Il y a un point commun aux engagements actuels, quelle que soit la forme qu’ils prennent, c’est qu’ils se font de plus en plus souvent en dehors des structures scolaires et universitaires. Le désir d’échapper aux structures existantes est sans doute le caractère original de cette mobilisation. C’est parfois difficile pour des jeunes de s’intégrer dans des organismes pré-établis ; certains veulent être libres de mener leurs propres actions et n’ont pas envie de partager les décisions avec des adultes. Cela condamne tous les clubs de lycées, qui ne semblent plus répondre aux besoins actuels, et toutes les actions organisées dans le cadre des foyers socio-éducatifs comme dans le passé. Ils semblent d’ailleurs de moins en moins nombreux d’après certains responsables académiques. Si cette tendance devait se confirmer, les lycées pourraient n’être alors qu’un relais d’information sur des activités extérieures. Beaucoup d’actions menées par des étudiants d’universités ou d’écoles supérieures sont totalement autonomes aussi, elles ne doivent rien aux structures universitaires, ni aux enseignants qui ne sont généralement pas partie prenante. Les seuls liens avec l’université ou l’école d’origine est qu’ils y font tous, leurs études et qu’ils se réunissent le plus souvent dans ses locaux. Une exception cependant, la coopération technologique, dans l’enseignement technique, se fait dans le cadre des cours 289 .
Les positions à l’égard des associations sont également complexes. En décembre 2000, l’enquête de la SOFRES sur « les jeunes et la citoyenneté d’aujourd’hui » montre que beaucoup, même s’ils reconnaissent le rôle positif des associations, préfèrent agir dans des cadres moins rigides, pour « se garder une marge de manœuvre ». Au contraire, pour une militante du CCFD, spécialisée dans les rapports avec les écoles, les jeunes ont besoin des adultes et le savent. « C’est un mythe qu’ils veuillent s’en débarrasser ». Quelques élèves d’un lycée chambérien ont crée un club, qui semble totalement autonome à l’égard de l’établissement, mais ont décidé de collaborer avec une ONG, « Pharmaciens sans frontières » pour le compte de laquelle ils ont fait des enquêtes au Burkina Faso. Il semble en effet que, s ‘ils ne souhaitent pas s’y immerger, ils travaillent en réseaux avec des associations existantes. Un ex-lycéen le confirme : « quand on prend des baffes sur le terrain…on se rapproche des ONG pour des explications et des conseils ». L’association « Sup de Cœur » de l’école de commerce de Chambéry coopère actuellement avec une ONG, « Hydraulique sans frontières » pour la construction d’un barrage au Mali. Elle a organisé un après-midi culturel dans un quartier de Chambéry. Les organismes divers qui s’intéressent à l’Education au développement, sont conscients du désir d’autonomie des jeunes et cherchent à les aider dans leur démarche. Plusieurs se sont regroupés à Chambéry pour élaborer un dépliant destiné aux jeunes savoyards désireux de monter un projet de solidarité internationale 290 .
Les voyages sont la base incontournable de ce nouveau type d’engagement. Ils se multiplient et ont pour objectif, soit de faire une enquête, soit de lancer une action. Ils ne sont pas un phénomène nouveau, des établissements scolaires et universitaires en ont organisé dans le passé, pour les élèves qui animaient une action de développement. Mais actuellement, eux aussi se font, très souvent, en dehors des structures universitaires et scolaires. Des lycéens et des étudiants s’organisent à plusieurs, indépendamment de l’établissement. Divers organismes et associations encouragent ces initiatives et il est relativement facile de trouver des financements, à condition de pouvoir monter un projet solide. En 2001, 3 lycéennes et 2 étudiants de Chambéry sont partis au Bénin avec une « bourse jeunes », une subvention des Affaires étrangères, une de Emmaüs et les sommes récoltées au cours de différentes actions. Le thème de leur étude : l’alphabétisation et le trafic des enfants.
Mais ces projets peuvent engendrer un certain nombre de dérives, en particulier les voyages. Nous avons déjà signalé le comportement de certains jeunes qui seraient tentés de faire trop confiance à leurs compétences techniques et de se présenter en « expert » devant leurs partenaires africains. Les organismes qui disposent de fonds témoignent aussi qu’ils sont souvent sollicités par des jeunes qui souhaitent partir en Afrique mais sans projet précis ou avec un projet mal monté et qui veulent seulement se faire payer le voyage. Des projets « m’as-tu vu » voient aussi le jour mais ne sont pas réalisables. Pour certains, l’Afrique est devenue un phénomène de mode. C’est l’aventure, le soleil, la solidarité, la musique. Un voyage ou une expatriation peuvent être un moyen de donner un sens à sa vie quand on se sent mal. « Ces jeunes là sont peu nombreux et on les détecte vite » dit un responsable d’association. Pour lutter contre ces dérives, une information est indispensable. Le CCFD a élaboré 6 cahiers pédagogiques intitulés « Visa pour le voyage ». Une formation est souvent la condition nécessaire pour obtenir des subventions. Cette formation peut consister en stages : à Chambéry, le service des relations internationales de la Mairie et le CCFD organisent des week-ends de sensibilisation qui, outre une préparation matérielle et des renseignements pratiques, ont deux objectifs : donner quelques connaissances sur les réalités africaines pour éviter les chocs culturels, les maladresses et les malentendus dans les rapports avec les populations et aussi faire prendre conscience que la plupart d’entre eux n’ont pas grand chose à apporter en termes de compétences. Aller dans le Sud, c’est d’abord aller à la rencontre d’autres peuples, d’autres cultures. Il faut donc se préparer à mieux les rencontrer. Au retour, ces organismes peuvent aider les voyageurs à réfléchir aux manières de transmettre leur expérience autour d’eux et d’être « des acteurs de la solidarité » ici 291 .
Cf. 3° partie : « L’Afrique dans l’enseignement Secondaire : des contenus divers »
Cf. DOCUMENT 20 : « Un projet de solidarité internationale ? »
Témoignages d’un responsable local du CCFD et d’un chargé de mission de la mairie de Chambéry.