De quand datent les prémices du changement ?

Les O.N.G. le font souvent remonter à 1981, l’arrivée de la gauche au pouvoir. Mais même si le terme n’apparaît que tardivement, « l’Education au développement », au sens fort, existe déjà avant. Les enseignants les plus motivés, ont déjà compris qu’on ne peut séparer l’action humanitaire à laquelle on les encourage, de la compréhension des situations et de leurs causes, c’est à dire d’une réflexion sur le fond.

Au Ministère de l’Education Nationale, dès la fin des années 70, une évolution se dessine. L’importance accordée au Tiers Monde augmente. La sensibilisation des jeunes fait l’objet d’une réflexion officielle que B. Riondet 105 fait remonter à 1976 environ. C’est là que se placeraient les premières discussions entre le Ministère de l’Education Nationale, celui de la Coopération et les organisations non-gouvernementales. Une circulaire de 1977 106 donne des instructions sur la manière de traiter les programmes dans les différentes disciplines. Pour l’histoire-géographie, elle insiste sur la nécessité de l’élargissement vers d’autres civilisations pour donner une idée de la diversité des sociétés humaines et comprendre, donc mieux accepter, ce qui est différent. Il s’agit d’« ouvrir (aux enfants ) un monde qui ne connaît plus de frontières ». Le ton des circulaires change un peu. Une expérimentation est lancée en 1978, sous le ministère Beullac et dans la foulée de la réforme des collèges, avec la collaboration de l’INRP et de l’UNICEF : des équipes d’enseignants, dans 6 collèges suivront pendant 4 ans des élèves, de la 6° à la 3° et essaieront de tester des formes d’éducation au développement qui pourront être généralisées ensuite. Les conditions dans lesquelles l’expérience doit se dérouler, injectent un souffle nouveau. : interdisciplinarité qui suppose une concertation régulière, des analyses économiques poussées notamment en ce qui concerne les causes du sous développement, une approche qui doit éviter l’européocentrisme, une réflexion qui n’exclut pas les sociétés développées. Une semaine de dialogue « Français-Immigrés » est instituée pour renforcer la compréhension mutuelle entre les différentes communautés présentes dans les établissements 107 . Au début de l’année 1981 une longue circulaire montre l’intérêt du Ministre et de son équipe : elle résume les positions officielles et crée la « journée du Tiers Monde à l’Ecole » 108 . Elle est d’ailleurs considérée par les nouveaux dirigeants qui arrivent au pouvoir en 1981, comme la première consacrée à l’éducation au développement 109 .

Mais cet intérêt n’est pas généralisé, il existe manifestement des divergences entre les personnalités qui ont en charge l’Education Nationale ou se préoccupent de la formation des jeunes. Une polémique sur l’enseignement de l’Histoire naît à la fin des années 70, à la suite d’une évaluation des acquis des élèves, à l’entrée en Seconde. Cette évaluation, faite avec des méthodes très contestées, tendrait à prouver que les acquis ne sont pas solides. Les médias s’en mêlent et des hommes politiques en vue comme M.Debré en attribuent la responsabilité à un recul de l’histoire nationale et à l’importance excessive des « préoccupations supranationales ». Ils se prononcent donc pour un recentrage sur la mémoire de la nation qui doit servir de base à la formation du citoyen.

Le mouvement s’accélère avec le changement de majorité politique, en mai1981. L’Education au développement s’impose dès les premières circulaires d’A.Savary. Celles du 6 avril 82 et du 25 mai 1983 sont de véritables « chartes » . Elles seront reprises souvent par la suite. En 1983, à l’occasion d’un colloque, le Premier Ministre, P.Mauroy, résume ce qu’on doit attendre de l’enseignement de l’histoire : « L’histoire ne peut plus être concentrée sur la formation de la Nation, il s’agit aussi d’une ouverture au monde, d’une connaissance des autres dans leurs richesses culturelles ». Il faut « élargir le civisme aux dimensions du monde ».

La France semble néanmoins en retard par rapport à d’autres pays tels que le Canada, la Suisse, la Belgique, les Pays-Bas et les Pays Scandinaves où l’aide au développement semble être mieux passée dans l’opinion. Des études font remonter les premières expérimentations à l’école au milieu des années 60. Une enquête menée en 1982 dans 6 pays européens et au Canada par P.Pradervand signale, qu’en France, l’Ecole n’est pas assez impliquée dans l’Education au développement et cite une phrase d’Olof Palme, le premier Ministre suédois, en 1970 : « Nous voulons internationaliser la société suédoise. C’est une des plus importantes tâches des années 70 et cela signifie que nous devons internationaliser notre système éducatif. ».

Notes
105.

B. RIONDET, L’Education au développement, Edition Hachette, 1996.

106.

B.O.E.N. n° 22 de mai 1977.

107.

B.O.E.N. n° 38 du 26 /10 /1978.

108.

B.O.E.N. n° 16 du 23 /4 /1981

109.

B.O.E.N. n° 39 du 25/ 10 /1990 qui publie la liste de toutes les notes antérieures consacrées à l’éducation au développement