La nécessité de la formation : une position théorique unanime à partir du milieu des années 70

L’internationalisation de l’économie, de la culture, les implications locales de cette internationalisation à travers les problèmes de l’immigration, l’avènement de l’Europe…rendent conscients que l’Ecole doit absolument intégrer la dimension internationale. Cette ouverture ne pourra se faire sans une formation des enseignants, tous les acteurs du système éducatif sont d’accord sur ce point. : c’est la condition « sine qua non » de la réussite.

Le Ministère rappelle avec insistance la nécessité de la formation. Les circulaires abordant ce sujet sont nombreuses surtout au début des années 80, parallèlement à l’impulsion donnée à la sensibilisation au Tiers Monde à cette époque 231 . En 1983-84, quelques actions de formation sont lancées à titre expérimental. A la rentrée 1984, le Tiers Monde doit entrer à part entière dans la formation initiale et continue des enseignants, des personnels d’éducation et de documentation. Une relation doit être établie avec la recherche et les universités car les problèmes du Tiers Monde sont complexes et évoluent vite. Cinq séminaires inter-académiques, destinés aux formateurs et regroupant des représentants de tous les organismes de formation, sont programmés. Dans le cadre des ateliers de Sèvres, une table ronde est consacrée au thème « Education au développement…éducation à la solidarité ». Un colloque est prévu en 1985 pour faire la synthèse des séminaires inter-académiques, avec des représentants de la formation, des Inspecteurs, des administrateurs, du CRDP, des ONG, des autres ministères. A partir de la deuxième moitié des années 80, il semble y avoir un recul. Le souci de la formation à l’éducation au développement est moins présent dans le BOEN. Le Ministère glisse vers d’autres perspectives : l’éducation à l’environnement et à la citoyenneté.

Si l’insuffisance de la formation est parfois un alibi pour certains enseignants, peu soucieux de changements, ceux qui souhaitent une ouverture sur la dimension internationale en sentent vraiment le besoin. L’éducation au développement est un objectif ambitieux qui peut motiver n’importe quel enseignant et qui se prête bien à l’interdisciplinarité. Les enseignants d’histoire - géographie et d’économie paraissent les mieux placés pour s’y investir mais certains de leurs collègues, dans les disciplines scientifiques en particulier, se sentent mal préparés. En effet comment évoquer les problèmes complexes du monde sur lesquels les élèves se posent des questions ? Il faut aussi gérer des classes de plus en plus multiculturelles, avec l’entrée massive, à l’Ecole, des enfants de l’immigration et faire face aux problèmes scolaires de beaucoup d’entre eux. Une formation initiale et continue, qui prenne en charge les nouveaux besoins qui s’expriment, est la réponse qu’attendent beaucoup d’enseignants. De 1984 à 1988, les ateliers de Sèvres ont tenu compte de ces préoccupations.

Les instances internationalesvont également dans ce sens. Dès 1974, l’UNESCO insiste sur la nécessité d ‘une formation des enseignants à la compréhension internationale.

‘« … développer chez les éducateurs…l’adhésion à l’éthique des droits de l’homme…la capacité à inculquer le sentiment de richesse que la diversité des cultures apporte à chaque personne, groupe ou peuple…à offrir un bagage de connaissances interdisciplinaires sur les problèmes mondiaux… ».
…S’ils ne reçoivent pas une formation qui leur permette d’affronter les changements et de réfléchir à de nouveaux besoins, les enseignants ne seront pas favorables à des initiatives de réformes et ils peuvent même en freiner les progrès… ».
Revue internationale d’éducation n° 6, juin 1995

En 1982, une conférence des pays de la Communauté européenne a pour thème, « l’Education au développement ». En 1985, une Déclaration des Ministres de l’Education du Conseil de l’Europe relève des mêmes préoccupations : elle insiste sur la nécessité d’une éducation aux droits de l’Homme et sur la formation des enseignants qu’on devra inciter à s’intéresser aux affaires internationales. En 1993, les membres du Conseil de l’Europe insistent à nouveau sur les valeurs communes à toute l’Europe et sur la nécessité d’un programme éducatif pour les protéger. En 1993, la Conférence mondiale des droits de l’Homme, dans une Déclaration adoptée à l’unanimité des 171 pays représentés, réaffirme « l’engagement solennel de tous les états, de remplir leurs obligations à promouvoir le respect universel, la protection de tous les droits de l’Homme et les libertés fondamentales » et l’importance de l’éducation pour faire triompher ces valeurs.

Il y a donc apparemment une demande et une volonté d’y faire face. Mais les problèmes commencent quand il s’agit de définir ce que pourrait être la formation initiale et continue à la dimension internationale.

Quelle formation à la dimension internationale ?

Quelles connaissances privilégier ? Quelles compétences mettre en avant ? Comment concilier le renforcement d’une identité culturelle et l’apprentissage des valeurs universelles ? Après beaucoup de tâtonnements, le contenu se précise. Une réflexion sur la formation s’élabore. On se rend compte que l’apport de connaissances est insuffisant. Et il se dégage peu à peu quelques principes 232 .

Il ne s’agit plus seulement d’accumuler des connaissances mais de changer l’esprit dans lequel on aborde ces questions. Il faut faire naître chez les enseignants un « esprit international », leur permettre de « se décentrer » par rapport à la France, de repenser les rapports qu’elle entretient avec le reste du monde et de faire de l’ouverture au monde, un des fondements du système éducatif. Il est donc nécessaire d’élaborer une véritable stratégie globale de formation, axée sur une « pédagogie des échanges ». Elle devra se concevoir sur plusieurs années, concerner toutes les disciplines, tous les niveaux d’enseignement, avec des liens très étroits entre formation initiale et formation continue. L’objectif doit être double. Il doit porter d’abord sur les contenus : l’ approfondissement des aspects économiques, culturels, la réflexion sur les grands problèmes mondiaux, sur les valeurs qui soutiennent nos sociétés, sur le multiculturalisme et ses conséquences, sur nos systèmes d’éducation. Il faut aussi une formation à de nouvelles approches pédagogiques plus appropriées pour faire progresser la compréhension internationale et la solidarité.

Il faut aussi envisager des contacts directs avec les pays du Sud, pour essayer de comprendre l’Autre de l’intérieur et mieux entrer dans la dimension interculturelle. Cela peut se traduire par des échanges entre instituts de formation et la structuration de véritables réseaux, par des stages d’enseignants et de stagiaires à l’étranger, qui nécessitent une préparation en amont, pour tester les motivations, et des bilans en aval. Plus récemment, le contact peut se faire aussi par Internet et les nouvelles technologies, qui ouvrent des perspectives. Il devient donc important de développer des capacités de communication et d’ouverture notamment par le perfectionnement de la pratique de langues étrangères.

Les choses semblent s’accélérer au tournant du siècle. On commence à parler de la mise en place d’une « Europe de l’Education » ( le traité de Maastricht, en 1992, encourage la mobilité des enseignants et des étudiants ). Par contre cette « formation à l’International » a tendance à laisser de côté les continents les plus pauvres et en particulier l’Afrique, dont l’intérêt apparaît moindre. La construction européenne a marginalisé l’Afrique et la plus grande partie des relations, qui se créent entre systèmes éducatifs actuellement, unit des pays européens entre eux. Mais en face de cette volonté apparente de formation, les initiatives sur le terrain sont insuffisantes par rapport aux besoins.

Notes
231.

Les principales circulaires : 26/5/1983, 29/9/1983, 10/7/1984, 9/8/1984.

232.

Sources : Revue internationale d’éducation, n° spécial (juin 95 ) et entretiens avec des formateurs.