale. Outre l’attrait des élèves pour des horizons lointains, les cultures africaines et le sous-développement sont, à cette époque, des thèmes généralement nouveaux pour eux et qui leur permettent un contact avec les grands problèmes du monde. Les enseignants peuvent parler d’expériences vécues avec une conviction qui force leur intérêt. Ce sont aussi souvent ces enseignants qui s’investissent dans des activités périscolaires et qui créent des « clubs  Tiers Monde » ou « clubs Afrique » où les élèves peuvent trouver un prolongement du cours en terme d’action et de solidarité. En dehors de l’Ecole, ils participent souvent aussi à des associations. L’un d’entre eux dit avoir fait des conférences sur ces thèmes, écrit des articles et organisé des voyages. Certains reviennent aussi sans illusions devant la somme de problèmes insurmontables et les carences de la coopération et avec le sentiment de n’avoir pas été très utiles. Mais, en général, cela leur donne d’autant plus envie d’agir ici à travers l’éducation au développement pour promouvoir d’autres solutions.

Notes
93.

Cf.  L’assistance technique française ( 1960-2000 ), Ministère de la coopération, Ed. La Documentation Française, 2001.

94.

Autres sources : Entretiens avec quelques ex-coopérants et expérience personnelle de la coopération.