l’insuffisance de la liaison chercheurs-enseignants et les solutions

Le Ministère insiste beaucoup sur la nécessité d’une liaison entre les chercheurs en éducation et les enseignants sur le terrain. Ils ont besoin les uns des autres pour s’adapter aux mutations de l’Ecole et de la société. Or cette liaison s’établit mal : il n’y a pas vraiment d’habitudes et de structures de concertation, les chercheurs et les « praticiens » semblent constituer deux mondes étanches. Une directrice d’école maternelle, dans une Z.E.P. 247 de la banlieue parisienne, a fait un « appel d’offre » à une équipe de recherche universitaire pour l’aider à régler des problèmes complexes, que les enseignants n’étaient pas sûrs de pouvoir maîtriser seuls. L’anecdote montre à la fois l’existence d’une demande potentielle, quels effets positifs pourrait avoir une telle collaboration et à quel point la démarche de collaboration est inhabituelle. L’éducation au développement ne pourrait que bénéficier d’une concertation plus institutionnalisée entre chercheurs et enseignants.

A.Prost et son équipe, dans le rapport mentionné, se sont donc penchés sur l’articulation entre la recherche et le système éducatif et ont pointé les « procès en responsabilité réciproque », que se font chercheurs et enseignants. Les chercheurs reprochent souvent aux enseignants leur manque d’intérêt pour la recherche… « un public réticent, qui lit moins de publications professionnelles que beaucoup d’autres ». Ils constatent aussi que leurs recherches sont peu utilisées et que des points avérés, des solutions ayant fait l’objet d’une expérimentation positive, n’entraînent aucun changement dans le système éducatif. Ils se plaignent aussi de ne pas toujours être bien accueillis dans les établissements ou par les Inspecteurs, avec lesquels ils essaient d’entrer en relation. Beaucoup d’enseignants, de leur côté, reprochent aux recherches d’être inutiles, de « prouver des évidences » et aux chercheurs de ne pas tenir assez compte de leurs besoins et des conditions sur le terrain pour orienter leurs recherches. Ils se plaignent aussi du « langage abscons » utilisé par les chercheurs. Beaucoup, par contre, regrettent de ne pas être tenus suffisamment au courant des orientations et des résultats de la recherche. Si les recherches sur l’éducation au développement sont déjà rares, il y en a encore moins qui parviennent jusque dans les établissements. Ce malentendu s’explique surtout par l’absence de structure de concertation et par des objectifs pas toujours convergents : la recherche veut établir des vérités, les acteurs cherchent une efficacité rapidement. Le Ministère, malgré des incitations à travailler ensemble, ne favorise pas la concertation entre chercheurs et enseignants : en décembre 2003, a eu lieu un colloque sur l’éducation à l’environnement et au développement durable, suivi de réunions académiques visant à mettre concrètement des projets sur pied. Il rassemblait des directeurs d’établissement, des Inspecteurs, des administrateurs, des enseignants ( formateurs surtout ) mais aucun chercheur.

Le rapport Prost situe les solutions dans une restructuration profonde de la recherche. Il insiste sur la nécessité d’une concertation entre tous les participants : il faut élaborer une recherche, à partir de questions qui se posent sur le terrain et en collaboration avec les enseignants…d’où la nécessité d’un travail en réseaux. Les chercheurs isolés sont inconcevables dans ce domaine ( les actions d’innovation dans les classes devraient aussi remonter jusqu’aux chercheurs ). Il faut donc créer ou dynamiser des structures de coopération. L’INRP pourrait jouer le rôle de « vigie » et signaler les nouveaux domaines de recherche qui s’ouvrent et capitaliser les expériences et les découvertes. Les I.U.F.M. sont également particulièrement bien placées pour assurer la liaison entre recherche et pratiques pédagogiques. Elles ont longtemps connu des incertitudes sur leurs « missions » mais la recherche en fait partie. Au début des années 2000, elles commencent à lancer des « appels d’offre » en direction des établissements, pour un travail en commun, mais leur rôle reste insuffisant. Il faudrait restructurer aussi ces organismes indépendants qui ont l’avantage de couvrir toute la filière : recherche, expérimentation, conception de matériel pédagogique, formation et dont les effectifs diminuent actuellement. L’accroissement du nombre d’enseignants n’a pas entraîné « une croissance analogue du militantisme pédagogique ». Le rôle joué par les CRDP et CDDP est insuffisant et devrait être renforcé. Au niveau supérieur, il faudrait aussi, pour revitaliser la recherche, une instance de pilotage et d’évaluation. L’intérêt du réseau « Innovalo » est également cité dans

le rapport : ce n’est pas vraiment un réseau de recherche mais il accompagne les innovations et pourrait être un lieu de dialogue entre chercheurs, inspecteurs, formateurs, enseignants de terrain. La recherche manque également de chercheurs : il faudrait en former plus en sciences de l’éducation et attirer un maximum de candidats vers les doctorats. Elle est aussi trop « hexagonale ». La nécessité d’une coopération avec l’étranger se fait sentir. Il faut accueillir des chercheurs étrangers et envoyer de jeunes chercheurs français à l’étranger, après le doctorat. Il faudrait enfin que l’intérêt des chercheurs et la demande des enseignants permettent de mettre davantage en lumière le thème de l’Education au développement.

Depuis la publication de ce rapport, en 2002, la situation est peut-être en train d’évoluer : en novembre 2004, un colloque doit être organisé sur le thème « Chercheurs et praticiens dans la recherche ». Il est présenté comme «  une occasion pour des chercheurs, des professionnels et des formateurs, de confronter leurs conceptions des pratiques de la recherche et des rapports qu’elles entretiennent avec les pratiques professionnelles ». L’échange doit s’organiser autour de quatre thématiques : La formation comme médiation entre les praticiens et les chercheurs ; l’exploration de la pratique et la production des savoirs ; parole de praticien, parole de chercheur : restituer, dire, écrire ; les conditions d’une coopération entre praticiens et chercheurs.

Notes
247.

Z.E.P. : Zone d’éducation prioritaire.