Le commerce équitable : une nouvelle « entrée » possible

Cette notion nouvelle, née au sein d’associations, est devenue le fer de lance de leurs stratégies, en faveur du développement dans les P.E.D. et de la sensibilisation ici. Elle intéresse aussi certaines collectivités territoriales ( la région Rhône-Alpes a demandé une étude à la fin de l’année 2003 ). Devant les difficultés de l’éducation au développement telle qu’elle était pratiquée jusqu’à maintenant, elle commence aussi à pénétrer dans les écoles.

L’élaboration de la notion de « commerce équitable » s’appuie sur la convergence de deux facteurs. Les P.E.D., surtout depuis la 1° CNUCED en 1964, cherchent à obtenir des institutions internationales, une révision de l’organisation du commerce mondial, qui leur permettrait de mieux s’y insérer, de mieux vivre de leurs productions et donc de mieux se développer ( « Trade non Aid » ). Leurs efforts ont été souvent vains. Aussi une réflexion s’est amorcée, dans divers organismes, sur la recherche de voies alternatives : des circuits commerciaux plus directs entre producteurs et consommateurs, pour éviter les intermédiaires. Par ailleurs, des associations essaient aussi de mobiliser les gens ici et de leur faire prendre conscience de leur « pouvoir citoyen ». Parce qu’ils consomment, les habitants de la planète ont la possibilité de peser sur l’organisation du monde et de la faire évoluer. Des associations entrent donc en contact avec des producteurs des pays en développement ( l’abbé Pierre a été un des pionniers en France en favorisant la commercialisation de produits du Bangla-Desh ), font acheminer les produits dans les pays riches ( café, thé, chocolat, bananes, fruits séchés… et artisanat ) et les vendent dans des boutiques spécialisées. La première a été ouverte aux Pays Bas en 1969. En France, elles se multiplient depuis 1974 mais elles restent moins nombreuses que dans beaucoup d’autres pays européens. Elles sont gérées par l’association « Artisans du Monde ». Depuis la fin des années 90, les associations font des démarches auprès de la grande distribution pour ouvrir, aux produits du commerce équitable, des perspectives plus vastes. De grandes enseignes ont accepté de les exposer.

Les appréciations divergent sur l’importance et l’avenir du commerce équitable. La revue Economie et Humanisme, en juillet 2001, parle de « la percée du commerce équitable. Le Monde du 10 mai 2004 titre « la difficile percée du commerce équitable ». Il ne représente en effet que 0,01 % du commerce mondial et ne semble pas beaucoup inquiéter les firmes multinationales agro-alimentaires mais le phénomène gagne en ampleur. La France, qui est cependant en retard sur les pays du nord de l’Europe, voit le chiffre du commerce équitable augmenter chaque année, malgré des prix un peu plus élevés : 21 millions d’euros en 2002, 37 en 2003 et peut-être 50 en 2004 mais sa part dans le commerce équitable européen représentait seulement 3% en 2000. La vente des produits « équitables » en Europe, aurait profité, en 2002, à 800.000 travailleurs dans le monde, qui font vivre 5 millions de personnes, dans 50 pays. Elle emploierait ici 1250 salariés et 100.000 bénévoles 284 .

Les objectifs et les avantages du commerce équitable sont nombreux. Il s’agit d’abord de favoriser le développement des pays pauvres, en valorisant leur travail, leurs savoir-faire et leurs productions.

‘«  Pour améliorer les conditions de vie des petits producteurs du Tiers Monde, nous devons également soutenir les initiatives qui encouragent l’achat des produits tels que le café, directement auprès des coopératives de petits cultivateurs et cela, à des prix qui leur permettent de vivre dignement. Rigoberta MENCHU , Prix Nobel de la Paix ( 1994 )

Dans ce type de partenariat, le rôle du Nord n’est donc plus vraiment d’aider, mais de permettre aux producteurs des pays du Sud de mieux vivre de leur travail, en leur procurant un revenu minimal et en leur permettant d’éviter la pression des intermédiaires et des cours fluctuants. Cela a semblé d’autant plus nécessaire, à partir des années 90, que le cours de beaucoup de produits s’est effondré. Une productrice de cacao d’Amérique Latine, venue en France sur l’invitation d’une association, parlait, pour le commerce équitable, d’une rémunération environ un quart supérieure à celle des circuits commerciaux habituels. Au Congo, le revenu des paysans intégrés dans ces circuits a augmenté en moyenne d'un tiers. Les associations, ici, traitent généralement avec des coopératives dans les P.E.D., ce qui a l’avantage d’en multiplier la création. Une partie des bénéfices restent dans les coopératives, qui investissent dans le développement du village. Le commerce équitable permet aussi de promouvoir une production de qualité. C’est la condition imposée par les associations ici : le label Max Havelaar, dont ces produits sont dotés depuis la fin des années 80, est une garantie que les méthodes de production ont été respectueuses de l’environnement 285 . Le commerce équitable, même s’il a des limites, a aussi pour but de montrer que des alternatives sont possibles aux règles actuelles du commerce international et qu’on peut contribuer à le réformer, pour le rendre plus juste, en utilisant son pouvoir de consommateur. Il permet aussi d’obtenir des grandes surfaces de vente qu’elles fassent pression sur les

circuits de distribution pour qu’ils privilégient les pays et les entreprises qui respectent les droits de l’Homme, notamment la réglementation du travail des enfants et le droit à la parole dans les entreprises. Le consommateur, averti, privilégiera les « gentils magasins » qui acceptent de s’engager sur la défense des droits de l’Homme dans les pays du Sud, en signant, pour certains, des sortes de « codes de conduite ». On parle alors de « commerce éthique ».

Même si le commerce équitable n’est souvent, pour des grandes firmes, qu’une vitrine et « les codes de conduite » que des « coquilles vides », il a le grand avantage d’être très « pédagogique », de pouvoir faire naître concrètement la réflexion sur l’organisation du monde. En partant d’exemples concrets, les produits du Tiers Monde, on peut remonter la filière et faire comprendre quelques mécanismes, qui expliquent les inégalités de développement. C’est une des raisons pour lesquelles il peut devenir un levier important de l’éducation au développement en milieu scolaire. Ces nouvelles pratiques semblent réussir à l’école et quelques animateurs se sont engagés dans cette direction. Ils peuvent trouver un appui auprès d’associations dont certaines se sont créées spécialement pour les faire connaître. C’est le cas de « Equisol » basée à Lyon et à Grenoble, qui recrute beaucoup parmi les étudiants. Au niveau national, un collectif d’associations, « De l’éthique sur l’étiquette » regroupe des ONG surtout mais aussi la Fédération française des clubs UNESCO, une association de parents d’élèves, la CFDT, des organisations sportives, la Ligue des droits de l’Homme, des groupes de consommateurs. Il a pour but de promouvoir des règles éthiques pour tout ce qui concerne les transactions commerciales. Son action s’oriente beaucoup vers les écoles. Dans la région Rhône-Alpes, les sessions de formation, destinées en particulier aux enseignants et étudiants et organisées par ces associations, se sont multipliées depuis un ou deux ans. Ces nouvelles approches semblent susciter de l’intérêt chez les jeunes, sans doute parce qu’elles touchent à la vie de tous les jours ( la consommation est une notion importante dans cette catégorie de population ) et parce qu’ elles permettent d’agir concrètement. L’Education Nationale a reconnu l’intérêt du commerce équitable, puisqu’en 2002, un texte le concernant a été proposé, en géographie, aux candidats au baccalauréat.

Quelques exemples d’actions, dans le milieu scolaire et universitaire, montrent comment utiliser le commerce équitable, au service de l’éducation au développement. D’abord, les associations ont réorienté leur production pédagogique et leurs interventions, en s’appuyant sur lui. Elles proposent des documents bien adaptés aux scolaires : expositions, fascicules, jeux pédagogiques…particulièrement nombreux sur ce thème. Le Collectif « De l’éthique sur l’étiquette » a élaboré une exposition sur les jouets, qui a circulé dans les écoles, en novembre et décembre 2001, peu de temps avant Noël et a eu du succès. Le jeu « Décoder l’assiette » permet, grâce à un questionnaire, d’analyser le contenu du repas de la cantine et ses implications économiques et sociales. Un projet important a été élaboré par un collectif d’associations de la Région Rhône-Alpes : une information sur l’année qui concerne trois thèmes, le travail des enfants, le commerce équitable, le développement durable et dont l’un des buts est de montrer aux jeunes qu’ils peuvent, eux aussi, agir 286 . Il a suscité quelques réticences de la part de l’Inspection Académique du Rhône qui a demandé de revoir le contenu du point 2.

Document 18 : Un collectif d'associations propose des animations aux établissements scolaires
Document 18 : Un collectif d'associations propose des animations aux établissements scolaires

Des actions ont été organisées ponctuellement dans des établissements de l’Académie. Dans un LP de la région de Chambéry, en 2002, un petit projet a été monté sur le commerce équitable : un stand d’information, lors d’une « journée portes ouvertes », avec des boissons venues d’Afrique. Il n’était porté que par un très petit nombre d’élèves mais il a quand même débouché sur une demande d’information sur la dette. Les petits déjeuners ou les goûters « solidaires » composés de produits du Sud, dont on raconte l’histoire et les conditions de production, sont un autre moyen de sensibilisation. A Crémieux, en Isère, un professeur en BTS souhaite montrer à de futurs commerciaux qu’il existe d’autres formes d’échanges. Après une présentation théorique du commerce équitable et un jeu pédagogique ( « Le jeu du café » ), il fait réaliser à ses élèves une étude de marché dans les grandes et moyennes surfaces de la région, sur les produits « Malongo » du commerce équitable ( mise au point de questionnaires, enquêtes sur place, dépouillement, rédaction d’un rapport d’étude ) 287 .

Des « campagnes » sont lancées aussi au niveau national, notamment par le Collectif « De l’éthique sur l’étiquette ». Elles visent en particulier les jeunes. La campagne « Libère tes fringues », en 1995, avait pour objectif de dénoncer les pays qui ne respectent pas les libertés syndicales et une législation sur le travail des enfants ( interdiction du travail forcé, âge minimum d’admission au travail, durée du travail limitée, santé et sécurité dans le travail, obligation d’une rémunération…). Elle voulait aussi montrer aux jeunes qu’ils pouvaient agir en tant que consommateurs. Le DOCUMENT 19 intitulé « Pour l’école consommons éthique », propose, sur le modèle des bulletins trimestriels, une évaluation des grandes surfaces. Elle fournissait aussi aux élèves des statistiques, des fiches d’enquêtes, des textes qui mettaient en œuvre une réflexion sur l’organisation du commerce mondial, la politique de délocalisation, les conditions de travail dans les PED et leurs habitudes et leurs responsabilités de consommateurs. En 1998, la campagne « Exploiter n’est pas jouer » attirait l’attention sur les conditions de fabrication des jouets notamment en Chine. Une nouvelle campagne internationale est lancée en 2004 à l’occasion des Jeux Olympiques : « Jouez le jeu pour les J.O. ». La campagne s’adresse au Comité International Olympique qui fonde ses valeurs sur « le respect des principes éthiques fondamentaux universels», aux entreprises du sport pour qu’elles respectent les droits concernant l’homme au travail et à tous les consommateurs qui peuvent exercer des pressions. Les jeunes semblent devoir être particulièrement réceptifs à cette campagne dans la mesure où ils achètent beaucoup de vêtements et de chaussures de sport. Des interventions en milieu scolaire du Collectif, « De l’éthique sur l’étiquette » sont prévues. Des pétitions seront remises au CIO le jour de l’ouverture des J.O. d’Athènes, en août 2004.

Document 19 : Pour l'Ecole, consommons éthique : Carnet de notes des hypermarchés
Document 19 : Pour l'Ecole, consommons éthique : Carnet de notes des hypermarchés

Une autre initiative liée au commerce équitable rencontre beaucoup moins de succès. Il s’agit de la création de magasins « Jeunes du Monde » dans les établissements scolaires. Il n’en existe pratiquement pas en France ( deux seulement m’ont été signalés sans date et sans localisation précise ). Il s’agit d’une structure, entièrement gérée par les élèves, qui pourrait être, à la fois, un lieu de discussions, un magasin pour les produits du commerce équitable et à travers lui, un lieu d’information. La tâche paraît lourde aux enseignants qui encadreraient cette structure et le projet se heurte en outre à quelques dispositions légales : les lycéens mineurs n’ont, en principe, pas le droit d’effectuer des actes de vente.

Nous citerons enfin une opération inédite, en 1998. Dans l’esprit de la défense des droits des travailleurs que sous-tend le commerce équitable, une « marche des enfants » a été organisée par des mouvements syndicaux et associatifs pour dénoncer le travail des enfants et lutter contre l’analphabétisme dans le monde. Les marcheurs étaient des enfants travailleurs qui ont parcouru les 4 continents pour arriver à Genève. La presse locale et nationale a rendu compte des principales étapes et leur passage a été l’occasion de rencontres et de débats. Les enfants des établissements français ont été invités à participer brièvement à cette marche.

Notes
284.

Statistiques extraites de diverses publications d’associations humanitaires.

285.

Max HAVELAAR est un hollandais qui fut administrateur colonial, en Indonésie, au milieu du XIX° siècle. Il soutint souvent les populations, qui dépendaient de sa juridiction, contre l’administration hollandaise.

286.

Cf. DOCUMENT 18 : Un collectif d’associations propose des animations aux établissements scolaires.

287.

Témoignage de l’enseignant.