L’Ecole pouvait-elle faire mieux ?

On lui a demandé beaucoup, sans doute trop…d’être attrayante pour contrebalancer l’influence des médias, tout en conservant le souci d’analyses approfondies et de savoirs parfois encyclopédiques, d’éclairer les jeunes sur des problèmes de société, de forger des comportements adaptés à la vie sociale et internationale, de repérer et de traiter les déviances…c’est à dire de réussir là où les parents, les institutions, la société en général, ont souvent échoué ! 320 . Des enseignants se plaignent de voir la société se décharger de ses responsabilités, sur l’Ecole. Elle ne pouvait sans doute pas faire beaucoup mieux dans les conditions qu’elle a connues. Rappelons que l’éducation des jeunes ne se fait pas seulement à l’école, que d’autres influences participent à leur formation et contribuent à leurs « représentations » : la famille, les médias, les autres jeunes qu’ils fréquentent dans des « bandes de copains » ou des mouvements organisés. Leur influence ne va pas toujours dans le sens de l’éducation au développement.

Certains aspects de la société ne favorisent pas non plus l’ouverture au sud et à la compréhension internationale : un individualisme de plus en plus marqué, une tendance au repli identitaire, le triomphe des impératifs économiques au détriment de toute autre considération, les contradictions entre les politiques officielles et les réalités du terrain, entre la proclamation de grands principes et les défaillances d’une société qui leur tourne souvent le dos…des enseignants témoignent que les élèves n’hésitent pas à mettre les adultes et les institutions devant leurs propres contradictions.

L’immigration et la naissance d’une société multiculturelle auraient pu être une chance. Mais l’entrée d’élèves issus de milieux plus modestes et, en particulier, de ceux dont les familles sont originaires du Sud, ne semble pas avoir eu une grande influence sur la pénétration de l’Afrique et de l’éducation au développement dans les écoles. Les établissements où il y a une forte proportion d’élèves « issus de l’immigration », n’apparaissent pas globalement plus actifs que les autres. Des enseignants ont essayé de profiter de l’opportunité de la présence, dans une même classe, d’élèves d’origines différentes pour étudier des cultures étrangères et faire faire, sur le terrain, l’apprentissage de la tolérance. Même si certains jeunes sont disposés à participer à l’évocation, en classe, de leur culture d’origine, d’autres, la plupart sans doute, veulent être considérés comme français et sont d’abord soucieux d’intégration. Ils n’apprécient pas forcément qu’on leur rappelle d’où ils viennent. D’ailleurs, la formule employée plus haut « issus de l’immigration »  est souvent mal acceptée par ceux dont la famille est maintenant implantée depuis plusieurs générations. Au tournant du siècle et dans certains établissements « sensibles », cette cohabitation devient de plus en plus difficile et donne même parfois lieu à des incidents.

Le système éducatif s’est révélé aussi trop rigide et ne s’est pas suffisamment adapté à ces nouveaux aspects de l’ éducation. Il a du affronter trop de problèmes, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, pour pouvoir se consacrer aux relations Nord-Sud. Il avait d’autres urgences. Que penser alors de sa validité, s’il ne répond pas aux besoins d’au moins certains élèves, de réfléchir sur les valeurs fondamentales et sur leur attitude en face du monde, puisque beaucoup vont chercher, au dehors, des réponses à leurs interrogations ? Ce qui est en train de se passer, au tournant du siècle, c’est que de plus en plus d’élèves considèrent que la « vraie vie » est hors du collège et du lycée. C’est vrai pour ceux qui sont en rupture de ban avec toute forme de structure mais aussi pour ceux qui sont désireux d’agir en citoyen, à leur niveau. La tendance récente parmi les grands élèves et les étudiants de créer des relations avec les pays du sud, indépendamment des structures scolaires et universitaires, le succès, auprès des étudiants en particulier, des divers « cafés », montrent bien qu’ils ne trouvent pas, dans le système éducatif, tel qu’il est actuellement, un lieu de débat et d’action qui réponde à leurs attentes. Les associations le sentent puisqu’elles commencent à créer, en leur sein, des « groupes jeunes » ou à aider les jeunes à s’organiser en dehors des structures scolaires.

Notes
320.

Rapport de la Commission de l’Education à l’UNESCO, sous la direction de J. DELORS ( 1996 ).