Un rôle et une influence limités

Cependant l’éducation au développement n’a pas répondu totalement aux besoins. Elle a toujours été un phénomène minoritaire dans les établissements, à tous les niveaux. Elle n’a toujours concerné qu’un petit nombre d’enseignants et d’élèves et n’a pas donné lieu à une prise en charge généralisée. Enseignants et élèves engagés se plaignent souvent d’avoir été isolés, peu aidés par les collègues et les camarades, et ignorés de l’institution. Les enseignants se plaignent aussi de manquer de moyens et font au système éducatif le reproche de trop compter sur le bénévolat. L’éducation au développement a pâti également de l’insuffisance de la formation. F. Fillon, ministre de l’Education Nationale, a déclaré à la télévision, en 2004, que « la France est un des pays développés où la formation continue est la moins importante » 316 . C’est particulièrement vrai pour tout ce qui touche l’Afrique et les relations Nord-Sud en général. Devant l’urgence d’autres préoccupations, elles n’ont obtenu qu’une portion congrue aussi bien dans la formation initiale que dans la formation continue. Beaucoup d’enseignants ont donc hésité à se lancer dans des activités complexes et qu’ils pensaient mal maîtriser, ce qui explique la présence limitée du Tiers Monde dans les établissements. L’éducation au développement a également peu intéressé la recherche, à part dans les années 80, où le Ministère a fait un réel effort pour lui donner sa place dans l’enseignement. L’enseignement supérieur commence seulement à s’y investir. Elle donne donc l’impression d’îlots de dynamisme au milieu d’une assez grande indifférence. Elle a été, en tout cas, en deçà des recommandations ministérielles et des besoins réels. Même à partir du moment où le Ministère s’engage davantage et où l’ouverture internationale est devenue une dimension des établissements, les pays du Sud sont restés les parents pauvres. L’ouverture s’est faite essentiellement en direction de l’Europe, de l’Amérique du Nord et de quelques pays d’Asie, plus intéressants économiquement. Les autres continents sont marginalisés malgré l’importance de leurs populations, l’intérêt de leurs cultures et la profondeur des problèmes auxquels ils sont confrontés…phénomène grave qui risque d’avoir plus tard des répercussions difficiles à gérer pour la communauté internationale.

Les bilans faits auprès des élèves ne sont pas, non plus, très convaincants. Des stéréotypes persistent ( images des populations africaines, supériorité du modèle occidental…) et les mêmes efforts doivent être repris à chaque génération. Les mentalités ont finalement peu évolué, alors que des générations d’élèves se sont succédé sur les bancs de l’Ecole, depuis les années 60. A l’instar d’une enseignante qui témoigne : « Quand ils ont compris quelque chose d’important…quelle joie ! », tous les enseignants doivent-ils se contenter de ces « petits bonheurs » ? Les lycéens actuels ne semblent pas mieux préparés à la compréhension de l’autre, ni plus enclins à s’engager, qu’il y a deux décennies, malgré des conditions plus propices à la communication. Selon les résultats d’une des enquêtes de l’INRP 317 , en 1988, l’Ecole a « formé de bons élèves mais pas de vrais citoyens ». Cette relative indifférence, qui ne recule pas, est d’autant plus préoccupante que nos représentations se forgent le plus souvent pendant ces années de formation : un jeune qui n’a pas été habitué à réfléchir à ces problèmes, risque de ne pas le faire plus tard.

‘« L’image que nous avons des autres peuples et de nous-mêmes, est associée à l’histoire qu’on nous a racontée, quand nous étions enfants. Elle nous marque pour l’existence entière. Sur cette représentation se greffent, des opinions, des idées fugitives ou durables. » M. FERRO 318

En outre, après la période faste des années 70 et 80, la situation ne paraît pas beaucoup s’améliorer : l’éducation au développement connaît de grandes difficultés à l’aube du XXI° siècle. Susciter l’intérêt, organiser des activités, assurer la relève et de manière générale, convaincre de son importance, sont des entreprises difficiles. La multiplication des problèmes matériels ( locaux, emplois du temps…), la complexité des questions qui sous-tendent l’éducation au développement, l’indifférence de beaucoup d’élèves sont souvent décourageantes. La difficulté croissante, dans certains établissements, à faire coexister des cultures différentes, est vécue parfois comme un échec. L’effacement de l’éducation au développement dans les projets de l’Ecole, depuis les années 90, est également manifeste. D’autres notions sont mises en avant, comme le développement durable  319 , dans lequel l’éducation au développement est incluse mais aussi « noyée ». S’il y

a des liens très étroits entre elle et l’éducation aux droits de l’Homme, à l’environnement, à la citoyenneté, elle doit conserver néanmoins une place aux pays du Sud dans les préoccupations de l’Ecole, car malgré leur diversité et leurs chances inégales, ils ont des problèmes spécifiques auxquels il est urgent de trouver une solution.

Notes
316.

Emission « 100 minutes pour convaincre », France 2, novembre 2004.

317.

I.N.R.P., op. cit.

318.

FERRO M., Comment on raconte l’histoire aux enfants à travers le monde entier, Payot, 1981.

319.

Rapport BRUNDTLAND ( 1987 ).