Ils répondent aux besoins des jeunes de s’exprimer, sur leur vie, leurs soucis, l’actualité… et de poser plus ou moins directement des questions aux adultes. Pour J.Gonnet, « Le jeune met à nu, dans le journal ce qu’il n’ose dire à personne », « Il fait entendre sa voix », « par la magie du journal …il transforme un lieu d’enseignement en lieu de vie. ». A.Bounoure parle de « contre-pouvoir » 259 . En ce sens, les journaux lycéens sont un outil précieux pour le chercheur puisqu’ils permettent d’approcher les préoccupations des élèves à une époque donnée et si le journal paraît sur plusieurs années, d’essayer d’en comprendre l’évolution. Par le choix des thèmes abordés, ils peuvent nous permettre d’analyser l’importance de la dimension internationale dans le paysage des lycéens, leurs réactions face à ce monde dans lequel ils vivent, et éventuellement les changements qu’ils voudraient voir mettre en oeuvre. Ils peuvent aussi nous fournir des informations sur les activités internationales des établissements scolaires.
Mais sont-ils le reflet exact des préoccupations des jeunes ?Les « rédacteurs » sont peu nombreux par rapport à l’effectif global d’un établissement. Il est difficile de savoir s’ils sont à l’image de l’ensemble des élèves, représentatifs de leur classe d’âge ou des « pionniers » dans leurs préoccupations et leurs idées, s’ils veulent par l’intermédiaire du journal s’exprimer autrement que la majorité ou s’ils ont le souci de plaire à cette majorité en répondant à la demande ( les sondages sont très fréquents dans les journaux lycéens et la censure des camarades peut exercer une certaine pression). La présence d’un article sur l’Afrique par exemple, ne doit pas être considérée forcément comme l’expression d’un besoin manifesté par une majorité d’élèves. En outre les équipes sont changeantes d’une année à l’autre ce qui entraîne souvent un changement dans le ton et le contenu, voire même le titre. L’influence des adultes doit aussi être prise en compte. L’apparition d’un journal dans un établissement représente toujours un problème pour les enseignants et l’administration même s’ils en mesurent l’intérêt éducatif. Une certaine inquiétude devant le contenu suscite souvent le désir, plus ou moins avoué, d’encadrer le projet pour éviter les dérapages ( attaques personnelles ou prises de position politiques ) et assurer une certaine qualité d’information. Jusqu'à la fin des années 80, la presse lycéenne dépendait beaucoup des proviseurs. Pour limiter certains excès de censure et clarifier les droits et les devoirs des élèves, une législation a été mise en place en 1989 et 1991. Dorénavant les droits à l’expression des jeunes, mais aussi leurs obligations, sont en gros les mêmes que ceux des journalistes professionnels. Les chefs d’établissement peuvent néanmoins sanctionner les dérives et le Ministère se réserve le droit d’intervenir quelquefoiscomme aumoment de la guerre du Golfe où enseignants et élèves devaient s’abstenir d’aborder ce sujet pour ne pas courir le risque de créer des affrontements à l’intérieur de la communauté scolaire. En général, les jeunes acceptent de respecter les règles et pratiquent sans doute assez souvent l’autocensure. Le chercheur ne trouvera pas la moindre trace d’attitudes « politiquement incorrectes » comme le refus de l’interculturel, le refus de l’aide au développement…qui existent forcément chez les jeunes comme il existe chez les adultes. Ce sont aussi les élèves qui sollicitent souvent les adultes pour la réalisation du journal. Pour durer, les journaux lycéens ont besoin de la collaboration d’adultes. Elle est souvent réclamée dans le cas des articles de fond sur les problèmes de société ou d’actualité, notamment ceux qui concernent le développement et les cultures des autres continents où le lecteur sent la présence de l’animateur-adulte.
Un autre problème pour les chercheurs tient à l’irrégularité de la publication desjournaux lycéens et à une durée de vie généralement très éphémère. Les premiers sont apparus au XIX° siècle mais ils restent exceptionnels. Le lycée Henri IV à Paris en a produit un vers 1830. Le phénomène ne prend de l’ampleur qu’après la guerre, dans les années 60 et 70 surtout. Il connaît ensuite un reflux qu’on a du mal à expliquer, peut-être par le découragement des lycéens, mal écoutés par les adultes. Nombreux sont les journaux qui se limitent au n°1. Les séries que l’on peut consulter sont très incomplètes. Les établissements scolaires n’archivent pas systématiquement ( « S’il fallait qu’on garde tout ! » ) et ils n’ont pas obligation de déclarer leurs productions. Une étude sur une longue période est quasiment impossible. Ceux que l’on retrouve sont généralement récents ( la dernière décennie surtout ). Mais cela ne signifie pas qu’ils soient plus nombreux mais qu’on a eu plus de moyens pour les repérer et les archiver. Les encouragements du Ministère, dans les années 80 et 90 et de nouvelles structures peuvent constituer un puissant moteur. Le C.L.E.M.I. ( Centre de liaison de l’enseignement et des moyens d’information ), né en 1983, associé au CNDP et placé sous la tutelle du Ministère de l’Education, a « pour mission de promouvoir…l’utilisation pluraliste des moyens d’information dans l’enseignement afin de favoriser une meilleure compréhension par les élèves, du monde qui les entoure, tout en développant leur sens critique ». Il se charge donc de faciliter l’utilisation de la presse en classe et la réalisation et la collecte de journaux scolaires. Son site Internet essaie de convaincre les lycéens de déposer leurs publications. Le CLEMI possède environ 40000 exemplaires et 6000 titres, français et étrangers, quis’échelonnent depuis 1920. Mais toutes ces séries ne sont pas classées. Parallèlement « J.Presse » a organisé chaque année, depuis 1985, des forums de la presse lycéenne : « Scoop en stock », qui sont parrainés par la presse professionnelle ( Le Monde, Télérama, Phosphore, TF1, A2, FR.3…). Un concours de journaux permet de distinguer les plus intéressants. L’Académie de Grenoble a déjà remporté plusieurs prix ( par exemple en 1997, un prix a été obtenu par le collège Jules Ferry de Chambéry et le lycée de Meylan en Isère a été nominé deux fois ).
Le chercheur doit donc utiliser avec beaucoup de précautions les journaux lycéens : on privilégiera ceux qui présentent une assez grande longévité, une grande régularité et pour lesquels les élèves semblent avoir joui d’un maximum d’indépendance.
A.BONOURE, Lire les journaux lycéens, INRP/CLEMI, 1998.