Comment expliquer cette mobilisation plus grande de l’enseignement agricole ?

Deux raisons surtout expliquent l’intérêt de certains établissements pour le Sud 308 : les caractères spécifiques de l’enseignement agricole et une certaine sensibilité du monde agricole aux relations Nord-Sud et à la coopération. L’éducation au développement est officiellement une des « missions » de l’enseignement agricole et le Ministère de l’Agriculture lui a donné des moyens, tous les témoignages le reconnaissent. Ces établissements et leur directeur jouissent d’une assez grande autonomie qui peut contribuer à la mobilisation. Nous avons déjà signalé l’existence de cadres de travail bien adaptés, la présence d’ « animateurs culturels » qui sont en partie déchargés de cours. Tout ne repose pas sur le bénévolat même s’il reste encore la règle : la situation est donc plus favorable que dans l’Education Nationale. L’intérêt de l’organisation en réseaux est reconnu par tous car «  on se conforte entre collègues, dit un enseignant, et on recueille des informations indispensables ». La formation ( initiale et continue ) est beaucoup plus poussée dans l’enseignement agricole. Les structures des établissements se prêtent, également, assez bien, à la présence de relations Nord-Sud. Ce sont souvent des établissements de plus petite taille, avec une proportion importante d’élèves internes ( 50 % en moyenne ). Cela crée une ambiance propice : il est plus facile de mettre en route une action, de banaliser une journée ou une semaine par exemple, que dans des établissements plus grands, où les élèves s’en vont quand ils n’ont pas de cours. La présence de la profession aux côtés des enseignants est aussi un encouragement.

La sensibilisation du monde agricole aux problèmes des PED et aux relations Nord-Sud paraît plus grande, ces dernières années. Les préoccupations Tiers Mondistes y ont été longtemps marginales. « Le Larzac » a introduit une dimension internationale dans les luttes paysannes et quelques élans de solidarité se sont manifestés contre la famine au Sahel. C’est à cette époque qu’a été crée l’AFDI par exemple. Mais les organisations paysannes restaient largement indifférentes à ces problèmes. Les positions ont évolué dans les années 90 surtout. Les syndicats et les organisations professionnelles y réfléchissent de plus en plus et commencent à tenir un nouveau discours, sous l’influence notamment de jeunes agriculteurs dont beaucoup viennent de la JAC ( jeunesse agricole catholique ). Ils sont plus ouverts aux problèmes de sécurité alimentaire et se rendent compte que toute réflexion sur l’agriculture débouche forcément sur la prise en compte des problèmes du Sud. Ils ont aussi conscience qu’ils ont des points communs ( l’attachement à la terre, le rapport à l’eau…) et des problèmes analogues avec les agriculteurs du Sud. Dès 1984, les Cahiers pédagogiques publient une étude sur le monde rural en France, qui dit que « les agriculteurs ont l’impression d’être les co-exploités d’un système qui les dépasse ». Les problèmes agricoles se posent donc en termes internationaux. Ce nouvel état d’esprit se manifeste dans les activités des organisations paysannes. Elles sont parfois partie prenante dans des ONG, qui reconnaissent qu’il est souvent plus facile de travailler avec elles qu’avec des syndicats ouvriers, qui se veulent pourtant à vocation internationale. En février 2002, au salon de l’agriculture, ont eu lieu des rencontres entre le CNJA, la FNSEA et des jeunes agriculteurs responsables d’organisations paysannes en Afrique de l’ouest. L’objectif était de réfléchir ensemble aux enjeux impliqués par la récente conférence de l’OMC. L’appel d’un agriculteur d’Afrique de l’ouest semble avoir marqué les esprits : « Laissez nous vivre de nos agricultures en nous protégeant de l’instabilité du marché mondial et de la concurrence des produits importés à bas prix ». Au Congrès de mars 2002, un débat avec des représentants de paysans africains a permis des échanges sur le commerce international et les enjeux internationaux de l’agriculture.

Toute la profession agricole n’a naturellement pas ce type de préoccupations et jusqu’à maintenant il n’y a pas eu de mobilisation collective pour attirer l’attention sur les grands déséquilibres mondiaux. Un témoignage faisait remarquer, que jamais les agriculteurs français n’avaient barré les routes, ni interpellé les ministres, sur la gravité des problèmes de l’alimentation dans le monde. Mais le courant est assez fort pour que cela influe sur les prises de position de ses représentants. Cela influe aussi forcément sur l’enseignement agricole dans lequel la profession est très présente. Les organisations agricoles, chambres d’agriculture, syndicats, associations, les collectivités territoriales sont des partenaires de l’enseignement agricole. Elles sont souvent sollicitées par les établissements agricoles, aussi bien au niveau de l’éducation au développement ici, que des actions dans les PED. On trouve dans les archives de certains établissements des lettres d’encouragement émanant de la chambre d’agriculture de l’Ardèche par exemple.

Notes
308.

Sources : comptes-rendus d’enquêtes et témoignages de personnes contactées.