Un glissement vers d’autres notions depuis 1985-90

L’éducation au développement n’est pas séparable d’autres aspects de l’éducation. Dans un esprit de globalisation, elle va donc être plus ou moins intégrée à d’autres préoccupations : l’éducation à l’environnement, l’éducation aux droits de l’Homme et à la citoyenneté, l’éducation à la francophonie.

En ce qui concerne l’environnement, le Ministère s’inspire des travaux de la commission mondiale pour l’environnement qui fonctionne de 1983 à 1987 dans le cadre de l’ONU et qui est à l’origine du rapport Brundtland ( 1987 ) qui constitue un véritable cri d’alarme. Il fait émerger la notion de « développement durable ». C’est « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ». La conférence de Rio, en 1992, a été un moment fort de la lutte pour la défense de l’environnement. Les neuf thèmes retenus à Rio concernent essentiellement l’environnement au sens strict du terme, à l’exception de deux : « pauvreté et environnement », « protection de la santé et amélioration de la qualité de la vie ». Une journée de l’environnement revient chaque année. Donc à la solidarité entre pays riches et pays pauvres, s’ajoute la solidarité entre les générations actuelles et les générations futures. L’éducation à l’environnement est un dénominateur commun aux pays riches et aux pays pauvres : pour les pays en voie de développement aussi, le respect de l’environnement doit être une préoccupation.

L’Education nationale prend en compte ce problème car si les jeunes générations ne sont pas formées, la notion de développement durable n’a pas beaucoup de consistance. En 1990 et pendant les deux années qui suivent, le thème de la journée Tiers Monde à l’école sera « environnement et développement » car le Ministère veut encourager la prise de conscience de l’interdépendance fragile qui existe entre l’homme et son milieu. Des missions d’évaluation sont confiées à l’Inspection Générale et au Conseil national des programmes.

Les notions de « droits de l’Homme », de « citoyenneté » sont présentes depuis longtemps dans les circulaires. Dès la fin des années 50, le Ministère marque son attachement à leur étude. Dans les années 60, l’Inspecteur François recommandait aux enseignants de faire apprendre à leurs élèves, au moins les premiers articles de la Déclaration des droits de l’Homme de 1789. La circulaire de mai 83, déjà citée, insiste sur l’éducation aux droits de l’Homme, dans l’objectif « d’un projet éducatif global ». Une journée internationale est instituée en 1985 à laquelle l’Ecole s’associe. Depuis 1983, une autre est consacrée tous les ans à une réflexion sur l’esclavage et l’histoire de son abolition. Elle s’intègre, depuis 1988, à une semaine d’éducation contre le racisme ( à l’initiative de SOS racisme, la Ligue des droits de l’Homme, le MRAP, la LICRA, les clubs UNESCO ). Cette éducation aux droits de l’Homme et à la citoyenneté prend une très grande importance avec le renouveau de l’Instruction civique qui devient Education civique. L’Instruction civique avait disparu en effet entre 1977 et 1985, sous le prétexte qu’elle ne devait pas être une matière particulière, qu’elle ne pouvait pas vraiment être l’objet d’un enseignement classique mais qu’elle devait être présente en permanence dans tous les actes d’enseignement. L’association des professeurs d’histoire-géographie protesta contre cette amputation : « on la dit partout et elle est nulle part » 119 . A partir de 1985, sous l’impulsion de J.P.Chévènement et parce qu’il semble y avoir une vraie demande dans le public, l’Education civique réapparaît, comme discipline spécifique, avec un programme et un horaire. Avec l’appui de l’A.P.H.G. et de l’Inspection Générale qui en fait son thème de l’année en 1991, elle est réintroduite d’abord dans l’enseignement primaire et le premier cycle du secondaire puis ensuite au lycée.

L’Education au développement fait partie intégrante de cette éducation à la citoyenneté. Avec elle, c’est la dimension internationale qui est introduite dans l’école : le jeune est un «  citoyen du monde » en devenir. De multiples déclarations officielles le soulignent. A l’époque des brassages de population et de la mondialisation, il est évident que le futur citoyen aura à prendre en compte le reste du monde et la diversité des communautés.

‘ «  La sensibilisation aux problèmes du Tiers Monde et aux relations interculturelles…doit constituer un élément essentiel de la formation du citoyen et s’insérer naturellement dans un système éducatif désireux de promouvoir les droits de l’Homme.
Note de service du 25/5/83 ’ ‘«  L’E.A.D….un élargissement de l’Education civique à la dimension internationale »
Note de service du 9/10/89 ’ ‘« Le développement n’est possible que si les droits de l’homme sont respectés…L’agent essentiel du développement, c’est l’homme, à condition qu’il soit en mesure de jouer ce rôle. »
A.ZWEYACKER ’ ‘«  L’éducation au développement et à la solidarité constitue un élément essentiel de l’apprentissage de la citoyenneté. Elle vise à faire prendre conscience aux élèves de l’interdépendance des régions du monde, de la solidarité entre les peuples dans le processus de mondialisation en cours.
Ministère de l’Education nationale ( novembre 1999 )

Le Ministère manifeste donc son souci d’intégrer l’éducation au développement dans la formation du citoyen A l’occasion de la journée internationale des droits de l’Homme en 1986, il recommande d’orienter la réflexion et les actions éventuelles vers l’humanitaire.

L’éducation à la francophonie est aussi une préoccupation importante du Ministère à la fin des années 80. Elle fait l’objet d’une circulaire annuelle à l’occasion des conférences des chefs d’état et de gouvernement francophones ( la première se tient à Paris en 1986 ). « Une journée de la francophonie » doit constituer un temps fort auquel l’école est sollicitée de participer. Les objectifs de l’éducation à la francophonie sont surtout de faire appréhender la place de la langue française, mais aussi de faire percevoir la diversité et les richesses des cultures du monde francophone, de former des citoyens ouverts sur le monde et de mettre l’accent sur les problèmes de développement et la solidarité nord-sud 120 . On peut entrer dans cette étude par la musique, la littérature, le cinéma et créer un dialogue des cultures très enrichissant. Dans chaque académie, une équipe est prévue pour l’impulser. La formation des enseignants et futurs enseignants se fera dans le cadre de la MAFPEN, des CPR, des Ecoles Normales. Un atelier de Sèvres lui est consacré. Des documents pédagogiques sont élaborés, par exemple une cassette-video où A. Decaux « raconte la francophonie », est envoyée à chaque correspondant académique. Les circulaires du BOEN sont accompagnées souvent de longues bibliographies. En 1995, le thème est « l’unité dans la diversité ». En 1997, la francophonie débouche sur l’institution d’un concours scolaire, « Histoires croisées : histoires de vies franco-québecquoises ». En 2002, une semaine de la francophonie insiste sur l’œuvre littéraire de Hugo ( bicentenaire de la naissance ) et de Senghor dont le décès cette année-là aurait pu être l’occasion de mieux faire connaître la littérature africaine.

Ces glissements auraient pu impulser l’éducation au développement, en l’incluant dans une structure élargie. Il semble que ce soit le contraire qui se soit produit :l’éducation au développement a été en fait « noyée »dans un projet éducatif aux contours mal définis. La dimension Nord-Sud est devenue plus floue face à la place prise par les préoccupations sur l’environnement. Les difficultés croissantes des établissements scolaires réduisent trop souvent la formation à la citoyenneté à une réflexion sur les moyens d’améliorer le climat des établissements et de lutter contre les incivilités. En 1998, une circulaire est consacrée aux « initiatives citoyennes ». Les thèmes suggérés sont la mise au point de chartes de la vie scolaire, la réflexion sur le règlement intérieur, la formation des délégués, le fonctionnement des conseils de classe, le sport, l’éducation à l’environnement. Il n’est pas question de solidarité internationale. L’éducation à la citoyenneté repose également sur beaucoup d’ambiguïtés. Derrière les formules générales de respect, tolérance qui rassemblent, on trouve des conceptions différentes de l’éducation, aussi bien le retour à une école traditionnelle qui voudrait rétablir la pédagogie et la discipline anciennes que la défense d’une école qui responsabilise les jeunes et les ouvre sur le monde. L’éducation à la francophonie aurait pu être aussi un moyen de resserrer les liens avec la communauté francophone et d’en faire connaître les cultures, elle s’est souvent limitée à étudier la diffusion du français et n’a pas beaucoup contribué à la présence de l’Afrique à l’Ecole.

Devant les menaces qui pèsent sur l’éducation au développement, une évolution semble s’être amorcée depuis quelques années avec l’émergence de la notion de citoyenneté internationale 121 .

Notes
119.

J. PEYROT,  Historiens-Géographes, n° 338, décembre 1992.

120.

Circulaire sur l’éducation à la francophonie du 2/5/1989, B.O.E.N. n° 19 du 11/5/1989

121.

Cf. 4° partie : « Bilan et perspectives au début du XXI° siècle ».