Comment les établissements scolaires ont-ils pris en charge les relations Nord-Sud : les aspects positifs

Le premier point positif est la mobilisation d’enseignants et d’élèves minoritaires certes mais très motivés : certains se disent eux-mêmes « marqués pour la vie ». Ce sont les enseignants des années 60 et 70 qui ont commencé à introduire le Tiers Monde à l’école. Cette génération a vu, dans l’émergence du Tiers Monde et la révélation de sa misère, un moyen de promouvoir un monde plus juste. Ils ont longtemps été des pionniers, souvent isolés, mais très influencés, selon eux, par des traditions familiales, des contacts, un attachement à des valeurs humanistes et une révolte contre les inégalités du monde. Il est banal de souligner le rôle des individualités mais il a été particulièrement important dans ce domaine : une école s’est souvent « mise en branle » sur l’initiative d’un enseignant. Des ex-coopérants y ont pris une part importante : ils souhaitaient témoigner de leur expérience et partager leurs découvertes et leurs inquiétudes. Quelques entretiens et la concordance des dates permettent d’affirmer que le retour en France des premiers coopérants est une des raisons de la pénétration de l’Afrique à l’Ecole. Certains d’entre eux regrettent que le système éducatif n’ait pas mieux utilisé leur expérience et leur connaissance de l’Afrique au service de l’éducation au développement.

L’impulsion est venue de certains élèves aussi. Selon le résultat des enquêtes, ils ont été intéressés dans l’ensemble, surtout dans les années 70 et 80 où ils découvraient d’autres mondes et avaient l’impression, à l’intérieur de la classe, d’être en prise avec l’actualité. Ceux qui ont fait l’objet d’une expérimentation pédagogique systématique sur l’éducation au développement paraissent d’ailleurs mieux armés face à l’ouverture internationale et plus tolérants que les groupes de référence 313 . Ceux qui sont allés plus loin et ont fait partie de clubs « solidarité » considèrent généralement que ces activités ont été un des points les plus positifs de leurs « années-lycée ». Quelques « anciens » ont choisi des études axées sur les pays du Sud et leur développement et un nombre relativement important, une fois entrés dans la vie active, déclare privilégier ces questions dans leur vie professionnelle ou leurs engagements personnels.

Les années 80 sont des années fastes, au moins pour l’enseignement primaire et secondaire. L’enseignement supérieur paraît en retrait ; il s’engage davantage dans les années 90. Des initiatives diverses se multiplient, encouragées par l’institution et soutenues par des associations ou des collectivités locales. Elles sont souvent très créatives et présentent un grand intérêt, à la fois pour l’éducation au nord et pour le développement dans le sud. Les études de cas introduites dans la troisième partie donnent une idée de leur variété. Des enseignants abordent ces questions dans leurs cours et dans les activités périscolaires qu’ils animent. Ils allient généralement l’information qui a souvent été leur priorité et l’action humanitaire. Les relations avec le Tiers Monde et la participation à des « micro-réalisations » se multiplient. Les écoles qui passaient le plus souvent par l’intermédiaire des associations, commencent à gérer elles-mêmes le partenariat et à établir des liens plus durables et plus personnalisés avec les pays en développement. L’Afrique a été souvent le support privilégié de l’éducation au développement et surtout le destinataire des actions parce qu’elle présentait une situation particulièrement dramatique et à cause des liens qui nous unissaient à elle.

Le deuxième point positif tient à la capacité des acteurs du système éducatif à faire évoluer l’analyse des problèmes du Sud et la conception des rapports nord-sud. A la base comme au sommet, certains ont essayé de faire passer une nouvelle manière de définir l’éducation au développement. Le contenu en a changé, s’est précisé depuis les années 70, même s’il n’a pas été le même pour tout le monde. L’Ecole a évolué de l’acceptation de la colonisation au partenariat, d’une conception caritative de l’aide à une vision plus planétaire des problèmes…un bond considérable, sur trois ou quatre décennies seulement, pour une institution qui passe souvent pour « difficile à bouger ».

De la défense de l’œuvre coloniale de la France, dans les années 50, qui voisinait, d’ailleurs, avec la valorisation de l’esprit des Nations Unies, on est donc passé, dans les années 60 et 70, à la sensibilisation au Tiers Monde. Elle avait pour but de mettre en relief les inégalités qui régnaient entre les différents continents et la gravité du problème à cause du poids du Tiers Monde dans la population mondiale et parce que les besoins fondamentaux, tels que l’autosuffisance alimentaire, la santé, l’éducation, n’étaient pas assurés. Elle débouchait souvent sur l’organisation de la solidarité sous la forme de « l’aide au développement ». Cette approche des relations nord-sud faisait appel à la sensibilité, l’affectif et était sans doute une étape inévitable. Des décennies plus tard, elle n’a pas disparu mais toute une réflexion a été engagée depuis et a fait évoluer les conceptions, dans le milieu scolaire et universitaire comme dans la société en général.

A partir de la fin des années 70 surtout, un certain consensus s’est établi entre le Ministère, la majorité des enseignants qui s’investissent et les associations qui collaborent avec eux, sur le contenu et les pratiques de l’éducation au développement. D’abord les connaissances s’élargissent. L’éducation au développement propose des analyses plus approfondies du « sous-développement » et de ses origines et fait intervenir d’autres explications, qui, au delà des aspects spécifiques du Tiers Monde, concernent l’organisation de l’économie mondiale, comme les dysfonctionnements du commerce international par exemple. Elle s’ouvre aussi au domaine culturel et intègre l’étude des civilisations des autres continents ( même si leur place a tendance à diminuer dans les programmes ). Faire connaître les autres dans leur dimension culturelle est un moyen de faire comprendre aux jeunes qu’ils ne sont pas les dépositaires de la Civilisation et que d’autres peuples sont dignes d’intérêt. C’est aussi un moyen de cerner les situations locales et les attentes des partenaires avec lesquels on est en relation. L’éducation au développement insiste aussi sur la notion d’interdépendance entre les pays et essaie de faire prendre conscience du besoin que nous avons les uns des autres et des interactions qui existent entre les décisions qui sont prises, ici ou là, et leurs effets sur l’ensemble du monde. La notion de solidarité a évolué de l’action caritative au partenariat et inclut une réciprocité dans les apports des partenaires. L’éducation au développement suppose donc une autre conception du monde, qui intégrerait tous les continents dans un ensemble planétaire au niveau duquel, il faudrait régler les problèmes et où chacun trouverait sa place et une possibilité de s’épanouir.

A travers l’exemple de l’Afrique, l’éducation au développement participe aussi à un enseignement des valeurs.Elle fait partie d’un ensemble plus large qui inclut l’éducation aux droits de l’Homme, à la citoyenneté internationale, à l’environnement qui sont considérées maintenant comme une « mission » de l’Ecole et inscrites dans les circulaires officielles. Cette nouvelle « morale » fait l’objet de l’ouvrage de L. Legrand, Enseigner la morale aujourd’hui 314 . L’auteur ne dissimule pas la difficulté de définir ces valeurs et d’adopter une pédagogie ajustée à chaque âge et, au delà des connaissances, permettant de faire évoluer les comportements. Mais elles sont indispensables car il n’y a pas de véritable éducation sans référence à des valeurs. Un consensus s’est donc établi sur la nécessité « d’enseigner » à l’école, la justice, la tolérance, le respect de l’autre, la solidarité, qui sont particulièrement concernées dans les relations nord-sud, d’évoquer les problèmes du monde à la lumière de ces valeurs, de favoriser la compréhension internationale et la relation à l’autre. Ces nouveaux objectifs sont bien résumés dans le rapport des chercheurs de l’INRP et des enseignants à l’issue d’une expérience déjà signalée en lycée ( 1988 )  315 :

‘« Elle ( l’école ) est confrontée à une tâche éducative nouvelle : préparer les jeunes aux enjeux du monde, les conduire à une réflexion d’ordre intellectuel et éthique, pour mieux les comprendre et y faire face…Une composante essentielle de l’Education Civique de notre temps : contribuer à déchiffrer le monde, ses richesses, ses attentes, ses défis, les relations qui s’y tissent et faire en sorte que ce monde d’interdépendances soit aussi davantage un monde de justice, de dignité, de solidarité ».’

L’éducation au développement a enfin été un levier pour faire évoluer lescontenus et les méthodes de l’enseignement : on ne peut pas aborder une éducation à la compréhension internationale comme on aborde les mathématiques ou la géographie. Elle a nécessité des méthodes plus actives, où l’élève est amené à réfléchir par lui-même, à participer davantage et à agir. Elle est particulièrement concernée par la pratique de l’interdisciplinarité et elle a contribué à une ouverture des établissements sur l’extérieur, en introduisant des intervenants venus des associations et quelquefois originaires du Tiers Monde et en y faisant pénétrer « le vent du monde ». Elle a donc été un vecteur, parmi d’autres, des transformations de l’Ecole et de l’introduction d’un enseignement plus novateur. Elle a contribué aussi à faire évoluer le métier d’enseignant. L’enseignant n’est plus seulement celui qui « instruit » mais aussi celui qui ouvre aux problèmes du monde. Cela modifie singulièrement la relation maître élève. A côté de « dispenser des connaissances », coexiste le « faire ensemble ». Beaucoup d’enseignants témoignent que, quand on a animé des clubs et établi avec les élèves des relations plus proches, plus confiantes et plus gratifiantes pour le maître, il devient impossible d’enseigner de la même façon qu’auparavant. Aller en Afrique avec des élèves et partager la découverte de ce continent est une expérience irremplaçable, qui marque une carrière d’enseignant. Au tournant du siècle, grâce à cette nouvelle conception de l’Education, un nouveau type d’enseignant est-il en train de naître ?

Notes
313.

Cf.enquêtes menées par l’INRP sur ce thème, L’éducation au développement : ouverture de l’histoire et de la géographie à la compréhension internationale, INRP, 1984et L’éducation au développement en lycée, INRP, 1988.

314.

L. LEGRAND, Enseigner la morale aujourd’hui, P.U.F., 1991, 176 p.

315.

Cf. op.cit.