Des actions parfois difficiles à gérer

Les difficultés s’amplifient pour les établissements scolaires quand ils ont la responsabilité de l’action à laquelle ils coopèrent. Gérer un partenariat est une tâche difficile sur le plan éducatif d’abord : comment y intégrer les élèves, surtout les plus jeunes, alors que les associations elles-mêmes éprouvent le besoin de se professionnaliser ? Comment éviter le glissement vers des échanges protocolaires de type jumelage où les élèves sont peu impliqués ? Il faut aussi pouvoir gérer l’action sur place pour qu’elle soit efficace sur le plan pédagogique et qu’elle serve aussi aux bénéficiaires. Il faut également pouvoir faire co-exister des « représentations » du pays et de ses problèmes qui divergent selon les participants.

C’est une tâche difficile aussi sur le plan des relations entre les partenaires. Dans le passé, la maîtrise du projet était souvent aux mains du Nord, sans qu’il y ait une véritable négociation. Des associations, comme des écoles allaient « creuser un puits » que les villageois, qui ne l’avaient pas réellement décidé, ne prenaient pas toujours en charge. Un auteur africain, A.Hampâté Ba, appelle les Africains à réfléchir à l’évolution qu’il souhaite pour l’Afrique, entre tradition et modernité, et dont les partenaires du Nord doivent tenir compte.

DOCUMENT 14 : Témoignage africain
L’AVENIR DE L’AFRIQUE : Le point de vue de l’écrivain A.Hampaté BA 201
« … C’est un tâtonnement, il faut que chacun de nous cherche, que les Africains récoltent, recueillent sans arrêt tout ce qui est culture, tradition, histoire…Puis qu’ils fassent un tri, qu’ils voient ce qui est réellement dépassé, ce qui n’est souhaitable pour personne. Cela, il faut le couper radicalement, comme on coupe une branche morte d’un arbre vivant. Mais ce que je demande, c’est de ne pas couper le tronc africain. Lui, doit demeurer. Sur lui, vous pouvez greffer tout ce qui est greffable…Greffons ce qui nous est utile et qui ne porte pas tort à notre prochain. Adapter nos traditions à la vie moderne, c’est là le défi qui nous est posé ».

Presque tous les animateurs sont maintenant convaincus qu’il est nécessaire d’établir un véritable partenariat, basé sur le respect de la culture de l’autre, en étant conscients, selon l’expression d’un responsable d’ONG, que, dans les rapports franco-africains, « il y a toujours quelque chose qu’on ne comprendra jamais ». Les projets doivent être aussi élaborés par les gens du Sud, en accord avec la politique de développement local. Les enseignants ont parfois du mal à enrayer chez les élèves qui « aident » l’impression de détenir les compétences et à faire comprendre qu’il existe des personnes dynamiques dans le Sud sur lesquelles on peut s’appuyer. Les dérapages vers l’assistanat restent un risque important. L’appréhension du temps qui passe est, en outre, différente en Afrique et il est souvent difficile d’évaluer les possibilités du partenaire d’intégrer rapidement les changements. Quand les choses évoluent trop lentement, comment résister à la tentation de « faire » à la place de l’autre ? Il faudrait sans doute une maturation plus lente des projets pour permettre au Sud d’y jouer vraiment son rôle mais le Nord est souvent pressé.

Comme les associations et sans doute plus qu’elles, les établissements scolaires rencontrent aussi des difficultés dans le suivi de l’action.Il y a souvent des problèmes de communication du même ordre que pour la correspondance scolaire : mauvaise maîtrise du français, différences de mentalités. Dans beaucoup de cas, il est difficile voire impossible d’exercer un contrôle même symbolique sur la progression du projet : les devis et les factures sont souvent irréguliers ou sans valeur. Il est malaisé aussi de s’assurer de la participation des partenaires et décevant quand on constate que certains ne réussissent pas à s’organiser pour entretenir les réalisations. Il faudrait préparer les bénéficiaires à prendre en charge le projet, d’une manière autonome. Les difficultés viennent aussi du « non-dit » : les sociétés africaines sont traversées par des conflits, des tendances politiques différentes, des heurts entre notables et jeunes qui ne concernent pas directement le partenaire du Nord mais dont il ne peut pas faire abstraction et qui complique la gestion du projet. L’arrivée d’une aide extérieure, d’argent, dans le cas d’un village notamment, aggrave parfois ces conflits.

Autre problème posé : quand doit s’arrêter la collaboration ?C’est confortable de continuer à coopérer avec un partenaire qu’on connaît bien et avec lequel, au fil des années, se sont crées souvent des liens d’amitié. On a du mal à apprécier ses besoins réels et on risque de le « surdoter » par rapport à d’autres et d’entraîner des déséquilibres. On constate que beaucoup de projets s’essoufflent au bout d’une dizaine d’années. A quel moment faut-il alors partir ?

Toutes ces difficultés qui peuvent aller jusqu’au blocage de l’action, toutes ces interrogations troublent beaucoup d’animateurs de projets ici. Certains se demandent même si le suivi d’une action en Afrique est bien à la portée d’un établissement scolaire. Il faudrait sans doute des contacts plus étroits et plus fréquents. Mais l’accueil des partenaires et les voyages que nous verrons plus loin sont une entreprise lourde que tous les établissements n’ont pas la possibilité d’organiser régulièrement. Des sociologues africains proposent d’ailleurs leurs services pour essayer de débloquer certaines situations et de faire redémarrer certains partenariats : ils proposent des évaluations des actions menées et des moyens de les dynamiser.

Notes
201.

AMADOU HAMPÂTE BÂ ( 1900-1991 ) s’est rendu célèbre par ses combats en faveur des cultures orales et du dialogue des civilisations. Il a siégé au Conseil de l’UNESCO. Il est l’auteur de divers ouvrages consacré aux civilisations africaines. Il raconte sa jeunesse dans Amkoullel, l’enfant peul.